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Vendeurs de délocalisations
jeudi, 13 mai 2004 / Walter Bouvais /

Cofondateur et directeur de la publication du magazine Terra eco et du quotidien électronique Terraeco.net

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La délocalisation n’est pas seulement un phénomène économique. Elle est aussi un produit, que vendent une poignée d’hommes et de femmes, consultants en organisation, en réduction des coûts ou en développements informatiques. Pour eux, les affaires se portent bien : les chefs d’entreprises leur prêtent chaque jour une oreille de plus en plus attentive. Après le textile et la sidérurgie, les délocalisations touchent désormais les services, dans l’informatique notamment. Qui sont ces vendeurs de délocalisations ? Comment travaillent-ils ? Qui sont leurs clients ? Terra economica a enquêté.

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"Il faudrait vraiment se rendre compte que le monde est un village. Ca peut paraître tarte à la crème, mais c’est une réalité. Qu’une société développe un projet en Roumanie, à Bombay ou Marseille, c’est pareil. La seule chose qui compte pour nos clients, c’est : combien ça va me coûter". Pierre Méchentel n’a ni l’allure classique, ni les précautions oratoires d’un consultant. Et si Tubbydev, la société dont ce Saint-Cyrien est associé, a élu domicile à un jet de pierre des Champs Elysées, ce n’est pas par coquetterie mais pour le niveau étonnamment bas du loyer. Dans les locaux surchauffés découpés en boxes, sept personnes vaquent dans une ambiance décontractée. Jeans et polos, pas la moindre cravate à l’horizon. Accrochées aux murs, des affichettes de la propagande soviétique signent l’origine de la société : la Russie.

Far Est

Tubbydev est une société de services informatiques (SSII) bicéphale, installée en France en 2000. L’hémisphère Ouest du cerveau - sept chefs de projets et commerciaux - a pour mission de frapper aux portes des entreprises hexagonales, pour leur vendre des prestations informatiques. Une fois le contrat signé, Tubbydev France en assure le suivi, mais en confie l’exécution à l’hémisphère Est... 57 développeurs installés à Kiev et Moscou, bien au-delà des nouvelles frontières de l’Europe des 25. Ces salariés hautement qualifiés - certains sortent de la Cité des Etoiles - font partie de ce que l’on nomme les emplois "offshore". En français, "emplois délocalisés". Ils touchent un salaire confortable pour leur pays - de 600 à 1000 dollars par mois à Kiev, de 1000 à 2500 dollars à Moscou -, bénéficient d’une mutuelle de santé et prennent des vacances, insiste Pierre Méchentel.

Le Russe est deux fois moins cher que le Français

L’écart de salaire entre la France et la Russie permet à Tubbydev de casser les prix. D’un monceau de papiers, Pierre Méchentel extrait une proposition commerciale faite à une société française, à l’automne 2003 qui voulait créer son site Internet. "47 jours de travail à 160 euros hors taxes. A qualité égale, c’est deux fois moins cher qu’avec des salariés français", tranche-t-il. L’argument de vente est imparable. Si bien qu’un nombre croissant de sociétés, petites ou grandes, confient tout ou partie de leurs développements informatiques à Tubbydev. Cet après-midi-là la société reçoit coup sur coup l’appel de responsables de deux grandes entreprises. Ils veulent le rencontrer en vue de futurs contrats. Pour Tubbydev, c’est le résultat de plusieurs semaines de travail commercial. Dans le monde des affaires, souligne Pierre Méchentel, les délocalisations sont une réalité.

Les délocalisations coincées dans la bulle ?

"Je reçois trois appels par jour de patrons qui me disent : on a décidé de délocaliser une partie de nos achats en Chine. Il faut qu’on se voie", raconte François-Xavier Terny, le cofondateur du cabinet Masaï, spécialisé dans la réduction des coûts et les délocalisations. Attablé dans une salle de réunion du siège parisien, en surplomb des Champs Elysées, ce grand gaillard trace sur le papier une courbe du développement des délocalisations. Partie de presque rien au milieu des années 90, elle aurait aujourd’hui atteint son apogée. "Pour les entreprises, aller en Chine, c’est presque une mode, ironise-t-il. Ca me fait penser à la bulle Internet : tout le monde veut y aller. C’est excessif, mais comme pour Internet, la bulle ne remet pas en cause cette révolution". "Pour les entreprises, c’est bien une révolution, assure Yves Morieux, le vice-président du Boston Consulting Group à Paris (BCG). Grâce aux nouvelles technologies de l’information, elles ont accès à de nouvelles ressources à moindre coût. Leur marché, c’est la Terre entière. Y compris, et c’est ça la nouveauté, pour leurs fournisseurs".

"Matière première"

Dans ce village mondial, à qualifications égales, les salariés américains et européens se retrouvent donc en concurrence directe avec des salariés chinois, marocains ou indiens. Cette situation inédite, source de tensions sociales, intéresse bien sûr les entreprises chasseuses de coûts. "La main d’œuvre à bas coût n’est pas inépuisable. Elle est à l’image des matières premières. Ce sont les plus rapides qui la contrôleront et qui gagneront des parts de marché sur les autres", lâche sans détour un spécialiste. Par ricochet cette situation intéresse aussi les cabinets de conseil en organisation qui voient leurs affaires prospérer. Sur le marché des délocalisations, les équipes commerciales de cabinets anglo-saxons sont à la pointe : Mc Kinsey, AT Kearney, BCG. Suivies par d’autres : CapGemini, Accenture. Enfin, comme à l’époque des start-up, la "bulle" attire quelques officines auto-proclamées spécialistes des délocalisations.

Appâter le chaland

Pour vendre une délocalisation, il faut d’abord connaître et fréquenter les usines des pays à faible coûts de main d’œuvre. En langage consultant on dit les "low cost". Côté pile, les cabinets de conseil ont donc des bureaux en Chine, en Inde, en Russie ou à Taïwan. Ou à défaut, des correspondants locaux chargés de dénicher la pépite : une entreprise de textile, de services informatiques ou de composants électroniques. Côté face, dans les pays développés, leurs ficelles sont celles du commerce. Par exemple, écrire et diffuser largement une étude sur le thème "Quand, Où, Comment délocaliser ?" (1). Ou organiser un séminaire sur les "Tendances et gains attendus de l’offshore" (2). Les clients potentiels ainsi attirés, il reste aux équipes commerciales à les démarcher et à dérouler les arguments de vente.

Le catalogue des pays "low cost"

Leur principal argument : les pays "low cost" forment un seul marché du travail, découpé en quartiers spécialisés. Rien d’autre que des produits référencés dans le catalogue des délocalisations. Parfois jusqu’à la caricature. "Pour une entreprise française, raconte un consultant, les Roumains sont plus intéressants pour les travaux écrits que pour la voix, car ils ont un accent assez prononcé. En revanche ils sont très bons pour le développement informatique. L’Inde est très forte dans les nouvelles technologies de l’information et de la communication. 10% des actifs travaillent dans ce secteur. Et 80% de ces derniers travaillent déjà avec une clientèle internationale (Etats-Unis, Japon, Grande-Bretagne). Les gens de l’Est et les Russes ont une grosse tradition mathématique. Mais il y a l’obstacle de la langue et les équipes sont plus difficiles à piloter...".

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