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Au Sénégal, un barrage contre l’Atlantique
lundi, 26 octobre 2009 / Cécile Cazenave

Sur la côte, les paysans replantent massivement des mangroves pour protéger leurs cultures de l’avancée du sel marin. Reportage.

« Ici, quand j’étais enfant, il y avait des champs de riz. Aujourd’hui, ce sont des marais salants ! » raconte Haïdar El Ali, fonçant au volant de son tout-terrain à travers de vastes étendues sablonneuses ponctuées de monticules blancs. Mais pas le temps de s’apitoyer. Il est attendu à quelques dizaines de kilomètres de là. A Toubacouta, dans le delta du Saloum, au sud du Sénégal, l’une des bases de son association Océanium. Plus qu’un mois et demi, et la saison des pluies touchera à sa fin. Les villageois devront remiser leurs outils jusqu’à l’année prochaine. D’ici là, Haïdar El Ali espère battre un record en plantant avec eux 30 millions de semences de palétuviers, soit 6 000 hectares. Quatre cents villages du Sine Saloum et de Casamance sont en effet sur le pied de guerre. Sous l’impulsion d’Océanium, une armée de paysans et de pêcheurs a décidé d’ériger une barrière contre l’avancée du sel.

Caméra et cocotte-minute

Tous souffrent de la disparition de la mangrove, cet écosystème côtier indispensable dans les zones intertropicales. Ses racines constituent un nid pour les huîtres et un refuge pour les alevins qui fuient leurs prédateurs naturels. En outre, les mangroves « pompent » naturellement le sel marin préservant ainsi les sols et les cultures. Mais ces forêts humides fondent à vue d’œil. Sabrées pendant des décennies pour fournir du bois de chauffe et des bardages de construction, elles ne couvraient plus, en 2008, que 80 000 hectares au Sénégal. Soit une amputation de 50 % en trente ans.

« Les ONG plantent et s’en vont. Moi, je voulais que les habitants plantent eux-mêmes, pour eux-mêmes », explique Haïdar El Ali. A 56 ans, cet écologiste d’origine libanaise, élevé à Dakar, est un passionné de plongée. Atterré par les ravages de la pêche à l’explosif, il a longtemps prêché dans le désert. Jusqu’à ce qu’il réussisse à filmer les lits de poissons morts. Avec l’aide d’un chaudronnier, il a imaginé une cocotte-minute pourvue d’une caméra VHS et d’un hublot. « La caméra a filmé trois minutes avant de prendre l’eau, se souvient-il dans un éclat de rire. C’était assez pour mettre une télévision sur la plage et montrer la réalité aux pêcheurs. » L’affaire fait grand bruit et lui offre son premier passage sur un plateau de télé. « Ce jour-là, j’ai compris l’importance de l’image », assure-t-il. Le cinéma documentaire sera son missel.

En 2006, avec son équipe de l’Océanium, il conduit un camion de projection jusqu’au village de Tobor, en Casamance. Au programme : une campagne de sensibilisation au reboisement. Convaincus, les habitants plantent 65 000 propagules, les semences de palétuviers. Bonne surprise : 85 % survivent. Le long de la route passante qui relie Ziguinchor à Bignoma, l’expérience fait tâche d’huile. En 2008, 15 000 personnes appartenant à 150 villages plantent, pendant trois mois, 6 millions de palétuviers. « Aujourd’hui, on prêche le reboisement à la mosquée et dans les églises. Et dans un an ou deux, on pourra récolter à nouveau du riz », raconte Albert Seri, chef de zone à Tobor.

Si la mobilisation est indiscutable, la logistique reste compliquée. Lors de la saison des pluies, les pistes sont parfois impraticables. « Réussir ce pari, c’est avant tout gérer des crises », concède Haïdar sans lâcher l’oreillette de son iPhone. Hier, le camion cinéma s’est embourbé et a brisé son embrayage. Une pirogue transportant des semences, trop chargée, s’est renversée et un jeune manque à l’appel. A Keur Sambel, les villageois ont planté ce matin. Mamadou Sow, 30 ans, ne cache pas ses craintes. « Notre terre est riche, mais aujourd’hui, les arbres fruitiers sont malades, ils ne supportent plus le sel. Nous devons replanter la mangrove ! », explique-t-il en désignant sur la berge les feuilles flétries des manguiers. Haïdar patauge à marée basse et inspecte. Par manque d’expérience, les volontaires ont planté trop serré.

Un gros sacrifice

A plusieurs heures de route de là, à Mbisel, le village a interrompu ses activités pour un après-midi de reboisement. Or, en pleine saison des pluies, il faut également préparer les rizières. Planter des propagules, sans compensation financière, est une charge de travail supplémentaire. « Quand les habitants font ce sacrifice, c’est une garantie qu’ils surveilleront ensuite ce qu’ils ont planté », note Jean Goepp, le bras droit de Haïdar. En cette fin d’après-midi, l’averse a repris. L’iPhone apporte des nouvelles : le jeune homme tombé de pirogue a été retrouvé sain et sauf et la séance de cinéma attendra un treuil. Une dernière sonnerie. « Comment ça va, Haïdar ? » « Mal, comme mon pays ! », répond-il, avant d’éclater d’un rire tonitruant. 

Photos : Cécile Cazenave


UNE POMPE À CARBONE EN PUISSANCE

Riche écosystème, la mangrove constitue aussi un très bon aspirateur à carbone, qui ne laisse pas indifférent les entreprises. Cette année, Danone a investi 700 000 euros dans la logistique d’Océanium. Et fin 2008, le groupe français a signé un accord avec l’Union internationale pour la conservation de la nature et Ramsar (1). Objectif : faire évaluer par des experts la capacité d’absorption des mangroves. En effet, il n’existe pas encore de méthodologie certifiée permettant d’obtenir des crédits carbone en investissant dans ce type de plantations. A long terme, la multinationale espère compenser les émissions résiduelles de sa marque Evian.

(1) Traité international de 1971 sur l’utilisation durable des zones humides.


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