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Doggy bag, pourquoi la France tarde à s’emballer
jeudi, 18 décembre 2014 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Si pour les Canadiens et les Américains, emporter ses restes va de soi, les Français, au moment de l’addition, jouent les timides. Aujourd’hui, des initiatives émergent pour décomplexer les convives.

Vous voilà attablé devant une tarte citron meringuée. Souci : les lasagnes avec supplément de parmesan pèsent encore fort lourd sur votre estomac. Il faut vous rendre à l’évidence : vous avez eu les mirettes plus grosses que le bedon. Que faire ? Laisser la tarte filer vers le fond d’une poubelle ou demander, dans un chuchotement inaudible, s’il vous serait possible de l’emporter avec vous. Confrontés à cette question, les Français répondent massivement par l’inaction. Selon un sondage mené en 2013 par la Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la Forêt de Rhône Alpes (Draaf en plus concis), 70 % des personnes interrogées n’ont jamais formulé cette requête parce qu’ils ont« honte » (à 40%), parce que « ça ne se fait pas » (à 45%), parce qu’ils n’y ont « même pas pensé » (à 31%). « La plupart du temps, les gens ont peur de passer pour des radins, décrypte Elisabeth Manzon, chef de projet alimentation de la Draaf Rhône-Alpes. Emporter chez soi, c’est plutôt l’attitude des grands mères à la campagne. Avec la société d’abondance, jeter est devenu un peu normal. Ça montre qu’on peut se le permettre. » Mais ce n’est pas le seul frein : « Au pays de la gastronomie, les gens pensent que le plat emporté sera moins bon, moins joli que lorsqu’il avait été préparé par le restaurant pour être mis dans l’assiette », poursuit-elle. 

Résultat, on gaspille à plein tube. Selon une étude de 2011 chapeautée par le ministère de l’Agriculture, la restauration commerciale occasionne une perte de 211 grammes par personne et par repas. Certes, tout n’est pas la faute du convive : sont compris aussi dans ce grammage les déchets occasionnés en cuisine, les invendus délaissés au frigo…. Il n’empêche. Portion mal calculée, client trop gourmand, 59 % des gens boudent parfois leur assiette au restaurant, assure encore la Draaf. Pourtant des solutions existent. Parmi, elles, le doggy bag à la mode nord-américaine.

Des restaurateurs qui improvisent à l’heure de l’addition

Dans le sillon de son étude et pour répondre, à sa manière, aux défis lancés par le Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire (1), la région Rhône Alpes s’est lancé dans l’aventure en créant son estampille. Point de « sac pour toutou » cette fois mais un « Gourmet bag », à la dénomination jugée plus valorisante. En clair, si elle ne distribue pas physiquement les sacs, elle met, sur son site Internet, à la disposition de tous les restaurateurs de la région, des autocollants « C’est si bon, je finis à la maison » à apposer sur leur vitrine, leur menu et des flyers à imprimer. Autant d’outils qui permettent aux restaurateurs d’afficher fièrement aux yeux de leurs clients timides qu’ils s’adonnent à la pratique.

Des autocollants pour informer le client, c’est bien. Des contenants prévus pour lui faire emporter ses restes, c’est mieux, assurent quelques start-ups qui ont investi le marché. Car, jusqu’ici, les quelques restaurateurs qui s’aventuraient à proposer le service, improvisaient à l’heure de l’addition. Or, « je trouve ahurissant qu’on lutte contre le gaspillage en créant de nouveaux déchets, en fournissant des boîtes en plastique, en polystyrène qui finissent à la poubelle », souligne Rabaïa Calveyrac, cofondatrice de « Trop bon pour gaspiller ». Face à ce constat et après cinq années éclairantes passées au Canada, elle et son mari ont conçu des boîtes 100 % recyclables, compostables et fabriquées en France proposées aux restaurateurs pour 80 centimes à 1,20 euro l’unité. Même démarche pour « Take away », une petite start-up lyonnaise montée par trois jeunes étudiants en école de commerce qui ont misé sur le « côté tendance, design » de leur boîte, explique Nicolas Duval, l’un des cofondateurs. Là encore, la société fournit une série d’outils marketing (flyers, stickers…), pour en finir avec le quiproquo tissé entre client et restaurateur sur le mode « Moi on ne me le propose pas. Moi on ne me le demande pas. »

