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Derrière l’écran, les usines d’Internet
lundi, 29 décembre 2014 / Emmanuelle Vibert

Les data centers ? Des machines énergivores alignées sur des milliers de mètres carrés, stockant les données du Web. Le secteur commence à peine à adopter des pratiques un peu plus vertes.

Virtuel, le Net ? Pas du tout. Pour stocker toutes les données échangées sur la Toile, il faut construire en dur des data centers (« centres de données ») où s’alignent les serveurs informatiques. Ils prennent souvent la forme de bâtiments lambda, rectangles de plusieurs milliers de mètres carrés posés à la périphérie des villes. Certaines entreprises ont leur propre data center pour abriter leurs données. Google, par exemple, en possède 13 dans le monde entier. D’autres externalisent ce service par le biais de sociétés spécialisées (comme Rackspace, Verizon, IBM ou Equinix). Combien sont-ils, au total ? Le cabinet américain Emerson Network Power dénombrait plus de 500 000 data centers dans le monde en 2011, couvrant une surface équivalente à près de 3 600 terrains de football (26 millions de mètres carrés). Et au mois de novembre dernier, le cabinet d’analyses International data corporation (IDC) affirmait qu’on en compterait 8,6 millions en 2017, dont beaucoup implantés en Chine. Leur surface accumulée se chiffrait à près de 147 millions de mètres carrés en 2013 et atteindrait, dès 2018, 180 millions de mètres carrés.

Peu d’impôts, peu d’emplois

Or, certains de ces data centers utilisent autant d’électricité qu’une petite ville. Le chiffre qui circule le plus souvent estime qu’ils pèsent pour 2% de la consommation mondiale d’électricité. S’ils sont si voraces en énergie, c’est qu’il faut non seulement alimenter les serveurs, mais en plus les refroidir et prévoir plusieurs systèmes pour prendre le relais en cas de panne d’électricité. Des batteries peuvent, par exemple, assurer la transition en cas de micropanne de quelques minutes, ou des groupes électrogènes au fioul en cas de pépin plus long. Résultat ? « Seuls 30 % de l’électricité consommée par un data center seraient effectivement utilisés par les systèmes informatiques, écrit l’ingénieur David Leicher, dans un rapport publié au mois d’août 2013 sur les data centers de Plaine Commune, agglomération qui regroupe neuf communes de la Seine-Saint-Denis. Le reste étant consommé principalement par les équipements de refroidissement, puis ceux de secours, de sécurité, l’éclairage, etc. »

Proximité avec Paris, foncier abordable en Ile-de-France, bonnes infrastructures électriques et de télécommunication, le territoire de Plaine Commune a tout pour attirer les usines du Net. Sur les neufs communes (Aubervilliers, Epinay-sur-Seine, L’Ile-Saint-Denis, La Courneuve, Pierrefitte-sur-Seine, Saint-Denis, Saint-Ouen, Stains, Villetaneuse), on en compte une quinzaine et plusieurs projets en cours.

Une aubaine pour les communes qui les accueillent ? Pas forcément. « Les retombées fiscales d’un data center ont beaucoup diminué depuis la réforme de la taxe professionnelle », souligne le rapport de David Leicher. Et chaque structure « crée très peu d’emplois directs : un emploi à temps plein par 10 000 m2 pour un data center de Saint-Denis. » Par ailleurs, ces goinfres énergétiques réservent auprès de leur fournisseur d’électricité une puissance supérieure à leurs besoins, au cas où, ce qui peut créer une « précarité énergétique locale ». Et toute la chaleur dégagée est-elle récupérée pour chauffer, par exemple, des bâtiments publics ? Que nenni. Seule bonne nouvelle : « Depuis la publication de ce rapport, les data centers sont devenus une question politique, assure aujourd’hui Michaël Evrard, délégué général de l’Alec (Agence locale de l’énergie et du climat de Plaine Commune, qui a publié le rapport de 2013), alors qu’avant c’était un non-sujet. »

Piscine chauffée et connectée

Des data centers plus verts, c’est donc possible ? A l’évidence. Et beaucoup d’expériences vont dans ce sens. Certains réduisent leur consommation. En 2012, la Macif optimisait les performances énergétiques d’un de ses deux data centers internes, en jouant, par exemple, sur une climatisation en circuit fermé, et faisait baisser sa facture d’électricité de 30%. D’autres récupèrent la chaleur produite. A Val d’Europe (Seine-et-Marne), le data center de la banque Natixis chauffe depuis le mois de septembre 2013 un centre aquatique et une pépinière d’entreprises. Quant à l’ingénieur Paul Benoît, il a inventé le « radiateur-data center », un chauffage électrique dont les résistances sont remplacées par des processeurs connectés au réseau. Son Q.rad équipe déjà une centaine de logements sociaux à Paris. Même Greenpeace soulignait les progrès du secteur, en avril 2014, dans un rapport intitulé « Clicking Clean » (« cliquer propre ») : « Six grandes marques du “cloud” – Apple, Box, Facebook, Google, Rackspace et Salesforce – se sont engagées à alimenter leurs data centers avec 100% d’énergie renouvelable et donnent déjà les premiers signes de l’accomplissement de leur promesse. » Apple a, par exemple, construit des fermes solaires pour alimenter ses data centers du Nevada et de Caroline du Nord, aux Etats-Unis. Des efforts à suivre.