https://www.terraeco.net/spip.php?article56384
A quoi va servir le barrage de Sivens ?
jeudi, 11 septembre 2014 / Amélie Mougey

Le 1er septembre, les tractopelles sont arrivés sur le site de ce projet dans le Tarn, provoquant des affrontements entre forces de l’ordre et opposants. Mais au fait, pourquoi ce barrage ?

Grève de la faim, Zone à défendre (ZAD), GIGN (Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale) et affrontements. Dans le Tarn, la mobilisation contre le barrage de Sivens prend des airs de Notre-Dame-des-Landes. Et pour cause, sur les 42 hectares qui doivent être artificialisés pour le projet, 13 sont en zone humide et abritent 84 espèces protégées. Malgré les avis défavorables (à lire ici et ) émis par deux organismes, le Conseil national de protection de la nature (CNPN) et l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (Onema), la préfecture a donné son feu vert au projet en octobre 2013. Les tractopelles ont commencé a défricher la semaine dernière. Mais des zones d’ombre demeurent sur le bien-fondé du projet.

- Comment est justifiée la construction de ce barrage ?

Les défenseurs du projet, le conseil général, la Chambre d’agriculture et la CACG (Compagnie d’aménagement des Coteaux de Gascogne), l’entreprise semi-publique en charge de sa réalisation, estiment qu’il est nécessaire au maintien de l’agriculture. Car le département manque d’eau. Il est en moyenne déficitaire de 39 millions de mètres cubes par an. Le Tescou, cette rivière qui serpente dans une plaine agricole, est souvent à sec les mois d’été. Ce déficit chronique, que va accentuer le réchauffement climatique selon un rapport prospectif de l’agence de l’eau Adour-Garonne, inquiète les agriculteurs.

« Le manque d’eau, ajouté à la volatilité du cours des matières première et à l’empilement des règlementations, met notre activité en péril, estime Pierre Vincent, responsable du secteur irrigation de la FDSEA (Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles) du Tarn. Aucun exploitant n’a encore jeté l’éponge mais certains sont passés en pluri-activité, ils conduisent des bus, font des petits boulots. » Sur les 1,5 million de mètres cubes du barrage de Sivens, deux tiers doivent permettre aux agriculteurs « d’assurer l’autonomie fourragère de leur exploitation », selon Jean-Claude Huc, président de la Chambre d’agriculture interrogé dans La Dépêche. Manuel Valls lui-même présente ce barrage comme « un élément décisif pour l’installation des jeunes agriculteurs », rapporte le site Reporterre, même si les syndicats n’ont eu vent d’aucun projet de la sorte pour l’instant.

- Combien d’agriculteurs vont en bénéficier ?

Entre les pro et les anti-barrage, la bataille des chiffres fait rage. Du côté du collectif du Testet, l’un des deux groupes opposé au barrage, on estime à une vingtaine le nombre d’agriculteurs concernés. « Compte tenu du coup du barrage, évalué à 8,5 millions d’euros, ça fait 200 000 euros par ferme, l’investissement est jugé disproportionné », estime Ben Lefetey, porte-parole du collectif. De son côté, la Chambre d’agriculture parle de 82 exploitants. Ce chiffre correspond bien aux agriculteurs riverains du Tescou, potentiels bénéficiaires du barrage. « Ceux-ci sont en fait 51, car un autre barrage, celui de Thérondel, répond déjà aux besoins de ceux qui sont le plus en aval », poursuit-il. En amont, tous ne pratiquent pas l’irrigation et certains ont déjà leur propre retenue d’eau. Et rares sont ceux qui s’engagent tant que le prix de rachat n’est pas fixé. « Sur les 82, au moins une moitié est intéressée », évalue Pierre Vincent à la FDSEA, sur la base d’une enquête menée il y a 2 ans. Une estimation un peu légère pour Ben Lefetey qui déplore que les travaux commencent sans qu’aucun recensement des bénéficiaires n’ait été réalisé.

- De quel type d’agriculture s’agit-il ?

« Il y a deux petites exploitations, dont un maraîcher bio, qui sont intéressées, reconnaît un militant du collectif des Bouilles. Mais c’est l’arbre qui cache la forêt. Le reste ce sont des grosses exploitations de maïs. » Une accusation dont se défend la FDSEA : « L’agriculture dans la région n’a pas beaucoup bougé depuis quarante ans, alors certes il y a du maïs, mais aussi du soja, du tournesol, des éleveurs et des maraîchers », corrige Pierre Vincent. Un chiffre vient les départager : dans le Tarn, les exploitations de maïs représentent 48% des surfaces irriguées.

« Notre crainte, c’est qu’avec le barrage cette proportion augmente, explique Ben Letefey. Avec un apport en eau sécurisé, les agriculteurs pourraient travailler pour les semenciers. Il y a une demande forte et ce métier rapporte gros. Mais en termes d’engrais et d’eau, ce type d’agriculture n’est pas réputé pour sa sobriété. »

- Le barrage est-il le seul moyen de parer aux problèmes d’irrigation ?

Non. Dans la région, les exploitants agricoles ont surtout recours aux retenues collinaires, sorte de piscines d’environ un hectare construites à flan de colline. Sur le versant concerné par le projet, 185 retenues collinaires ont déjà été creusées. Elles ont une capacité de 4,5 millions de m3, soit le triple de celle du barrage de Sivens, et détournent déjà un tiers de l’eau du Tescou. Un modèle que défend la Coordination rurale. « Dans la région, la pluviométrie est acceptable mais les flux sont irréguliers c’est pourquoi nous avons besoin de retenir l’eau l’hiver pour irriguer l’été », explique Alain Reillis, vice-président du syndicat. « Ces bassins répondent aux besoins des agriculteurs et s’insèrent bien dans l’environnement mais on butte sur l’administration, déplore-t-il. Alors que dans le Lot-et-Garonne près de 200 retenues ont été creusées en deux ans, le Tarn n’en a autorisé que 2 cette année. » Retenue ou barrage, pour le collectif du Testet le stockage lui-même est une fausse solution. La preuve ? « 1900 retenues et 40 barrages construits en 25 ans sur le bassin Adour-Garonneiv n’ont pas réussi à résoudre le manque d’eau » déplore ces opposants.

- Le barrage est-il uniquement destiné aux agriculteurs ?

Deux tiers de sa capacité seulement. Le tiers restant doit maintenir l’étiage du Tescou à un niveau correct même les mois d’été. Ainsi, le président du conseil général du Tarn, Thierry Carcenac (PS) a déclaré au Monde que « même si aucun agriculteur ne pompait dedans, [il] le ferait quand même pour améliorer la qualité de l’eau ». En augmentant le débit de cette rivière, les élus entendent diluer les rejets des villages alentours, deux stations d’épuration et une laiterie. Mais pour Ben Lefetey, cette préoccupation est datée.

« Les niveaux de pollution étaient préoccupant au début des années 2000, depuis les installations ont été mises au normes, la pollution a considérablement diminué », soutient le militant, qui observe le retour d’une vie aquatique dans la rivière. « Mais là encore c’est le grand flou, nos demandes répétées d’information sur les rejet de la laiterie aujourd’hui sont restées lettre morte. » « La seule utilité évidente de ce projet, c’est de faire bosser le BTP », estime un membre du collectif des Bouilles. « C’est un projet sur mesure pour la CACG qui a réalisé les études d’impact et porte le projet », acquiesce Ben Lefetey. De son côté, le conseil général est à la fois commanditaire et maître d’ouvrage du projet. Un imbroglio d’intérêts qui conforte les opposants.

- A voir sur le sujet : le film de Roxanne Tchegini