Oui, c’est bien légal

Mais fournir un contenant suffira-t-il ? Après tout, si la mode n’a pas pris jusqu’ici dans nos contrées, c’est pour bien des raisons.« On a des quantités servies moins importantes qu’aux Etats-Unis ou au Canada », décrypte par exemple Jean Chauvin, cofondateur de Rest-o-Resto, un annuaire en ligne recensant les établissements qui proposent des doggy bags. Il n’empêche. « Il y en a qui vont dire qu’ils n’en ont pas besoin, que chez eux, tout le monde finit son assiette. Mais il y a forcément des petits appétits au restaurant », souligne Fabrice Moya, restaurateur lyonnais, qui propose le service à ses clients. Au registre des convives dotés d’un appétit de moineau : les enfants et les personnes âgées. « Ça n’arrive pas souvent que les gens ne finissent pas leur assiette. Sauf pour les desserts. Ils n’osent pas demander d’emporter ce qui reste mais quand on leur propose ils ne disent pas non », souligne Nicolina Severino, gérante du Fréquence Café à Grenoble, adepte du doggy bag. 

Mais surtout, « le principal frein pour les restaurateurs c’est qu’ils pensent qu’ils n’en ont pas le droit », rapporte Elisabeth Manzin. Ou qu’ils prennent des risques à le faire. Aussi, la DRAAF Rhône-Alpes s’est-elle efforcée de rappeler, dans une note réglementaire que « rien ne s’oppose à emporter ce qui n’a pas été consommé d’un plat ou d’un menu au restaurant. Cette pratique relève du secteur domestique privé pour lequel le Paquet Hygiène ne s’applique pas. » En clair, la responsabilité du restaurateur s’arrête une fois la nourriture passée la porte de son établissement. Reste quelques règles d’hygiène qu’il pourra suggérer à son client : mettre son plat au frigo, le manger vite… Les dernières réticences des professionnels enfin sont liées à l’habitude. « A l’école hôtelière, on n’est pas aidé, souligne Fabrice Moya, le restaurateur lyonnais. Quand j’étais élève, on jetait tout ce qu’on produisait. Aujourd’hui c’est en train de changer. Il y a une prise de conscience de l’importance de la nourriture. »

(1) En juin 2013, le gouvernement a adopté le Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire. Objectif ? diminuer par deux le gapillage alimentaire en France d’ici à 2025. Dans un rapport qui le précédait, la piste du doggy bag était évoquée comme outil de lutte contre le gaspillage : « Il convient d’agir directement sur les restaurateurs, en incitant voire en obligeant ces derniers à proposer les restes au client, voire en les obligeant à les donner au client qui les demande, ainsi que de lui fournir un emballage approprié si le client n’en a pas apporté », précisait le texte (voir page 29).

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Un atout marketing pour les restaurateurs

Rassurés sur la légalité de la pratique et mieux formés, les restaurateurs peuvent donc aujourd’hui franchir le pas. Et en tirer – au delà de la satisfaction de ne pas voir leur travail finir à la poubelle –, un bénéfice économique. « La motivation du restaurateur n’est pas forcément écolo, assure ainsi Nicolas Duval de Take Away. C’est aussi une manière de valoriser son image, d’offrir un nouveau service – le droit d’emporter sa bouteille ou son plat non terminé - à sa clientèle. » « Pour les restaurateurs qui le mettent en place, c’est un avantage concurrentiel, abonde Elisabeth Manzon. C’est très approuvé de la clientèle anglo-saxonne qui fréquente notamment nos stations de ski. »