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1/3 Pollutions intérieures  : 24 heures chrono
lundi, 26 octobre 2009 / Louise Allavoine , / Rocco , / Stéphane Horel

Dans les pays riches, nous passons entre 80 % et 90 % de notre temps à l’intérieur, à respirer un « bon » air pollué. La faute aux multiples molécules chimiques des matelas, moquettes, déodorants, ordinateurs et autres poêles à frire. Alors que les médecins pointent leur impact sur notre santé, nous vous proposons de passer 24 heures ensemble pour traquer ces embusqués et trouver des solutions. Et l’on commence tout naturellement au saut du lit pour une matinée au peigne fin.

8h30 : Je me réveille et je redoute le shampoing

Tous les matins du monde sont difficiles. Et encore plus depuis que je sais. Parfois, quand je titube vers la salle de bains, les objets se brouillent, se transforment en formules chimiques, en statistiques de cancer, ou en courbes de QI qui piquent du nez. Je suis comme Neo dans Matrix qui voit les parois de la réalité en plaques de code informatique. Des noms barbares infusent mon chez moi. Mon environnement quotidien est truffé de chimie. Les mots abscons au dos du déodorant sont aussi des ingrédients de mon corps.

En 2007, une équipe de scientifiques danois a déshabillé 26 volontaires. Tous les jours pendant quinze jours, elle les a tartinés de crème au butylparaben et aux phtalates. Les parabens sont des conservateurs très pratiques pour les produits cosmétiques. Les phtalates, eux, font office de solvants. Une heure après l’application, les substances ont fait un pic dans le sang des types en slip. Bon à savoir, car elles appartiennent à la famille des perturbateurs endocriniens. Les parabens imitent les hormones sexuelles féminines – les œstrogènes. Les phtalates sont plutôt du genre à bloquer la testostérone. Une chercheuse britannique a trouvé des parabens dans des tumeurs du sein.

Aucun lien de cause à effet, mais de quel droit des éléments conservateurs viendraient-ils se nicher dans MES seins ? Alors progressivement, j’ai remplacé. Mon shampoing tient dans un bidon d’un litre avec « familial » et « bio » écrits dessus. Le mascara est parti à la poubelle. Au risque de me retrouver avec les paupières de Philippe Seguin. J’ignore en revanche ce que contient mon parfum, mon seul luxe. Rien n’est inscrit sur le flacon. Très probablement des muscs synthétiques qui perturbent les hormones mâles et femelles dans les tubes à essais. Je n’en mets plus sur la peau. Des scientifiques suisses en ont repéré dans des échantillons de lait maternel.

COMMENT Y REMÉDIER

Les cométiques bio

Pour éviter les substances suspectes, il suffit d’avoir toujours sur soi un Larousse médical (à peine 3 kg) ou de passer l’agrégation de biochimie (les doigts dans le nez). Sinon, on peut choisir les cosmétiques bio disponibles en magasins spécialisés et dans certains instituts de beauté.

Y sont proscrits : les paraffines et silicones, les parfums et colorants de synthèse, les composants irradiés ou issus d’OGM, les matières premières d’origine animale et les conservateurs de synthèse comme les parabens ou le phénoxyéthanol, sans oublier les tests sur les petites bébêtes. En cosmétique bio, la règle est d’utiliser des composants végétaux issus, chaque fois que possible, de l’agriculture bio. Mais plusieurs labels cohabitent en Europe (1). En France, deux organismes de certification, Cosmébio et Qualité France, délivrent chacun deux niveaux de certification. Comment s’y retrouver ? Grâce à une nouvelle estampille européenne harmonisée. Cosmos – pour COSmetic Organic Standard – devrait voir le jour début 2010. Elle prévoit « une augmentation du minimum bio pour les ingrédients issus de l’agriculture biologique (95 % à 100 % à terme) et que 20 % du produit final soit issu de l’agriculture biologique », indique Betty Santonnat, de Cosmébio.

(1) BDIH en Allemagne, Bioforum en Belgique, ICEA en Italie, Soil Association en Angleterre

- Cosmos Standard

- Cosmebio

- Qualité France

9h15 :Je suis au pied d’un mur d’électronique

Mon ordinateur s’allume en accord majeur. Arsenic, mercure, PVC et retardateurs de flammes bromés commencent à ronronner dans la chaleur naissante de circuits électroniques. Et, accessoirement, dans l’air que je respire. Des poumons, ces molécules fileront directement dans mes globules. Je suis polluée. Et vous aussi. La société de consommation se balade dans mes veines et mes organes sous des noms strictement inconnus. J’ai, dans mes entrailles, des résidus de shampoing – parabens –, des petits bouts de télécommande – retardateurs de flammes bromés –, des chiures de poêle anti-adhésive – PFOA –, des miettes de tongs – phtalates –, des raclures de verres de lunettes – bisphénol-A. C’est la faute aux Trente Glorieuses, au triomphe du plastique, à la confiance béate en la science. Qui s’agitaient en blouse blanche dans les laboratoires de DuPont, 3M, Dow Chemicals, Monsanto, louangées par une voix chevrottante dans les actualités des débuts du Technicolor. Qui ont lancé 100 000 substances sur le marché en moins d’un siècle sans jamais avoir testé leur toxicité.

