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Pourquoi les femmes roulent-elles moins à vélo ?
vendredi, 26 septembre 2014 / Thibaut Schepman /

Non, nous n’avons pas à « sauver la planète ». Elle s’en sort très bien toute seule. C’est nous qui avons besoin d’elle pour nous en sortir.

Réponses : parce que notre société est inégalitaire et parce que nos villes sont pensées pour les voitures. Et, tant mieux, on connaît les solutions.

Les Français recommencent, doucement, à rouler à vélo. Les dernières bonnes nouvelles en date viennent d’Ile-de-France où les études concordent : les Franciliens sont de plus en plus nombreux à enfourcher un cycle chaque jour. Sauf que les Franciliennes, elles, restent en queue de peloton. Et elles ne sont pas les seules : en France, les femmes roulent en moyenne moins à vélo que les hommes.

« C’est une constante depuis les années 1970, on constate qu’il y a toujours une minorité de femmes parmi les cyclistes, on a toujours environ 60% d’hommes et 40% de femmes », confirme Jérémy Courel, chargé d’études à l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Ile-de-France (IAU) et co-auteur d’une étude à paraître sur le sujet (voir ses conclusions sur la répartition homme-femme dans l’encadré en bas de cet article).

Un miroir de l’inégalité homme-femme

Mais pourquoi diable les femmes roulent-elles donc moins à vélo ? Dans un texte où elle présente le biclou comme un outil d’émancipation de la femme, l’historienne Anne-Marie Clais rappelle que la morale a d’abord empêché aux femmes de rouler à vélo. Avant que le vélocipède ne lui permette, progressivement, de casser certains codes – comme mettre un pantalon – mais aussi « introduire le mouvement et la vitesse dans un monde qui voulait croire en son immobilité ».

Le déséquilibre homme-femme est-il un héritage de cette époque ? « Il y a toujours une part de représentations psycho-sociologiques, certaines femmes ne peuvent toujours pas se permettre d’aller au travail avec une tenue adaptée au vélo », estime Dominique Riou, chargé d’études à l’IAU d’Ile-de-France. Son collègue, Jérémy Courel, avance un autre facteur, lié à une autre inégalité homme-femme : « On sait que les femmes ont des types de déplacements différents, c’est principalement elles qui font certains achats et vont chercher les enfants à l’école par exemple, ce qui peut décourager dans la pratique du vélo. » L’économiste Frédéric Héran, récent auteur de Le retour de la bicyclette (La Découverte, 2014), rappelle également que « la plupart des adultes qui ne savent pas rouler à vélo sont des femmes ».

Ainsi, dans la vélo-école de Montreuil – la plus grande de France – on compte « près de 90% de femmes », principalement « des femmes salariées antillaises ou issues de l’immigration africaine », assure François Fatoux, son fondateur. Mais, pour lui, ne pas savoir faire du vélo n’est pas le principal frein chez les femmes. « La plupart de ces femmes rêvent d’apprendre à rouler à vélo parce qu’autour d’elles tout le monde sait en faire. Mais ça ne veut pas dire qu’elles vont devenir cyclistes au quotidien. Déjà, la quasi-totalité des Français qui ont appris à rouler à vélo dans leur enfance n’imaginent même pas aller au travail à vélo, alors pour nos élèves ce n’est même pas concevable, à part quelques exceptions. »

A Copenhague, la parité de la pédale est atteinte

Ce n’est donc pas – seulement – en apprenant aux femmes à rouler à vélo qu’elles l’enfourcheront. Pour Frédéric Héran, le premier obstacle à contourner, c’est le risque. « Si les hommes roulent plus que les femmes à Paris, c’est que les hommes sont plus téméraires face au trafic et à la vitesse », estime-t-il. La preuve : « Dans les villes où la mobilité à vélo est facilitée et apaisée, les hommes et les femmes se déplacent autant à vélo. A Strasbourg, où l’on compte un nombre important de cyclistes, la part des femmes est presque aussi importante que celle des hommes. A Copenhague, les femmes sont même majoritaires parmi les cyclistes. »

Emmanuelle Amoros, chercheuse à l’Ifsttar (Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux), confirme : « La question a été peu étudiée mais si l’on regarde les accidents on retrouve plus d’accidents graves chez les hommes et plus d’accidents de montée et descente de trottoirs chez les femmes, ce qui pourrait montrer que les hommes prennent plus de risques et que les femmes ont plus tendance à utiliser le trottoir par peur des voitures sur la chaussée. »

Faut-il faire des efforts spécifiques pour lutter contre cette peur et inciter les femmes à faire du vélo ? Ce serait faire fausse route. « Si on atteint la parité mais qu’il y a encore aussi peu de vélo, franchement, ça ne sert à rien. L’objectif c’est que le vélo devienne un mode de transport important dans les villes, à une époque où les budgets sont contraints c’est un énorme levier pour dynamiser la mobilité, pour faciliter l’accès à certaines zones d’emplois par exemple. Ensuite l’amélioration du trafic global à vélo suffira à attirer plus de femmes », estime Dominique Riou. On savait que plus il y a de vélos moins le risque d’accident à dos de cycle est grand. On sait désormais que le cercle vertueux se poursuit : moins il y a d’accidents, plus les femmes sont susceptibles d’entrer dans la course.


Les hommes et les femmes à vélo, même comportement

« Quand elles font du vélo, les femmes ne le font pas d’une manière différente des hommes », précise Jérémy Courel. La preuve par les chiffres de l’Ile-de-France où :

- Les 150 000 hommes cyclistes font 2,6 déplacements par jour, avec une moyenne de 2,3 km par déplacement

- Les 100 000 femmes cyclistes font 2,7 déplacements par jour, avec une moyenne de 1,7 km par déplacement

La seule différence entre les hommes et les femmes ? « Les femmes se déplacent un tout petit peu plus mais sur des distances un peu plus faibles, notamment parce qu’elles font moins de très longs déplacements que les hommes, elles font en fait très très peu de déplacements de plus de 6 kilomètres », poursuit le chercheur.


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