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Avec l’Ecosse, l’Europe découvre « un nationalisme ouvert et intégrateur »
mercredi, 10 septembre 2014
/ Pascal Riché (Rue89)
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A l’aube d’un référendum historique sur leur indépendance, Catalans et Basques surveillent attentivement les Ecossais. Entretien de Rue89 avec Vincent Laborderie, spécialiste des indépendantismes.
Jusque-là, l’affaire du référendum en Ecosse n’affolait pas grand monde : selon les sondages, les partisans de l’indépendance étaient moins nombreux que les défenseurs du statu quo unioniste. Genre 40%-60%. Mais depuis quelques jours, les courbes se croisent dans certaines enquêtes et c’est la panique à Londres. L’éventualité d’une rupture de la Grande-Bretagne, après trois siècles d’union, est très sérieuse.
La montée du « oui » en Ecosse ravive les velléités d’indépendance d’autres régions européennes. Une consultation de la population est prévue en Catalogne, sans l’aval de Madrid ; en Flandre, la N-Va, parti autonomiste, est devenue la principale force politique du pays.
Ces mouvements ont pris leur essor après la chute du mur de Berlin. Mais pour Vincent Laborderie, chercheur à l’université catholique de Louvain, spécialiste des processus indépendantistes, il ne faut pas exagérer leur importance récente : « A l’exception de la Catalogne, ils ne sont pas forcément en expansion. »
Vincent Laborderie : C’est ce qu’on appelle le « nationalisme civique » : c’est un nationalisme ouvert et intégrateur. Ces mouvements sont observés depuis une dizaine d’années, et ne ressemblent pas aux mouvements nationalistes classiques, de type Front national en France ou Vlaams Belang en Belgique, marqués par une dimension ethnique.
Même en Flandre, la N-Va se revendique du nationalisme ouvert et affirme que quiconque accepte de parler flamand n’aura aucun problème à s’intégrer dans la société. C’est peu connu, mais la N-Va s’est construite quasiment contre le Vlaams Belang, parti classique d’extrême droite.
En Catalogne, les ressortissants de l’Union européenne non espagnols pourront voter lors de la consultation qui est organisée, à condition d’être présents depuis un an en Catalogne. En Ecosse aussi, les Européens peuvent voter pour le référendum.
Ces nationalistes sont également pro-européens. Ils n’envisagent l’indépendance de leur région que dans le cadre de l’UE : cette volonté est partagée par les Flamands, les Ecossais ou les Catalans.
Le SNP écossais est très ancien, il date des années 1930. Ils ont commencé à avoir des élus dans les années 1970, mais c’est depuis 1997, c’est-à-dire depuis le référendum de « dévolution », comme ils disent, qui a débouché sur la création d’un parlement écossais, qu’ils vont de succès en succès.
En Catalogne, il n’existe pas un seul parti représentant le « catalanisme ». Le mouvement d’Arthur Mas, CiU, n’était pas indépendantiste jusqu’à une date récente. Il l’est devenu suite au refus espagnol de renégocier le statut de la Catalogne. Depuis quatre ans, il est passé de positions autonomistes à des positions indépendantistes.
Au-delà, avec l’Union européenne, qui s’est approfondie jusqu’au début des années 2000, l’échelon étatique devient moins pertinent. Tous ces mouvements veulent d’ailleurs s’inscrire dans l’Union européenne, qui offre un cadre global, une sécurité, voire une monnaie. L’Etat national ne sert plus à grand-chose : tout ce qu’il gère aujourd’hui peut être « rapatrié » à leur niveau ou passer à l’échelon européen.
Je vois pour ma part trois arguments pour devenir indépendant :
* Le premier est purement nationaliste, basé sur une différence de langue, de religion, de culture très distinctes de celles de l’Etat central. Cela existe depuis des siècles ;
* Le second est économique : on s’intéresse moins aux grands idéaux, plus à ce qu’on a dans le portefeuille. Les régions riches ne veulent pas partager avec le reste du pays. Leur argumentaire n’est pas purement égoïste, bien sûr. Ils disent que la Wallonie ou l’Espagne « ne gèrent pas la situation comme il leur faudrait », que « malgré leurs conseils répétés, ils n’écoutent pas », etc. Et ne veulent plus « payer pour tout cela » ;
* Le troisième argument, plus pertinent peut-être, c’est que ces régions-là, souvent, votent différemment du reste du pays, et de façon structurelle. C’est le cas de la Flandre, de l’Ecosse, du Québec...
L’Ecosse vote beaucoup plus à gauche que l’Angleterre. L’un des objectifs du SNP est de construire un système social démocrate qui ressemble au Danemark ou à la Norvège voisins. Ils ne se reconnaissent pas dans le néo-thatchérisme à la Cameron. Le Royaume-Uni est le quatrième pays en termes d’inégalités dans l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) et sera le premier dans quelques années : ils refusent cette évolution.
En Flandre, c’est l’inverse : la N-Va veut une politique de droite. Ils vont l’avoir, d’ailleurs, ce qui va couper l’herbe sous le pied des indépendantistes.
En Catalogne, c’est un peu différent : cette société apprécie la gestion par consensus (le parti d’Artur Mas est de centre droit), et le système politique espagnol est fondé sur l’alternance entre PPE (droite) et PSE (socialiste). Les Catalans sont d’une autre culture politique, à la belge ou à l’allemande, avec des coalitions. Il y a des questions éthiques qui divisent également les Catalans des autres régions espagnoles. Ils ont ainsi interdit la corrida et acceptent mal la remise en cause du droit à l’interruption de grossesse.
Et pourtant, vous avez raison, cela n’a pas fonctionné cette fois, au contraire : la légitimité des indépendantistes a été renforcée. Et ils ont acquis un pouvoir qu’ils n’avaient pas. Avant, ils se contentaient d’envoyer quelques députés à Westminster, alors que maintenant, ils ont une région à gérer.
Mais il ne faut pas généraliser : l’Ecosse, avec sa culture extrêmement forte, est un cas très particulier, car c’est la seule région en Europe qui est aussi considérée par tout le monde comme une nation. Y compris par les tenants du « non ».
Le soutien à l’indépendance depuis trente-cinq ans (Mori-Ipsos)
En Ecosse, ils étaient plutôt en diminution dans les années 2000, jusqu’à ce qu’un parti indépendantiste, le SNP, soit porté au pouvoir par des électeurs de gauche déçus du virage blairiste et donne au projet d’indépendance une traduction politique.
Je ne dirais pas que le sentiment indépendantiste est plus fort dans ces régions, mais ce qui est sûr, c’est qu’il y a de plus en plus de partis qui arrivent à articuler le processus vers l’indépendance. A l’exception des Catalans et des Ecossais, tous les mouvements d’envergure sont autonomistes et pas indépendantistes.
Mais si les indépendantistes écossais gagnent cette élection, ou même s’ils la perdent de très peu, cela démontrera qu’on peut mobiliser la population autour de l’idée d’indépendance, et cela donnera des idées à d’autres.
Un « oui » en Ecosse risque de rendre la situation encore plus tendue en Catalogne. A la différence de l’Ecosse, c’est sans l’accord du pouvoir central que la Catalogne entend organiser sa consultation. L’escalade verbale est déjà très forte. Si le « oui » l’emporte en Catalogne, les Catalans essaieront d’internationaliser la question pour faire reconnaître leur indépendance. Même si ce n’est pas le scénario le plus probable, il n’est pas exclu qu’il y ait de la violence, voire une intervention de l’armée.
Cet article a initialement été publié sur Rue89 le 9 septembre 2014
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