Vissée au clavier, calculette en main, je fais le compte de tous les objets électroniques qui se trouvent autour de moi. Ordi, imprimante, scanner, disques durs externes, box, téléphones. Les industriels y ont niché des retardateurs de flammes bromés pour respecter les normes anti-incendies, ce qui est fort aimable de leur part, et obligatoire de surcroît. Sauf que les diphényléthers polybromés (PBDE) ont été interdits par l’Union européenne en 2004 : le pentaBDE est toxique pour la reproduction catégorie 2 et l’octaBDE est considéré comme potentiellement nocif pour les enfants nourris au sein. Chaque année, pourtant, 2 675 tonnes par an de ces produits étaient consommées en Europe.

Alors même qu’il existe des alternatives à cette famille de substances, les industriels l’ont remplacée par du décaBDE, que la Commission européenne a épargné. Choqués, le Parlement européen et le Danemark ont lancé des procédures légales à l’encontre de la Commission. Trop d’incertitudes demeurent sur le décaBDE, estiment-ils. Les effets de la famille des PBDE sur la santé humaine donnent des cheveux blancs aux chercheurs. Ils interfèrent avec le système thyroïdien et provoquent des troubles du développement cérébral chez les rats. Dans les labos, on les compare aux PCB (pyralène), ces produits qui polluaient tant le Rhône et la Seine qu’il a fallu y interdire la pêche en 2007. Plusieurs études montrent que les PCB ratatinent le QI des enfants. Le plomb, aussi. Et si c’était aussi le cas des PBDE ? Ces molécules aiment squatter les poussières. Peut-être est-ce pour cela que les enfants, qui vivent au ras du sol, en ont cinq fois plus dans le sang que les adultes. Une chercheuse américaine pense même qu’ils rendent les chats marteaux en piratant leur thyroïde. Les chats aussi vivent au ras du sol.

COMMENT Y REMÉDIER

Vers une high tech responsable

Depuis 2006, Greenpeace se charge d’éplucher les fibres écologiques de l’industrie électronique. L’ONG livre, tous les trois mois, un classement des 18 plus grandes compagnies du secteur. Pour décrocher la meilleure note, elles doivent satisfaire à trois familles de critères : l’élimination des substances suspectes de leurs produits, le recyclage des e-déchets et la réduction de leur impact climatique. Dans la dernière édition, publiée en septembre, 8 compagnies – seulement – obtiennent la moyenne. Nokia récolte un honnête 7,5/10 pour ses efforts sur le nettoyage des produits toxiques. Nintendo conserve son bonnet d’âne avec un ridicule 1,4/10. Apple reste, lui, en milieu de classement malgré la mise en ligne récente des données sur l’impact environnemental de ses produits.

- Greenpeace

9 h 30 : Je sors le détergent et je pense aux poissons

Il est grand temps de nettoyer cette cuisine. Pour ça aussi, j’ai changé des choses. Je ne peux plus regarder en face un flacon de détergent tout en sachant qu’une fois disparu dans le siphon, parti dans les tuyaux, arrivé dans une rivière, il transformera le sexe des poissons. Les cours d’eau, de nos jours, sont de véritables supérettes. On y trouve des antidouleurs, du parfum, de la caféine, des contraceptifs féminins. Plus des deux tiers des cours d’eau sondés en 2002 par une agence fédérale américaine contenaient des produits de dégradation de détergents ménagers.

Parmi eux, des alkylphénols qui réchappent à 65 % de leur passage à travers les stations d’épuration. Ce sont des perturbateurs endocriniens qui ressemblent furieusement à des hormones sexuelles féminines. Dans les rivières du Canada, des Etats-Unis, du Japon, d’Europe, vaquant dans un court-bouillon d’œstrogènes, les poissons deviennent donc transsexuels. Le phénomène s’appelle la « féminisation ». De l’extérieur, l’œil avisé reconnaît immédiatement un « il » avec tout ce qu’il faut chez ce gardon anglais. Mais en son for intérieur, le mâle produit à gros rendement de la vitellogénine, une protéine normalement fabriquée par les femelles pour les œufs. Ni faits ni à faire, ses testicules sont à mi-chemin des ovaires. Ses spermatozoïdes sont moins mobiles, moins nombreux, moins efficaces. Plongé en eaux véritablement propres, il finit par réduire sa production de vitellogénine, mais conserve à vie ses « semi-ovaires ».

En Angleterre et au pays de Galles, cela a commencé dans les années 1990 avec les gardons, puis le phénomène a touché les gougeons, les daurades, les carpes, et une espèce d’esturgeon. A l’origine focalisés sur quelques points en aval de stations d’épuration, les contrôles se sont étendus et ont relevé qu’un tiers des poissons mâles sont touchés au plus profond de leur virilité. Dans la nature, la perturbation endocrinienne sème ses effets depuis plusieurs décennies.

