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En Italie, le prêtre Luigi Ciotti œuvre contre la Pieuvre
lundi, 29 décembre 2014 / Mathilde Auvillain

Transformer des terres souillées par le sang en coopératives agricoles, tendre la main aux toxicomanes… de l’autre côté des Alpes, cet homme d’Eglise pas comme les autres a découvert sa vocation dans la rue, auprès des exclus, des abandonnés, des pauvres.

Don Luigi Ciotti a le regard dur et le visage grave. Pas de col romain, pas de soutane et tout sauf un col blanc. Une chemise bleue et un pull-over sombre pour uniforme, il évolue, simplement, d’un milieu à l’autre. Il ne craint ni les dorures des palais du pouvoir, ni les wagons de train sales et glaciaux où il avait élu domicile auprès des SDF, dans les années 1970. Il est aujourd’hui un homme médiatique, plus que politique, qui parle vite, très vite. Qui hurle, qui harangue, sans jamais reprendre son souffle et brise les silences complices d’une voix grave, qui résonne du nord au sud de l’Italie et plus fort encore dans la paroisse qui lui a été confiée le jour de son ordination : la rue.

« Je ne suis pas don Ciotti, je suis un nous », martèle celui qui sait que l’individu isolé est vulnérable et la communauté, protectrice. D’ailleurs l’homme n’est jamais seul. Deux ombres le suivent partout où il va, son escorte, bouclier humain contre la vengeance des mafieux.

Donner voix aux sans-voix

Né dans le nord de l’Italie en 1945, Luigi Ciotti grandit à Turin et découvre sa vocation auprès des exclus, des plus pauvres, des abandonnés. En 1965, il fonde le Gruppo Abele, une association pour « donner voix aux sans-voix » et tendre la main aux toxicomanes. Ordonné prêtre en 1972, Luigi Ciotti n’a pas fait carrière dans l’Eglise, préférant rester un simple « don » (équivalent d’« abbé »). Modeste, mais pas effacé. Il défend sa place au paradis en prêchant contre les paradis artificiels et en s’attaquant aux racines du mal.

La mafia aux trousses

En 1992, au lendemain des attentats contre les juges Falcone et Borsellino (magistrats antimafia assassinés à Palerme), il étend le domaine de sa lutte à la narco-mafia. S’inspirant de l’engagement de don Pino Puglisi, prêtre palermitain tué par la mafia sicilienne Cosa nostra en 1993, il fonde le réseau « Libera. Associations, noms et chiffres contre la mafia ». Don Ciotti part en campagne contre la criminalité organisée, qu’il va affronter sur ses propres terres. En 1995, sous son impulsion, Libera récolte plus d’un million de signatures, ouvrant la voie à l’adoption d’une loi d’initiative populaire sur l’usage social des biens confisqués à la mafia. Les terres souillées par le sang, la violence et le crime vont dès lors être confiées à des coopératives chargées d’y faire pousser fruits, légumes et céréales commercialisés à travers une filière propre, dans des Boutiques des saveurs et des savoirs de la légalité qui ont depuis essaimé du nord au sud de l’Italie. Luigi Ciotti ne recule devant rien, pas même devant les menaces de mort proférées en septembre 2013 par le boss de Cosa nostra, Toto Riina, incarcéré depuis 1993. « Je suis tout petit, ça ne servirait à rien de me supprimer », ironise le prêtre, qui s’inquiète plutôt pour les hommes de son escorte.

Lui sait utiliser les médias comme bouclier : en octobre dernier, il avait invité Roberto Saviano, l’auteur de Gomorra (Gallimard, 2007), à inaugurer les Etats généraux de l’antimafia organisés par Libera.Inspiré par l’Evangile, épaulé par le pape François, qui a récemment – comme l’avait fait Jean-Paul II en 1993 à Agrigente, en Sicile – excommunié les mafieux, don Luigi Ciotti continue imperturbablement de prêcher pour « que nos rêves deviennent responsabilités ». Pour résister à la Pieuvre dont les tentacules s’étendent au-delà de toute frontière géographique, morale ou culturelle, il ne voit qu’une solution : éduquer les jeunes à la culture de la légalité et « élargir encore ce nous, ce monde fait d’engagement et de responsabilité ».

Don Luigi Ciotti en dates

1965 Fonde le Gruppo Abele

1972 Ordonné prêtre

1993 Fonde le réseau Libera

L’impact

1 400 hectares de terres confisquées à la mafia, désormais cultivées…

… qui génèrent 5,8 millions d’euros de chiffre d’affaires