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Ce Saint-Siège que l’on ne saurait voir
jeudi, 25 septembre 2014
/ Mathilde Auvillain
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Côté cour, au Vatican, il y a la basilique Saint-Pierre, qui attire des millions de touristes chaque année. Côté jardin, la vie du plus petit Etat du monde s’écoule lentement, entre billets roses et série noire…
Sept heures du matin, la coupole de la basilique Saint-Pierre a disparu sous la brume. Etrange et fugace mirage qui s’estompe aux premiers sons de cloche. Le jour se lève tandis que, dans la petite chapelle de la résidence Sainte-Marthe où il habite, le pape François célèbre déjà la messe. Le campanone, bourdon de Saint-Pierre, résonne gravement. Sur la place, touristes et curieux commencent à affluer. Même si 5,5 millions de personnes ont visité les musées du Vatican en 2013 et au moins autant sont entrées dans l’imposante basilique Saint-Pierre, ce qu’ils ont vu n’est que la façade d’une ville dans la ville. Derrière les hautes et épaisses murailles qui enserrent le plus petit Etat du monde se cache une vie quotidienne à mi-chemin entre le mythe et la réalité.
« Halte ! » Un garde suisse en livrée filtre les entrées à la porte Sainte-Anne. C’est ici que commence ce qu’un touriste ne peut pas voir. Pas un pas de plus sans exhiber le sésame, la carte plastifiée attribuée uniquement aux employés de l’Etat de la Cité du Vatican. Des postiers aux pompiers, des ouvriers aux journalistes, des banquiers aux médecins, des artistes aux cuisiniers, environ 4 000 personnes travaillent au Vatican. Sans compter les cardinaux, évêques ou personnages bien introduits que les gardes suisses reconnaissent de loin, malgré les vitres fumées de leurs berlines, et laissent passer sans sourciller. Hormis le pape, résident permanent et monarque absolu, seules 450 personnes environ résident effectivement au Vatican. Les sujets du souverain pontife sont principalement des cardinaux, des prêtres employés dans les différentes institutions, les gardes suisses, mais aussi des religieux et des laïcs au service du pape et de l’intendance générale. Il n’existe cependant pas de citoyenneté vaticane à proprement parler, mais plutôt une forme de résidence « diplomatique ».
L’Etat de la Cité du Vatican a aussi ses faits divers. La disparition le 22 juin 1983 d’Emanuela Orlandi, citoyenne du petit pays et fille d’un employé de la préfecture de la maison pontificale, est considérée comme l’un des plus grands mystères de l’histoire criminelle italienne. Le bain de sang du 4 mai 1998 au Vatican alimente encore, lui, tous les fantasmes. Ce matin-là, Aloïs Estermann, chef des gardes suisses nommé la veille, son épouse et un jeune vice-caporal ont été retrouvés morts dans un appartement de la curie. Les enquêteurs ont conclu à un assassinat, doublé d’un suicide. En 2007, le premier procès pour trafic de drogue au Vatican a, à son tour, défrayé la chronique. Un employé cachait de la cocaïne dans le tiroir de son bureau au gouvernorat – siège du gouvernement de l’Etat de la Cité du Vatican.
Patte blanche et jet privé
De lourds soupçons de blanchiment d’argent pèsent sur l’Institut pour les œuvres de religion (IOR), plus connu comme la Banque du Vatican. Le « trésor du pape » est bien gardé dans une tour crénelée. Pour y pénétrer, il faut d’abord franchir un sas, puis montrer patte blanche. Le hall arrondi de la banque résonne du chuchotement mécanique des compteuses de billets. L’IOR, principale institution financière du Saint-Siège, instituée en 1942 par Pie XII, a pour fonction de gérer le denier de Saint-Pierre (1) et ne devrait servir, en théorie, qu’à gérer les fonds destinés à la charité et aux ordres religieux dans le monde. Religieux et employés du Vatican sont les seuls autorisés à y ouvrir un compte.
La sainte institution bancaire n’a cependant pas été épargnée par les scandales. Un prélat, surnommé « Monseigneur 500 euros » en raison de son goût prononcé pour les billets roses, a ainsi été accusé d’avoir blanchi de l’argent de particuliers – entrepreneurs, avocats, médecins – en mettant sur pied un système de fausses donations. Selon les enquêteurs, Mgr Scarano, ancien chef de la comptabilité de l’Apsa, l’Administration du patrimoine du siège apostolique, encaissait des faux dons sur son compte au Vatican, puis reversait l’argent en liquide à ses « clients », qui se retrouvaient ainsi exemptés de taxes.
