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Pourquoi les entreprises pourront continuer à jeter librement
vendredi, 29 août 2014 / Alexandra Bogaert

Après deux ans de discussion et un an d’attente, le Plan de prévention des déchets entre en vigueur. Les activités économiques, responsables de 70% des déchets, sont épargnées…

Il s’est tant fait attendre qu’on avait presque fini par l’oublier. Un simple tweet de @ecologiEnergie, le compte du ministère de l’Ecologie, posté jeudi matin, nous a rappelé que le Plan national de prévention des déchets 2014-2020 (PNPD) n’a pas été enfoui. Il entre même en vigueur ce vendredi, comme indiqué dans le Journal officiel. Cela faisait plus d’un an que le PNPD était annoncé, plus de deux qu’il était en discussion. « Entre temps, on a beaucoup changé de ministre », rappelle malicieusement Delphine Lévi Alvarès, de Zero Waste France (ex-Centre national d’information indépendante sur les déchets), qui a pris part aux consultations précédant son élaboration.

Le contenu du PNPD que Terra eco avait déjà évoqué a, lui, beaucoup moins vacillé, malgré les nombreuses critiques dont il a fait l’objet lors d’une consultation publique. Il fixe toujours l’objectif de réduire de 7% le volume de déchets ménagers et assimilés (soit les déchets issus des ménages, les déchets des artisans, commerçants et des administrations collectés dans les mêmes conditions que les ordures ménagères) produits en 2010 – soit 30 millions de tonnes – d’ici à 2020 et... c’est à peu près tout. Car pour les 326 millions de tonnes de déchets produits par les activités économiques, dont 260 millions sont le fait du secteur du BTP, le seul objectif avancé est une stabilisation de ce niveau de déchets dans les six ans à venir, quel que soit le niveau d’activité économique. La réduction n’est pas à l’ordre du jour.

Un effort qui porte sur les ménages

« Au moins ce plan reconnaît-il que les ménages ne sont pas les seuls à produire des déchets... », grince Delphine Lévi Alvarès qui s’agace parce qu’« on demande aux ménages de contribuer le plus aux efforts de diminution des déchets, alors qu’il y a tant à faire du côté des universités, des gares, des métros, sans compter bien sûr les entreprises et l’industrie ».

Pourquoi ces dernières sont-elles ainsi épargnées ? Mathieu Hestin, en charge des problématiques d’économie circulaire et de recyclage chez Bio Intelligence Service, agence de conseil en environnement et développement durable, l’explique par « l’extrême difficulté à accéder aux données de production de déchets des entreprises, dont le ramassage est géré par le privé. On manque d’indicateurs sur la quantité de déchets produits ». Et même si de tels chiffres existaient, fixer un objectif global de réduction ne serait « pas forcément pertinent. Il doit être déterminé secteur d’activité par secteur d’activité, après une analyse fine du potentiel de réduction des déchets ». Pourquoi ? « Parce qu’entre les entreprises de services, les artisans, les industriels et la grande distribution, les problématiques sont très différentes », abonde Vincent Le Blan, délégué général de la Fnade, la fédération professionnelle qui regroupe les principales organisations syndicales des activités du déchet.

Un objectif prioritaire sans les moyens nécessaires

Pourtant, « la prévention des déchets est une priorité qui prévaut sur tout le reste, comme cela est inscrit dans l’article 46 du Grenelle de l’environnement », rappelle-t-il. Alors pourquoi le PNPD nouvelle mouture – il succède au PNPD 2009-2012 – n’oblige-t-il pas au moins les entreprises à faire un reporting, c’est-à-dire à indiquer le tonnage de leurs déchets, ce que les collectivités locales doivent, elles, faire ?

« Parce qu’avec le tri des déchets, c’est devenu plus compliqué qu’avant, quand on mettait tout dans une seule benne. Désormais, les contrats de collecte ne se font plus à la tonne mais au service : un camion vient pour le verre, un autre pour le plastique recyclable, un troisième pour les déchets organiques, etc. Ce qui, au passage, coûte plus cher pour les entreprises et entraîne plus de déplacements de camions, et plus de nuisances », précise le représentant des activités du déchet.

Contraindre les ménages pour ménager les entreprises

Delphine Lévi Alvarès y voit, elle, une autre explication : « D’abord, le gouvernement ne peut pas imposer les mêmes contraintes au privé qu’au public. Ensuite, l’esprit du gouvernement actuel est clairement de ménager les entreprises, qui voient toute politique visant à une baisse notable de leurs déchets comme une contrainte supplémentaire. »

Alors, s’il y a bien « des mesures emblématiques pour réduire la production de déchets ménagers et assimilés (consigne des emballages pour réemploi, vrac, limitation de l’usage de produits fortement générateurs de déchets, lutte contre l’obsolescence programmée) », note France Nature Environnement dans un communiqué, ce PNDP « manque clairement d’ambition. C’est un ensemble de vœux pieux qui manquent de contenance », tranche Delphine Lévi Alvarès.

Bémol  

Si le plan ne mentionne pas d’objectif chiffré de réduction des déchets des entreprises, il conforte les filières à responsabilité élargie des producteurs (REP) déjà mises en place pour certains produits (emballages, véhicules, papiers, déchets électriques et électroniques, etc.). Les fabricants nationaux, les importateurs de produits et les distributeurs doivent prendre en charge ou contribuer à la collecte séparée puis le recyclage ou le traitement des déchets issus de leurs produits. C’est ainsi que celui qui met sur sur le marché des emballages doit payer Eco-emballages. Le but est d’inciter à prendre en compte les aspects environnementaux dès la conception des produits afin de prévenir la production de déchets à la source et à en faciliter le recyclage.

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