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Trois idées bon marché pour bouger dans un pays fauché
lundi, 8 septembre 2014
/ Thibaut Schepman / Non, nous n’avons pas à « sauver la planète ». Elle s’en sort très bien toute seule. C’est nous qui avons besoin d’elle pour nous en sortir. , / Amélie Mougey |
Quand les caisses sont vides, il faut innover. « Terra eco » a sélectionné trois initiatives qui pourraient nous aider à nous déplacer sans faire banquer la collectivité.
Du grand Paris aux lignes de TGV, en passant par Notre-Dame-des-Landes, les projets de transport se chiffrent en France en millions d’euros et en tonnes de béton. Pourtant, des solutions aussi légères qu’efficaces existent. Nul besoin de bulldozer mais de sérieuses études sociologiques suivies de quelques coups de pinceaux ou de simples autocollants. La crise aidant à serrer les budgets, ces alternatives sont (enfin) prises au sérieux et séduisent aux quatre coins de la France. Embarquement immédiat pour un survol (en planeur) de ces solutions pleines d’avenir.
Et si on travaillait en décalé ?
Quels sont les deux pires moments de votre journée ? A cette question, un(e) habitué(e) du métro-boulot-dodo répondra probablement 7 h 45 et 17 h 30, ou 8 h 45 et 18 h 30 s’il vit à Paris : en clair les heures où les métros et trains sont les plus bondés. Et s’il suffisait de décaler les horaires d’une partie des entreprises pour éviter ces pics ?
L’idée est explorée en France depuis la fin des années 1950. A l’époque deux organismes [1] tentent d’imposer à certaines entreprises de décaler leurs horaires de quelques minutes. Résultat ? « Dans 95 % des cas ce furent des échecs, souvent parce les décisions ont été prises par le haut sans discussion ni incitation pour les salariés. Toucher au temps c’est
toucher à la vie des gens, on ne peut pas juste viser une décision unique bonne pour le bien commun, il faut enquêter de près pour comprendre comment on peut améliorer le quotidien de chacun », analyse Emmanuel Munch, auteur d’un mémoire de recherche sur le sujet.
Les étudiants plus souples
Depuis le début des années 2000, d’autres expériences plus concluantes ont été menées après enquêtes approfondies dans les universités de Grenoble (Isère), Poitiers (Vienne), Montpellier et Rennes. Dans cette dernière, on estime que la charge moyenne des rames aux heures de pointe a ainsi baissé de 17 %, ce qui a évité l’achat de trois rames supplémentaires. Suffisant pour passer à la vitesse supérieure en France ? « Les étudiants sont une cible malléable, pour les salariés il y a beaucoup plus de questions qui se posent, cela touche à l’organisation, à la productivité, à la sociologie du travail aussi, on sait qu’arriver plus tard que les autres est mal vu, par exemple. Et il n’y a pas de méthode mathématique ou systématique, elle est forcément locale et inductive », détaille-t-il. Pas de quoi convaincre pour l’instant les entreprises françaises de changer de braquet. La SNCF l’a appris à ses dépens lorsqu’elle a proposé en 2013 aux entreprises d’Ile-de-France de décaler leurs horaires en s’inspirant de l’exemple rennais. Celles-ci lui ont adressé un « stop » avant de lui suggérer… d’augmenter son offre de transport [2]. —
Et si l’on redonnait un sceptre à l’autocar ?
Plus on s’éloigne du centre-ville, plus se déplacer est long et complexe. Du coup, la France périurbaine compte beaucoup plus de voitures que d’habitants et au moins 80 % des déplacements s’y font en auto. Et si le car était la solution ? N on, on ne parle pas là des bus, qui roulent au pas et desservent les centre-villes. On parle bien des autocars, qui peuvent prendre l’autoroute et s’arrêtent peu.
Madrid a misé sur eux depuis quinze ans. 350 lignes d’autocars y transportent chaque jour entre 40 et 100 000 personnes, soit 15 % du trafic. Pour Simon Cohen, directeur de recherche à l’Ifsttar (Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux), « l’exemple madrilène est une réussite emblématique ». Son principal point fort ? « Le report modal. » En clair, les cars transportent les périurbains vers les grandes gares où ils peuvent prendre le bus ou le métro et rejoindre le centre. Les usagers gagnent du temps et de l’argent, le tout pour un investissement public assez faible, estimé à 3,5 millions d’euros par kilomètre de ligne.