C’est même en observant leurs dégâts chez les animaux sauvages que les scientifiques ont découvert leur existence. Dans les années 1950, les aigles pygargues, symboles de l’Amérique, ont été stérilisés à 80 % par le DDT, ce pesticide du genre brutal déversé sur les cultures par kilolitres jusqu’en 1973. Or, les petits aigles n’allaient pas mieux dans les années 1990. Les effets du DDT traversent les générations et agissent à retardement. Il n’y a pas qu’eux. Les femelles goélands de la côte Pacifique sont devenues adeptes du saphisme. Les alligators de Floride ont des pénis riquiqui. Non, ce n’est pas drôle. Nous sommes des animaux, n’est-ce pas ? Le problème de la science aujourd’hui, c’est de savoir si nous, humains, pouvons aussi être touchés par ces polluants. Le problème de l’industrie, c’est de minimiser ces résultats quand ils s’avèrent positifs. L’évier est propre. Camarade poisson, pardonne-moi.

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Les détergents maison

Le bicarbonate de soude, avec ses mille et un usages, est devenu le roi de mes détergents faits maison. Malgré son nom barbare, il est inoffensif. Pour preuve, les fabricants de cosmétiques bio en fourrent plein leur dentifrice. Dilué dans l’eau, il redore fourchettes, petites cuillères, brique frigo et autres appareils électroménagers, sans oublier la salle de bains du sol au plafond, en passant par les toilettes. L’essayer, c’est l’adopter. Seul le calcaire qui s’est accumulé dans la pomme de douche pourrait bien lui résister.

Mais à chaque problème, sa solution maison. Pour les traces de calcaire récalcitrantes, il y a le vinaigre blanc. Mélangé à un peu d’eau, ce dernier fait aussi l’affaire pour les vitres. Et pour les taches de graisse, un autre seau de flotte, chaude cette fois, avec de l’amidon et c’est impeccable. Le tout se trouve en magasins d’alimentation bio ou au rayon droguerie des supermarchés. En plus d’être sains, les nettoyants faits maison sont économiques. Du 2 en 1 quoi.

Astuces tirées du guide « Fabriquer ses produits naturels chez soi », de Jérôme Baray (éditions Grancher).

11h00 : Je vais au marché des pesticides

Horreur, j’ai déjà la dalle. Je file au marché acheter quelques produits frais pour me remplir le ventre. Enfin, remplir de quoi ? En 2007, 52,1 % des fruits et légumes testés en France étaient assaisonnés de résidus de pesticides. Les limites réglementaires étaient dépassées dans 7,6 % des cas. Au top du palmarès européen des résidus 2007 : les pommes. Numéro deux : les fraises. Puis viennent les laitues et les tomates. Fin 2008, avec d’autres associations européennes, le Mouvement pour le droit et le respect des générations futures (MDRGF), spécialisé dans les pesticides, a fait une razzia de raisins dans plusieurs supermarchés. Un seul des 124 échantillons ne contenait pas de résidus.

Le 3 juin 2009, la Fédération nationale des producteurs de raisins de table (FNPRT) a assigné le MDRGF devant le tribunal de grande instance de Paris. Elle lui réclame 500 000 euros pour dénigrement. Il ne faudrait pas que les consommateurs, quand ils saisissent une grappe, pensent aux effets dont les pesticides sont suspectés : baisse de la fertilité, malformations génitales chez les garçons, troubles du développement cérébral, cancers de l’enfant et de l’adulte, déficits immunitaires. Entre autres. Et dire qu’il faut manger cinq fruits et légumes par jour. Avec ou sans pesticides ? Pour éviter les maux de tête, j’ai choisi le bio.

COMMENT Y REMÉDIER

Le bio pas cher

L e bio pourquoi pas, mais seulement s’il est à prix d’ami. Comment faire ? D’abord, raccourcir les circuits. Plus on achète directement au producteur, moins on enrichit les intermédiaires. Inscrivez-vous dans une Association pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap) ou sur l’un des nombreux sites Internet proposant des paniers composés chez les producteurs bio de votre région. Deuxième consigne : acheter en vrac. Le préemballé conventionnel est souvent plus cher que le bio en étals. Troisième règle : privilégier les tailles familiales. Enfin, ne pas craindre de ressortir la yaourtière de tatie. Rien de tel que le fait-maison pour réduire les coûts.

Quant au bio discount, vaut-il le coût ? S’ils portent la mention AB ou l’écolabel européen, les produits de Leader Price, Ed ou Lidl sont bien bio sur le plan technique. Mais pour réduire la facture, les hard-discounters offrent un minimum de références, des produits de base et commandent en très gros volumes. Et c’est là que le bât blesse. Car pour remplir leurs rayons à l’infini, les enseignes vont souvent chercher, hors de nos frontières, un meilleur rapport qualité-prix. Fruits et légumes bio d’origines dominicaine, espagnole, hollandaise, italienne ou marocaine fleurissent dans leurs rayons. Et forcément, leur empreinte écologique en prend un coup.

- Amap

- Reséau Cocagne

- Les Paniers bio

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