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En France, la mine refait surface
mercredi, 14 janvier 2015 / Mathilde Goanec

En 2012, le ministre Arnaud Montebourg avait fait du retour à la terre un axe du redressement productif national. Depuis, plusieurs permis de recherche ont été attribués. Mais la recette de la mine responsable est toujours à inventer.

Que ce soit bien clair : cet article ne parlera pas de gaz de schiste (ou presque). Ni de pétrole. Car un autre sujet agite ceux qui cherchent sous nos pieds la clé de la relance économique. Depuis 2012, dix demandes de permis exclusif de recherche (PER) miniers ont été déposées par des sociétés privées. Quatre ont pour le moment été accordés par le ministère du Redressement productif, et les six autres sont en cours d’instruction. Un PER, c’est l’autorisation d’explorer, pendant cinq ans (une durée renouvelable), une zone dont on suppose qu’elle recèle des substances minérales intéressantes, par exemple le cuivre, le zinc, le plomb, l’or ou l’argent, mais aussi des métaux stratégiques, comme le tungstène, le germanium, l’antimoine ou le tantale, dont l’industrie high-tech est friande. Le PER est la première étape avant le permis d’exploiter, avant donc d’ouvrir une mine.

La France semblait pourtant avoir fait une croix sur son sous-sol, du moins métropolitain. Les mines ont fermé les unes après les autres dans le pays au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, car jugées peu rentables à cause de la chute des cours, et de moins en moins acceptables dans l’opinion du fait de leur dangerosité. Pour autant, nous avons continué à consommer, voire à nous gaver de métaux, en nous reposant sur d’autres pour les produire. La Chine, pour ne citer que ce pays, s’est engouffrée dans la brèche et règne aujourd’hui en maître sur la production des fameuses terres rares, matériaux indispensables à de nombreuses technologies modernes…

Une offensive européenne

Et puis un jour, en octobre 2012, Arnaud Montebourg, alors ministre du Redressement productif, déclara qu’il souhaitait « donner une nouvelle ambition à la France, celle de redevenir un pays dans lequel on peut exploiter des mines, comme le font de nombreux pays européens ». Le ministre mettait en forme, avec l’emphase qu’on lui connaît, ce qui se tramait déjà en coulisses depuis un certain temps. Ainsi, dès 2005, le patronat allemand – notamment sa filière industrielle –, commençait son travail de lobbying pour pousser l’Union européenne (UE) à se réengager sur la question minière au niveau communautaire, afin de sécuriser ses approvisionnements. La France suivra en 2007, avec le soutien d’Anne Lauvergeon, alors à la tête du géant du nucléaire Areva. Les choses se concrétisent par un document officiel de l’UE, qui préconise, outre le renforcement de l’économie circulaire et la « bonne gouvernance » des ressources minérales dans les pays tiers, d’exploiter directement en Europe.

Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), établissement public à caractère industriel et commercial français, est alors chargé de réactualiser son inventaire du sous-sol, plus ou moins abandonné depuis les années 1980, et de mettre à disposition ces informations aux sociétés désireuses d’investir. C’est sur cette base que les PER ont été demandés. Même si elle se garde de crier victoire trop vite, l’administration y croit : « Sans parler d’autonomie, nous avons des ressources, assure Rémi Galin, chef de bureau des ressources minérales au ministère de l’Ecologie, du développement durable et de l’énergie. Sur les dix PER, il n’y aura pas dix mines, mais quelques beaux projets peuvent sortir. »

Des mines, mais à quel prix ?

Des mines françaises, oui, mais alors propres, plus respectueuses de l’environnement, moins précaires économiquement… Tous les acteurs publics et privés répètent que, promis juré, ils ne reproduiront pas les erreurs du passé, dont on voit encore les traces désastreuses à Chessy, (ancienne mine de cuivre dans le Rhône), à Salsigne (ancienne mine d’or dans l’Aude, longtemps site le plus pollué d’Europe) ou encore à Saint-Félix-de-Pallières, commune du Gard abîmée par les déchets de l’exploitation du zinc, du plomb et du germanium. « Notre volonté, c’est de voir apparaître des mines responsables. Car si on reprend l’investigation, si on créée une filière, il faudra l’inscrire dans la durée », assure Jean-Claude Guillaneau, directeur des géoressources au BRGM.

