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Ecotaxe : récit d’une longue agonie
lundi, 5 janvier 2015 / Cécile Cazenave

Cette fois, c’est la bonne : en deux ans et demi, le pouvoir socialiste a réussi à enterrer l’écotaxe, avec la bénédiction de la droite, qui l’avait pourtant imaginée lors du Grenelle de l’environnement. Un parcours exemplaire de frousse écolo.

Et pfuiiit, les 800 millions d’euros ! C’est ce que vient de coûter le fiasco de l’écotaxe. Sans compter l’évanouissement des bénéfices environnementaux qu’on attendait de cette mesure de taxation des poids lourds sur les routes hexagonales. Ceux-là ne verront jamais le jour. Comment une fiscalité écologique ambitieuse s’est-elle dissoute dans la politique ? Retour sur une saga pas du tout exemplaire.

2007 – Lors du Grenelle de l’environnement, initié par le président Nicolas Sarkozy, le chapitre transports affiche une sacrée couleur verte. L’engagement numéro 45 annonce la création d’une écoredevance kilométrique pour les poids lourds sur le réseau routier non concédé (majoritairement des routes nationales et quelques autoroutes gratuites). L’écologie est à la fête. On est ambitieux, on prévoit la chose pour 2010.

2009 – Un beau consensus règne. A droite comme à gauche, l’idée d’une taxe basée sur le principe du « pollueur-payeur » remporte tous les suffrages. L’idée consiste à faire payer aux transporteurs routiers l’entretien des routes qu’ils utilisent et la pollution atmosphérique qu’ils génèrent. L’argent doit servir à développer des modes de transports durables. Les recettes de cette taxe seront donc affectées à l’Agence de financement des infrastructures de transports. La loi promulguée annonce une mise en place en 2011. Jean-Louis Borloo, alors ministre de l’Environnement, reçoit les premières pétitions bretonnes et promet que des aménagements seront trouvés pour ne pas pénaliser la région.

Janvier 2011 - Le ministère des Transports annonce que le consortium Ecomouv’, mené par le groupe italien Autostrade, a gagné l’appel d’offres pour la collecte de cette taxe. Ce partenariat public-privé n’a pas fini de faire parler de lui. Parmi les arguments avancés pour justifier que la taxe ne voit pas le jour, le deal financier très avantageux pour Ecomouv’ sera largement mis en avant.

Janvier 2013 – On a changé de majorité. Frédéric Cuvillier, ministre des Transports du gouvernement Ayrault présente une écotaxe simplifiée en Conseil des ministres et annonce en fanfare que la mesure rapportera « de l’ordre de 1,2 milliard d’euros » par an. L’Etat en percevra 750 millions, les collectivités territoriales 200 millions et Ecomouv’ en empochera 250 millions. La mesure s’appliquera aux camions de 3,5 tonnes qui circuleront sur 15 000 kilomètres de réseau national non payant. Chaque camion sera équipé d’une balise et sera bipé au passage de portiques répartis sur tout le territoire. Sa facture sera établie au prorata du nombre de kilomètres parcourus. Quelques semaines plus tard, le ministre annonce le premier d’une longue série de reports de plusieurs mois : système compliqué, pas au point, en retard, encore en rodage, tout y passe.

26 octobre 2013 – Des chefs d’entreprise, des routiers et des agriculteurs bretons qui ne veulent pas payer s’attaquent aux portiques gérés par Ecomouv’. Sur la RN 165, entre Brest et Quimper, un millier de personnes tentent de détruire l’un des trois portiques finistériens. La manifestation dégénère. Un manifestant a la main arrachée. C’est le début des jacqueries antitaxe. Elle durent jusqu’en novembre. A Quimper, plusieurs dizaines de milliers de gens coiffés d’un bonnet rouge manifestent, imités à Paris, dans le Nord, près de Marseille et de Lyon. Des bornes sont dégradées dans le Gard, en Charente, dans l’Isère…

29 octobre 2013 – Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault reçoit les élus bretons à Matignon et annonce « la suspension de la mise en œuvre de l’écotaxe » sur tout le territoire. « Le courage, ce n’est pas l’obstination. Le courage, c’est d’écouter et de comprendre, c’est de rechercher la solution et d’éviter l’engrenage de la violence », lance le Premier ministre. Oh non, pas question de se passer de l’écotaxe « nécessaire » ! Mais bon, on va attendre que tout le monde se calme tout de même. La droite, pourtant à l’origine du projet, abonde dans ce sens. Seules quelques courageuses voix, comme celle de la sénatrice UDI Chantal Jouanno ou les auteurs du rapport Mobilité 21 qui proposent un schéma de mobilité durable au gouvernement, décident ne pas hurler avec les loups et défendent la mesure.

3 avril 2014 - Ségolène Royal est devenue ministre de l’Ecologie du gouvernement de Manuel Valls. Pour changer, elle annonce la remise à plat de l’écotaxe.

22 juin 2014 - Les nouvelles modalités de l’agonisante mesure sont un enterrement de première classe. Elle se transforme en « péage de transit poids lourds », mis en route au 1er janvier 2015. Ce péage sera applicable sur 4 000 kilomètres du réseau routier national et de certaines routes départementales, au lieu des 15 000 kilomètres de départ. Il rapportera 500 millions d’euros par an, soit environ deux fois moins que le dispositif initial. Les 122 projets d’infrastructures locales de transport durable sélectionnés par le gouvernement – qui devaient bénéficier des revenus de l’écotaxe pour voir le jour – sont menacés. Les maires suent à grosses gouttes. Adieu extensions de lignes de bus, de tramway et de métro ; adieu funiculaires, téléphériques urbains, navettes fluviales…

9 octobre 2014 – Comme on achève bien les chevaux, Ségolène Royal rencontre les fédérations de transporteurs routiers et annonce la suspension « sine die » de l’écotaxe sous sa forme de « péage transit ». Le cadavre ne bouge plus. Son fantôme encore un peu.

30 octobre 2014 – Forcément, puisqu’il ne se passe plus rien, il faut résilier le contrat de partenariat conclu avec Ecomouv’. Forcément, ça va coûter de l’argent. Mais Ségolène Royal est optimiste et ne voit pas du tout pourquoi ça coûterait 800 millions d’euros.

31 décembre 2014 – Le jour de la Saint-Sylvestre, pour bien finir l’année, le ministère de l’Ecologie et le consortium franco-italien Ecomouv’ topent là : l’Etat français doit 403 millions d’euros d’indemnités à l’entreprise et prend en charge sa créance auprès des banques, soit 390 millions d’euros sur dix ans. Au total : près de 800 millions d’euros. Bonne année sur nos routes gratuites !