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Vendeurs de délocalisations (suite)
jeudi, 13 mai 2004
/ Walter Bouvais / Cofondateur et directeur de la publication du magazine Terra eco et du quotidien électronique Terraeco.net Suivez-moi sur twitter : @dobelioubi Mon blog Media Circus : Tant que dureront les médias jetables , / Toad |
Les affaires prospèrent
...A 26 ans, diplôme de vente en poche, Nicolas Goldstein a jeté son dévolu sur l’Océan indien. Il travaille pour le compte de l’entreprise Infinity, installée dans la Cybercité, à quelques minutes de Port-Louis, la capitale de l’Ile Maurice. A terme, les lieux abriteront 200 télé-conseillers mauriciens. Nicolas Goldstein démarche les entreprises françaises pour leur proposer d’y délocaliser leur plate-forme de relation clients (centre d’appels). "Je pense que nous sommes à l’aube d’une ère nouvelle, avec une forte croissance de la délocalisation de nombreux services", prévoit-il.
Sur ce créneau, l’objectif d’Infinity est de reprendre la recette de l’Inde - devenue le "back-office" des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne - en faisant de Maurice l’arrière-boutique de l’Europe francophone. Les affaires prospèrent. Jusqu’alors, Nicolas Goldstein signait des contrats avec de Petites et moyennes entreprises françaises. "Désormais on démarche de grandes groupes, comme les chaînes satellites ou les éditeurs d’annuaires".
"Nous avons trouvé un fournisseur coréen compétitif sur les prix, mais aussi sur la qualité et les délais". Résultat pour Johnson Control, "plusieurs millions d’euros d’économies". Une somme sur laquelle Masaï a touché une commission. Probablement de l’ordre de 8 à 10%. "On gagne davantage sur les missions complètes, puisqu’il faut accompagner le projet", précise François-Xavier Terny, du cabinet Masaï.
"Capitalisme violent"
Mais alors que dire de la responsabilité sociale des entreprises ? "Nos consultants ont parfois des états d’âme. Ils ont conscience de faire de la casse sociale, ça ne servirait d’ailleurs à rien de l’ignorer", concède François-Xavier Terny. Lui qui voyage régulièrement en Chine, évoque sans détour le contexte dans lequel l’Empire du Milieu absorbe les délocalisations. "Ce pays est une dictature qui met en œuvre un capitalisme violent, avec des problèmes éthiques, environnementaux et sociaux, dit-il. J’ai vu des femmes ouvrières vivre entassées à six dans une petite pièce, en gagnant 180 dollars par mois. Sincèrement, je n’aimerais pas que ma fille vive dans ces conditions".
"Nous assistons à une révolution économique qui permet aux entreprises d’optimiser leur économie. Mais c’est vrai que cette optimisation économique n’est pas forcément porteuse d’optimisation sociale", concède Yves Morieux. "Je dis oui à la conscience, non aux mouvements brutaux. Quand Bébéar dit qu’un employé chinois c’est comme un employé français, je considère que c’est de la provocation. Mais je dis non à l’aveuglement : vous ne pouvez pas contenir 3 milliards de personnes en Chine et en Inde à l’abri des mouvements économiques. Ces gens-là veulent entrer dans la danse", insiste François-Xavier Terny.
"Délocaliser ou rester entre nous ?"
Prakash Chellam, qui dirige la filiale française d’Infosys, le mastodonte de l’informatique indienne, ne pense pas autre chose. Fondée en 1981 avec 7 personnes, l’entreprise a bâti son succès sur les délocalisations de services, venues des Etats-Unis et de Grande-Bretagne. Elle compte aujourd’hui 26000 salariés, dont près de 20000 en Inde. "Pour nous, la mondialisation est une chance, insiste ce francophile aux traits juvéniles. En Inde, il existe une grande aspiration à l’éducation. Pourtant au début des années 90, quand on sortait de l’école d’ingénieurs après avoir étudié pendant quatre ans, seulement 1 élève sur 10 trouvait du travail à 50 ou 100 euros par mois. Aujourd’hui, les entreprises installées en Inde passent presque avec des camions pour ramasser les diplômés et les paient 400 euros par mois. Certains sont comme moi d’origine rurale, ils peuvent ainsi aider leur famille et ils auront la chance de voyager à Paris ou à Rome". "A mon avis, tranche Pierre Méchentel, la question n’est pas de savoir s’il on est pour ou contre les délocalisations. Puisque le monde est ouvert, adaptons-nous. Ou alors restons chez nous, entre nous. Et votons en conséquence".
(1) Etude McKinsey, 3 juillet 2003.
(2) Séminaire Benchmark, 18 mars 2004.
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La semaine prochaine, lisez le deuxième volet de notre enquête : Que peuvent les politiques face aux délocalisations ?
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