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Accord sur le climat : et si Etats-Unis et Chine ne parlaient pas la même langue ?
mardi, 2 décembre 2014 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Début novembre, Américains et Chinois s’entendaient sur la baisse de leurs émissions de CO2. Un texte « historique », selon beaucoup. Mais qu’en pensent les intéressés ? Un spécialiste américain et un chinois répondent.

Le 12 novembre, lors d’une rencontre à Pékin, la Chine a déclaré avoir l’intention d’atteindre son pic d’émissions de gaz à effet de serre en 2030 avant d’entamer la descente. Les Etats-Unis, de leur côté, promettent de réduire leurs émissions de 26% à 28% par rapport à 2005 et ce, à l’horizon 2025. Si pour Billy Pizer, professeur d’économie américain, ex-membre de la délégations américaine pour les négociations climatiques, l’accord cache d’autres intentions, pour Li Junfeng, rencontré lors du sommet Chine-Europe qui s’est ouvert ce 2 décembre à Paris, c’est une simple déclaration conjointe.



Billy Pizer est professeur d’économie à l’université américaine Duke. Délégué au Trésor, il a fait partie de la délégation américaine pour les négociations climatiques entre 2008 et 2011.

Terra eco : Pensez-vous que le deal entre les Etats-Unis et la Chine soit aussi historique que l’on a pu le dire en Europe ?

Historique, je ne sais pas. Disons qu’il est significatif pour deux raisons qui révèlent un changement de paradigme intéressant. D’abord parce que – comme ça a beaucoup été dit – la Chine a accepté de fixer une limite en termes absolus pour la première fois. Ils n’ont pas avancé de chiffres pour 2030 (la Chine s’est simplement engagée à atteindre son pic d’émissions en 2030 avant d’entamer la descente, voir notre article, ndlr). Certes, on peut penser qu’ils vont émettre un maximum pour se réserver une marge de manœuvre en 2030. Mais honnêtement, je pense qu’ils essayent déjà largement d’agir – en décarbonant leur secteur énergétique, notamment en limitant le recours au charbon. Et je ne pense pas que limiter leurs émissions en 2030 soit vraiment très compliqué. La deuxième raison pour laquelle cet accord est significatif, c’est qu’il a été négocié en dehors des Nations unies. Pourtant, quand je faisais partie de la délégation américaine, la Chine semblait très réticente à s’engager en dehors de ce cadre, qu’elle jugeait plus favorable à ses intérêts, parce que la pression y était forte sur les Etats-Unis et moins sur elle. Pourquoi alors signer un accord dans un cadre moins favorable ?

Oui, pourquoi ?

Parce qu’elle voulait sans doute, par cet accord, s’entendre avec les Etats-Unis sur d’autres points. Rappelez-vous quand la Russie a accepté de ratifier le protocole de Kyoto en 2004 (un pas essentiel pour sauver le protocole après le refus des Etats-Unis de ratifier le texte, ndlr) : c’était aussi parce que c’était un moyen pour eux de gagner leur entrée dans l’Organisation mondiale du commerce. Aujourd’hui, les Etats-Unis sont en train de signer un accord de libre-échange avec l’Europe (encore en négociation, le traité de libre-échange transatlantique Tafta prévoit la création d’une zone de libre échange entre douze nations en 2015, ndlr) dans lequel la Chine n’est pas incluse. Pendant ce temps, la Chine tente de mettre sur pied son propre marché de libre-échange asiatique (la zone de libre-échange de l’Asie-Pacifique, ndlr), mais les Etats-Unis s’acharnaient jusqu’ici à le faire capoter. Ils ont désormais promis de ne plus s’y opposer. Les Chinois ont obtenu cela lors du même sommet.

On évoque toujours les relations entre la Chine et les Etats-Unis comme très conflictuelles sur le sujet du climat. Est-ce vraiment le cas ?

Disons que ce sont des relations compliquées. Certes, les Etats-Unis veulent des choses auxquelles les Chinois sont complètement opposés et vice-versa. Mais certains éléments les rapprochent. Ce sont deux vastes pays qui émettent beaucoup et ont un poids économique important. Par ailleurs, dans les négociations, ils se préoccupent tout deux de préserver leur souveraineté. Tandis que les pays de l’Union européenne – qui sont souvent perçus comme ayant renoncé partiellement à leur souveraineté – semblent plus à l’aise dans le cadre des instances internationales, comme le Fonds monétaire international, par exemple.

Si elle s’est engagée, c’est que la Chine voulait que les Etats-Unis cessent les hostilités sur le front de leur accord de libre-échange. Mais inversement, quel était l’intérêt des Etats-Unis à mener des négociations bilatérales ?

De pousser la Chine à annoncer publiquement une limite à ses émissions. Le but de l’administration américaine a toujours été de mettre la Chine et les Etats-Unis sur un pied d’égalité sur le front du climat. Un traité qui prévoirait une action américaine mais ne serait pas symétrique ne pourrait convaincre les Américains. Et vu l’importance grandissante de la Chine sur la scène internationale, ils veulent voir qu’elle fait des efforts.

Comment pensez-vous que les Etats-Unis vont se présenter à la COP de Paris, en 2015 ?