Arrêté à sa descente d’un jet privé, après avoir tenté de faire passer clandestinement 20 millions d’euros en Suisse pour le compte d’une famille d’armateurs napolitains de sa connaissance, l’homme est aujourd’hui incarcéré dans les geôles de la prison de Regina Coeli, à quelques centaines de mètres du Vatican, sur le territoire italien. « L’IOR peut facilement devenir un vecteur de blanchiment d’argent d’origine criminelle », affirment les magistrats romains, qui enquêtent depuis plus de quatre ans sur les transactions suspectes en lien avec la banque du Vatican. « Des personnes privées, parce qu’elles bénéficient d’une relation privilégiée avec le Saint-Siège, peuvent effectuer des dépôts d’argent et ouvrir des comptes », écrivaient-ils dans un rapport d’enquête en 2013. A peine élu, en mars de la même année, le pape François a fait de la réforme de l’IOR un de ses chantiers prioritaires. Au mois de juillet, il a fait fermer 762 comptes jugés « irréguliers » et réformé la gouvernance de l’institution.
Halte ensuite à la pharmacie du Vatican, la seule de Rome à vendre certains médicaments et vaccins rares ou indisponibles dans les autres officines italiennes… et à ne pas vendre de pilules contraceptives. « Pour y entrer, il faut avoir l’ordonnance d’un médecin, qu’il soit ou non conventionné avec le Vatican », explique la pharmacienne. Le petit Etat dispose en effet de son propre système de santé et de protection sociale pour ses employés. Les praticiens, de l’hygiéniste dentaire à la gynécologue, du cardiologue au pédiatre, sont tous rigoureusement catholiques, de préférence pratiquants et « objecteurs de conscience ». Ces médecins, pour la plupart résidents, diplômés et exerçant libéralement en Italie, refuseront donc d’accomplir des actes allant à l’encontre de la doctrine sociale de l’Eglise catholique, qui interdit, par exemple, la contraception et l’avortement.
Ici, les femmes laïques n’ont qu’à bien se tenir. Pas question d’entrer dans la Cité avec les épaules découvertes, même au cœur du caniculaire été romain. La compensation, pour les plus frivoles, se trouve dans l’ancienne gare du Vatican, transformée sous le pontificat de Jean-Paul II en magasin de luxe. Une insoupçonnable caverne d’Ali Baba située à quelques dizaines de mètres seulement du couvent des sœurs de Calcutta, qui accueillent et distribuent chaque jour de la nourriture à des centaines de sans-abri. A l’entrée du magasin, une vitrine blindée protège un arsenal de montres suisses, plus chères les unes que les autres. Une volée de marches et voilà les alignements de costumes et de tailleurs des plus grands couturiers, de chaussures en cuir véritable made in Italy, de collections de dessous griffés exposés sous les imposantes armoiries du Saint-Siège… Au rez-de-chaussée, la parfumerie, l’électroménager et le bureau de tabac débordent de clients. Là, les cigarettes se vendent par centaines, comme dans un duty free d’aéroport. « A la place de ce magasin, on préférerait qu’il y ait une crèche pour les enfants », chuchote une employée.
(1) Tribut annuel versé par les fidèles à la papauté.
Ainsi naquit le plus petit état du monde
L’Etat de la Cité du Vatican tel qu’il existe aujourd’hui résulte des accords du Latran, signés en 1929 par le pape Pie XI et Benito Mussolini. Ces textes ont mis fin à la délicate et complexe « question romaine », née en 1870 après l’unification italienne et l’annexion des Etats pontificaux par le Royaume d’Italie. Les accords du Latran comprennent un traité et un concordat, qui règlent les questions politiques, religieuses et financières entre l’Italie et le Saint-Siège. L’Italie y reconnaît la souveraineté absolue du pape – chef temporel du Vatican détenant tous les pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) – sur 44 hectares de territoire. La Cité du Vatican dispose de services publics propres à un Etat (poste, pompiers, hôpital…), sa langue officielle est l’italien et sa monnaie, l’euro. —
Le mois prochain, retrouvez notre reportage à la City à Londres.
L’Affaire Emanuela Orlandi, de Roberta Hidalgo (Croce Libreria, 2012)