« C’est pas compliqué de faire plus propre, puisqu’avant c’était dégueulasse ! », réplique un ingénieur minier, qui milite anonymement au sein du groupe SystExt (Systèmes extractifs et environnements) d’Ingénieurs sans frontières et juge durement son propre milieu. « Sans compter que, depuis six ans, comme les teneurs en minerai sont de plus en plus faibles, les problèmes se multiplient partout dans le monde, car il faut aller très loin pour chercher la ressource. On gère des miettes. »

Dans l’Hexagone, la société Variscan, détentrice des permis de Tennie (Sarthe), Saint-Pierre (Maine-et-Loire) et Merléac (Côtes-d’Armor), est consciente de ces critiques, mais argue de la modernisation des techniques, notamment pour l’or, dont l’extraction par cyanuration fait craindre le pire : « Nous, on imagine un traitement physique souterrain, par broyage, puis par centrifugeuse pour séparer l’or et le quartz, explique Jérôme Gouin, l’un des géologues de la société. Le stérile produit sera utilisé pour combler les galeries. Donc l’impact en surface sera très limité. » Mais rien ne dit que Variscan sera effectivement aux manettes au moment de monter la mine, les sociétés d’exploration étant rarement celles qui exploitent. Il est par ailleurs illusoire de penser que la roche mobilisée reprendra totalement sa place originelle, quel que soit le procédé adopté. Il y aura donc bien des déchets miniers à gérer.

Une industrie gourmande, sauf en emplois

Cette industrie est également l’une des plus coûteuses en eau, en énergie et en chimie, même si les innovations actuelles permettent d’alléger un peu la barque. En compensation, le secteur minier assure, il est vrai, des emplois nouveaux, loin des villes. Mais là encore, les chiffres ne sont pas mirobolants. A Saint-Pierre-Montlimart (Maine-et-Loire), Jérôme Gouin se risque à une estimation. « Ici, c’est au maximum une centaine d’emplois. Mais ce sera surtout des emplois très qualifiés et il faudra faire venir des gens d’ailleurs. Pour ceux du coin, on aura de la maintenance, de la mécanique, du gardiennage, des services induits. Quand on parle de 1 500 emplois, ça comprend tout ça. » Et quand le gisement s’épuise ou que le cours chute, tout s’arrête, à moins d’avoir pensé la suite : « Faire du tourisme ou de la géothermie », comme le suggère Rémi Galin, du ministère de l’Ecologie.

La mine est donc, par nature, non durable. Pour allonger les possibilités de développement économique, le secteur mise sur les substances associées aux métaux de base, qui sont aujourd’hui cotées sur le marché. « Oui, c’est le seul moyen de rentabiliser le gisement, mais c’est toujours le même problème : on va aller chercher des substances différentes avec une chimie deux fois plus lourde et une cascade d’usines pour gérer ça », nuance l’ingénieur minier anonyme.

L’eldorado aurifère

Presque tous les PER accordés ou en cours d’instruction en France s’attacheront à établir s’il y des filons aurifères. De ce point de vue, la France n’est pas une anomalie, puisque c’est un métal qui concentre une grosse partie des investissements (à la bourse de Toronto, au Canada, 40% des projets concernent l’or). Et pourtant, « il y a assez d’or frais dans le monde et c’est un métal qui se recycle très bien », estime Raf Custers, spécialiste belge des matières premières au Gresea (Groupe de recherche pour une stratégie économique alternative). « Il ne sert que dans 10% des cas à l’industrie. Le reste va à la joaillerie (pour 50%) et à la spéculation (40%). Faut-il extraire encore pour fabriquer des lingots ? » Mais si les sociétés « juniors » cherchent activement ces filons, c’est pour être attractives sur un marché extrêmement financiarisé et très spéculatif.