Ils ont déjà mis sur la table une limite chiffrée, de l’argent. Je ne pense pas qu’il y aura grand-chose d’autre. Mais ils vont sans doute utiliser ces leviers pour pousser les autres pays à s’engager à leur tour. L’objectif des Etats-Unis est surtout d’établir une structure pour un accord. Ils veulent une architecture durable avec un mécanisme de vérification transparent plus qu’ils ne veulent des objectifs chiffrés ambitieux pour 2020 ou 2025. On pense toujours qu’un accord signé va régler tous les problèmes. Mais c’est un biais cognitif appelé « biais d’action unique » (« single action bias » en anglais) : on prend une initiative pour réduire le problème qui nous préoccupe et on passe à autre chose. Là, c’est pareil. Le problème climatique ne sera pas résolu par un simple traité.

Pensez-vous que l’engagement américain pourrait pousser les Canadiens et les Australiens à s’engager à leur tour ?

Je ne sais pas. Peut-être. Le Canada, au fil des années, a eu effectivement tendance à s’inspirer du modèle américain, parce qu’il est dans une situation de libre-échange avec eux. Idem pour l’Australie. Mais il y a aussi des considérations intérieures à prendre en compte. A quel point pèsent-elles dans les négociations internationales ? Les Etats-Unis voudront que chacun fasse sa part et attendront des pays un soutien pour qu’une structure durable soit mise en place.



Li Junfeng est le Monsieur Climat de la Chine. En version longue, il est le directeur du Centre national de stratégie sur le climat et de la Commission nationale pour le développement et la réforme). Sa mission ? Informer et conseiller les autorités chinoises en vue des négociations climatiques et travailler au développement d’une économie bas carbone.

Beaucoup de gens se félicitent de l’accord signé entre les Etats-Unis et la Chine en octobre. Qu’en pensez-vous ?

Ce n’est pas un accord, c’est une déclaration commune. La Chine et les Etats-Unis ont juste indiqué leurs positions respectives. Ça ne veut pas dire que la Chine s’est engagée auprès des Etats-Unis ou que les Etats-Unis se sont engagés auprès de la Chine. Ils ont donné, chacun, leur position un an avant la conférence de Paris. C’est tout.

En Europe , tout le monde a crié à l’évènement historique. Même s’il ne s’agit pas d’un accord, cette rencontre est-elle importante pour vous dans le processus politique de lutte contre le changement climatique ?

Oui, pour trois raisons. D’abord parce que ce sont deux grandes nations. D’un côté, vous avez l’un des plus grands pays développés ; de l’autre, l’un des plus grands pays en développement. C’est important aussi parce que c’est une preuve de l’importance accordée au principe de responsabilité commune mais différenciée [1] C’est important de distinguer les pays développés des pays en développement et de distinguer les pays en développement entre eux. Dans les années 1990, la Chine représentait une minime partie de l’économie mondiale. Il y a peu, elle pesait pour 10% des émissions mondiales, mais tout cela a radicalement changé.

Enfin, si elle est importante, c’est qu’une telle déclaration portée par la Chine et les Etats-Unis peut inspirer confiance, encourager les autres nations à faire à leur tour des déclarations dès le début 2015, comme l’ont demandé les chefs d’Etat lors de la COP de Varsovie (en novembre 2013, ndlr). Maintenant que l’Europe (avec un objectif de réduction de 40% en 2030, ndlr), la Chine et les Etats-Unis ont posé leurs objectifs sur la table, nous espérons que d’autres pays feront de même.

Les Etats-Unis et la Chine sont souvent vus comme ayant des positions très antagonistes sur la question climatique. Etait-il difficile de parvenir à s’entendre pour aboutir à cette déclaration commune ?

Mais ce n’est pas vrai. En 2009, avant la COP de Copenhague, la Chine et les Etats-Unis avaient déjà fait une déclaration commune (à l’époque les deux pays avaient affirmé conjointement que le changement climatique était « l’un des plus grands défis de notre temps, », qu’une « réponse vigoureuse était nécessaire » et une « coopération internationale » indispensable, ndlr) sur le changement climatique. La seule différence, c’est que cette fois, ils ont donné un chiffre. Mais il existe déjà une coopération entre les deux pays.

Et avec l’Europe et la Chine…

Nous sommes encore plus proches. Nous coopérons déjà dans de multiples domaines : les énergies renouvelables, le nucléaire – la France a notamment participé à la construction des centrales nucléaires –, le secteur high-tech, le marché carbone – nous nous sommes inspirés du marché européen d’échange de CO2 pour instaurer les nôtres –, l’économie bas carbone… Il y a tant de domaines. Ce qui est sûr, c’est que la Chine a besoin d’aide. Il a fallu trente ans à la Chine pour réduire le problème de pauvreté ; il lui en faudra autant pour limiter la pollution.

Pourquoi, selon vous, la Chine travaille de plus en plus à combattre le changement climatique ?

Non, ce combat n’est pas nouveau. La Chine contribue depuis longtemps à la lutte contre le changement climatique. Avant Copenhague, nous avions annoncé un objectif de réduction de 40% à 45% de notre intensité carbone en 2020. Récemment, nous avons fixé un nouvel objectif d’atteindre un pic d’émissions en 2030. Sauf que jusqu’à récemment, nous ne communiquions pas sur le sujet. Aujourd’hui, les Chinois sont plus ouverts. Il y a vingt ans, trente ans, les gens étaient timides, ils ne parlaient pas anglais. C’était juste une question de communication.


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