Vision à long terme
Et en France ? Seules quelques expériences ont été menées [3]. André Broto, le directeur de la stratégie de Vinci autoroute, milite pour en lancer sur son réseau. « L’autocar peut relier des petits bassins de vie éloignés à des zones comptant des milliers d’emplois et ce sans avoir besoin d’investir dans d’énormes infrastructures. » Pourquoi cette société d’autoroute milite-t-elle pour que les automobilistes laissent Titine au parking ? « Cela peut être créateur de valeur pour mon entreprise en nécessitant des aménagements que l’Etat pourra récompenser en allongeant la durée de concession de l’entreprise. Nous pensons aussi à long terme et tentons de nous adapter aux besoins et de veiller à l’acceptabilité des péages. »
Il a demandé au cabinet Car-bone 4 de se pencher sur sa proposition. Conclusion : la création de 40 lignes transportant 60 000 personnes par jour coûterait 200 millions d’euros mais apporterait une réduction de 1 000 euros de dépense et 10 % du bilan carbone par couple et par an, et de 15 millions d’euros du déficit commercial de l’Etat.
Le cabinet rêve même d’une offre de cars pouvant transporter 2 millions de personnes, créant 60 000 emplois et réduisant le déficit commercial de 500 millions d’euros… le tout pour un investissement de 5 milliards d’euros. Pour comparaison, c’est six fois moins que le projet du Grand Paris. —
Et si on s’organisait pour lever le pouce ?
Non, le stop n’a pas disparu à cause du covoiturage. Au contraire, il se réinvente. Dans la vallée de Munster (Haut-Rhin), Fabienne Kohler, chargée du réseau Transi-stop, est devenue une spécialiste de l’impression de logos réversibles : « Côté pouce, c’est pour l’autostoppeur au bord de la route, côté automobile, c’est pour le pare-brise du conducteur. On a également posé des autocollants sur les poteaux, les abribus, pour signaler les zones d’arrêt les moins dangereuses. » Près de Toulouse, la logistique est encore plus poussée. Dans les 82 communes du réseau Rezo pouce, 150 arrêts balisés ont été mis en place.
« Le stop organisé, c’est surtout pour les petits trajets », indique Aurélie Corbineau, la coordinatrice de Rezo pouce. Piscine, médecin, ciné : cet auto-stop trouve tout son sens dans les zones rurales. Fabienne Kohler n’hésite pas à grimper dans la voiture d’inconnus plusieurs fois par semaine. « Avec le nombre de voitures qui passent, je n’ai jamais attendu plus de trois minutes », se réjouit-elle. Dans le nord toulousain, on fait le pied de grue plus longtemps. « Pour que le système soit fluide, il faut qu’au moins 10 % des habitants d’une commune soient inscrits », remarque Aurélie Corbineau.
Le paquet sur la sécurité
Alors comment atteindre cette masse critique ? « En créant un système qui inspire confiance », poursuit la coordinatrice. Rezo pouce met donc le paquet sur la sécurité. « Lors de l’inscription, on demande les cartes d’identité et quand une personne monte à bord, elle nous envoie par SMS le numéro d’immatriculation du véhicule. » L’incitation financière n’est pas exclue. Dans les communes de Rezo pouce, l’inscription au réseau a été fixée à 3,5 euros. Ensuite, conducteurs et passagers peuvent appliquer le barème fixé. « Un trajet de moins de 10 km c’est 50 centimes, plus de 30 km c’est 3 euros », indique Aurélie Corbineau.
« Un réseau de stop met deux ans à être connu, trois ans à rouler tout seul », rassure Amande Gat, fondatrice de la Navette Citoyenne à Hédé-Bazouges (Ille-et-Vilaine), dans une lettre d’encouragements adressé à un réseau en formation dans l’Essonne. Dans la vallée de Munster, les fondateurs de Transi-stop sont donc confiants. Et le projet fait déjà des émules dans les vallées voisines « Un maire nous a contactés, la démarche sera différente, elle viendra du haut, on espère que ça va marcher », sourit Fabienne Kohler. Car à Moissac comme à Munster, les logos cartonnés ont été pensés pour être dupliqués. —