Ces fameuses « juniors » sont sous le feu de plusieurs critiques : Cominor, qui a obtenu un permis à Lussat, dans la Creuse, et fait face à une fronde citoyenne importante, est la filiale française de La Mancha, entreprise canadienne à capitaux égyptiens, qui exploite quatre mines en Australie, en Côte-d’Ivoire et au Soudan. Variscan, titulaire de plusieurs PER, est quant à elle filiale à 100% d’une junior australienne, Variscan Mines. Ce qui chiffonne ses détracteurs, c’est que toute l’équipe dirigeante de la filiale, à commencer par le patron, Michel Bonnemaison, sont des anciens ingénieurs haut placés du BRGM, partis en 2012 créer leur société.

« C’est une question d’opportunité, tempère Jean-Claude Guillaneau. De notre côté, nous observons une stricte neutralité. Mais c’est clair qu’ils ont une connaissance approfondie des cibles que nous avons établies. » Pour William Sacher, chercheur en climatologie et fin connaisseur du monde minier, « partir avec des dossiers sous le bras est une pratique très courante. Beaucoup de géologues du public passent au privé sous le coup du démantèlement ou de l’affaiblissement des services. De ce point de vue, les dirigeants de Variscan ne diffèrent en rien de leurs homologues maliens ou colombiens ». Toutes ces sociétés sont cotées dans les deux principales bourses minières de la planète, à Toronto et à Sydney, régulièrement critiquées pour leur faible régulation. Ce sera aussi vraisemblablement le cas des sociétés d’exploration qui emporteront le droit d’ouvrir ou non les mines en France.

Trouver un modèle plus vertueux

« L’après-mine en France, c’est 40 millions par an, note Rémi Galin, du ministère de l’Ecologie. Il faut avoir ça en tête. Si c’est pour avoir encore des déchets coûteux à gérer parce que les mines sont fermées du jour au lendemain, ce n’est pas la peine. Notre objectif est d’inventer des règles du jeu qui permettent de contrôler les multinationales qui vont opérer sur le terrain. » Or, le modèle français n’est pas, pour le moment, plus vertueux que celui de ses voisins, et ce malgré les discours volontaristes. Ainsi, Arnaud Montebourg avait souhaité voir émerger un grand opérateur public dans le domaine minier, une sorte de Charbonnages de France du XXIe siècle. Finalement, la nouvelle Compagnie nationale des mines de France (CMF) s’oriente vers une simple participation financière à l’étranger dans des sociétés privées ou étatiques.

Sur le plan législatif, ce n’est guère plus emballant. L’actuel Code minier n’est pas à la hauteur sur les questions environnementales et de consultation démocratique, mais sa refonte définitive, bousculée par le débat sur les gaz de schiste, s’est muée en serpent de mer. Enfin, la possibilité de faire passer le secteur minier sous le contrôle du Code de l’environnement – comme le secteur de l’énergie ou les carrières –, a été elle aussi abandonnée. Malgré ces embûches, la réappropriation de la question minérale en France semble être un passage obligé, en premier lieu pour ne pas simplement se défaire de notre fardeau sur les pays les moins protecteurs en termes de droits. « Moi même, j’ai une admiration sans bornes pour mon métier, confie l’ingénieur du groupe SystExt, qui exerce en France et à l’étranger depuis plusieurs années. C’est fabuleux d’extraire quelque chose qui ne se voit pas. Mais on ne peut plus faire ça avec l’objectif de rentabilisation élevée que demande actuellement l’industrie. Nous ne devons garder que les gisements qui sont réellement stratégiques et où il n’y a pas d’alternatives. Le reste, il faut arrêter. »

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