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Pablo Iglesias, l’indigné sur la voie royale
lundi, 29 décembre 2014 / François Musseau

Le leader de Podemos s’est fait une place dans le jeu politique espagnol et a rebattu les cartes jusque-là réservées aux deux partis historiques. Un as du collectif qui pourrait bien changer la donne.

Nous sommes le 26 mai dernier. Un séisme politique se produit en Espagne : après des décennies de bipartisme, une nouvelle formation fait irruption avec force. Issu du mouvement des Indignés et né en janvier 2014, « Podemos » (« Nous pouvons ») glane 1,2 million de voix et rafle cinq sièges au Parlement européen. Les deux grands partis (Parti socialiste et Parti populaire) tremblent. Un nouveau leader, aussi, s’est imposé. Il est mince, ne fréquente pas les salles de gym ni ne roule les mécaniques ; il porte une queue de cheval et un bouc soigné. Pablo Iglesias, 36 ans, a du charisme, un style, un verbe, de l’éloquence. Et cela fonctionne : aujourd’hui, six mois après les européennes, Podemos est crédité du quart des suffrages, 23% selon la dernière enquête d’opinion. Soit autant ou plus que les deux partis qui ont gouverné l’Espagne depuis la fin du franquisme, voilà près de trente ans.

La rage au ventre

Iglesias a aussi de la rage au ventre. A l’image du quartier où il est né, Vallecas, un bastion de la gauche radicale, dans le sud-est de Madrid, fier de son ancrage et de son passé ouvrier. Et, ce fameux soir d’élections, devant ses partisans ivres de joie, il prophétise. « Les partis traditionnels sont en recul. Et moi, je vous dis à voix haute que nous ne sommes pas venus pour jouer un rôle secondaire. Nous sommes ici en tant que force alternative au pouvoir actuel. Sinon, cela ne servirait à rien. » Pablo Iglesias a une obsession de la défaite, incrustée dans ses gènes : petit-fils de Manuel Iglesias, condamné à mort par les franquistes – il sera gracié in extremis –, et fils d’une avocate syndicaliste et d’un inspecteur du travail socialiste. « Chez les miens, la gauche a toujours été associée à la déroute et à l’échec. Je veux briser cette fatalité. Je veux gagner. Je suis là pour changer la donne, pas pour titiller le statu quo. »

Du culot, ce professeur de sciences politiques à l’université madrilène de la Complutense n’en manque pas. Ancien militant des Jeunesses communistes, l’UJCE, ses premières amours de jeunesse, Pablo Iglesias a longtemps évolué dans l’anonymat des cercles universitaires, des mouvements sociaux et des assemblées alternatives. Un certain 15 mai 2011 ébranle l’Espagne, quand les Indignés et leur colère contre l’austérité font un bruit fracassant : le destin de ce politologue admirateur d’Antonio Gramsci, penseur et fondateur du parti communiste italien, va changer. Il a beau mépriser la télévision, c’est par elle qu’il va triompher.

La voix de l’indignation

En avril 2013, il est invité sur le plateau d’Intereconomía, une chaîne d’extrême droite. Avec ses plaidoiries contre « les coupes budgétaires », « le diktat de la caste », « les attentats des financiers et des corrompus contre la santé et l’éducation », il tient tête aux intervenants les plus réactionnaires. Dans les mois qui suivent, toutes les chaînes se l’arrachent. Depuis l’an dernier, son programme de télévision Fort Apache bat des records d’audience.

« Pablo Iglesias est devenu un phénomène de société, observe le journaliste star Iñaki Gabilondo. Il est la voix de l’indignation, la possibilité de modifier un système qui paraissait blindé. » Crâne, le jeune leader de Podemos compte bien faire sauter ce qu’il appelle le « verrou de 1978 ». 1978, l’année de naissance de la Constitution, après quarante ans de franquisme, est associée à un sacro-saint consensus, à l’hégémonie des deux grands partis et à des élites politico-économiques fonctionnant à huis clos. « The times they are a changing in Spain (les temps changent en Espagne, ndlr) », clamait-il récemment en paraphrasant Bob Dylan.

En face de lui, en tout cas, on a peur. La CEOE, le patronat espagnol, avertissait au début du mois de novembre que, si Iglesias prenait le pouvoir aux législatives de 2015, les investisseurs fuiraient le pays et la prime de risque grimperait. Dans les médias ultraconservateurs, la nouvelle coqueluche du grand public est détestée, qualifiée de « taliban cathodique », de « porte-parole du populisme à la Hugo Chávez (ancien président du Venezuela, ndlr) » ou de « joueur de pipeau gauchiste ». Moins lyrique, Mariano Rajoy, le chef du gouvernement, a tranché : « En voulant aller trop loin, il n’ira nulle part. »

Rendre la parole au peuple

Passionné de la série Le Trône de fer, d’échecs et de basket-ball, le tribun montant s’attache pour l’heure à séduire les masses. Son programme tient en une phrase : « Lancer un processus constituant qui permette de rendre la parole au peuple », répète-t-il tout en essayant de calmer les ardeurs des 200 000 sympathisants de Podemos et des 700 000 abonnés à son compte Twitter. « Sa force, témoigne Miguel Urban, 34 ans, qui milite avec lui depuis une décennie, c’est de rendre de l’espoir dans une société désabusée par ses institutions, de la monarchie au Parlement. »

Ces derniers mois, sans doute pour ratisser plus large, le politologue a lissé et recentré son discours. Il ne parle plus de ne pas honorer la dette extérieure, mais de la « restructurer ». Fini la désobéissance civile, place à l’« attitude constructive ». Son modèle n’est plus la Bolivie ou le Venezuela, mais le Danemark ou la Finlande. « Les nations prospères sont aussi les plus égalitaires », affirmait-il dernièrement sur la chaîne Sexta. Pragmatique et idéaliste, Pablo Iglesias conditionne aujourd’hui la scène politique espagnole : tous ses rivaux se déterminent en fonction de lui. En page 6 de son programme, une phrase résume sa philosophie : « Agir avec réalisme sans renoncer aux rêves. »

Pablo Iglesias en dates

1978 Naissance à Madrid (Espagne)

2008 Prof de sciences politiques à l’université Complutense, à Madrid 2014 Cofonde le parti politique Podemos, qu’il mène au Parlement européen, où il est élu député

L’impact

23% des suffrages favorables d’après une enquête d’opinion

200 000 sympathisants et 700 000 followers sur Twitter

Cinq députés européens élus