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Dons obligatoires dans les hypers : la fausse bonne idée venue de Belgique
jeudi, 7 août 2014 / Thibaut Schepman /

Non, nous n’avons pas à « sauver la planète ». Elle s’en sort très bien toute seule. C’est nous qui avons besoin d’elle pour nous en sortir.

Une proposition de loi veut obliger les hyper à faire don de leurs invendus. L’idée s’inspire d’une loi belge... qui n’a convaincu personne.

Les éboueurs qui les vident chaque les jours vous le diront : les bennes des supermarchés sont surchargées de nourriture. On estime à 500 tonnes par an la quantité de produits alimentaires jetés dans les grandes enseignes. Pour arrêter le massacre, un groupe de 63 députés compte déposer une proposition de loi visant à obliger les magasins de plus de 1000 m2 à proposer leurs invendus encore consommables à des associations caritatives. La fin du grand gâchis ? Pas sûr du tout. Terra eco vous explique pourquoi.

La Belgique a déjà essayé

Les parlementaires français indiquent s’être inspirés de textes similaires adoptés en Belgique. Sauf que ces mesures - certes très récentes - n’ont pour l’instant pas convaincu :

- La première a été adoptée dans la commune wallonne de Herstal en septembre 2013. « L’idée a été lancée par le bourgmestre juste avant les élections communales. Mais aujourd’hui ça n’a quasiment rien changé. Le supermarché donnait déjà ce qui peut être donné aux associations, aujourd’hui il a juste changé un peu sa méthodologie, peut-être que le don a été légèrement optimisé mais c’est tout », tacle Charles Petit, conseiller chez Comeos, la Fédération belge du commerce. « Il ressort de nos travaux qu’une approche volontariste serait préférable à une approche coercitive. Cela semble aussi être la volonté des associations », affirmait en janvier à la RTBF Nathalie Ricaille, membre de l’organisme public Espace environnement qui a étudié le sujet dans le cadre du projet européen de lutte contre le gaspillage Green Cook.

- En mars 2014, un décret similaire a ensuite été adopté pour les enseignes de plus de 2500 m2 dans toute la Wallonie. « Je pense qu’au moins 90% de ces enseignes donnaient déjà leurs invendus encore consommables. Les autres ne le faisaient pas non pas par mauvaise volonté mais pour des questions d’organisation, ils avaient par exemple besoin de donner à une heure précise en début de matinée et les associations n’ont pas forcement les moyens de suivre », poursuit le conseiller. « Ce type de mesure n’impacte pas vraiment le gaspillage au niveau global. Et, dans la pratique, les premiers retours montrent que certaines associations ont de plus en plus plutôt l’impression de jouer le rôle de poubelles », dénonce Thomas Pocher, le gérant d’enseignes E.Leclerc dans le Nord connu pour avoir réduit l’impact carbone et le gaspillage alimentaire dans ses magasins et qui a créé Greentag, cabinet de conseil en la matière pour la grande distribution.

Même les associations n’en veulent pas

En clair, ce n’est pas parce que la nourriture jetée en Belgique est encore comestible qu’elle peut être donnée. Obliger à proposer les produits aux banques alimentaires n’est donc pas forcément utile voir contre-productif. Et en France ? Ce sera encore pire.

Car, contrairement à la Belgique, la France met déjà les petits plats dans les grands pour encourager les enseignes à donner. En effet, 60% du montant de ces dons peuvent être défiscalisés par les supermarchés. « Mes confrères me disent que je suis fou de le dire mais je le pense, je trouve que ce crédit d’impôt est très très élevé, trop élevé, ça coûte très cher à l’état », indique Thomas Pocher, qui bénéficie « d’environ 200 000 euros de crédit d’impôt par an » dans ses magasins. « Il y a même des boîtes qui se spécialisent là-dedans, elles vont voir les enseignes pour mettre ça en place et se rémunèrent en prenant un pourcentage du crédit d’impôt. Il y a beaucoup d’argent à gagner avec ce système », confirme Charles Petit.

Pour une vraie solidarité alimentaire

Déjà très incitées par cette belle carotte, les enseignes n’auraient pas grand intérêt à donner plus si la France manie le bâton. Au mieux, la mesure n’aura qu’un très faible impact « parce qu’elle a le mérite de relancer le débat public » indique Agnès Banaszuk, coordinatrice du réseau prévention et gestion des déchets de l’association France nature environnement. Au pire, « la qualité des dons pourrait se dégrader », poursuit-elle, avant de recentrer le débat : « La solidarité alimentaire ce n’est pas de jeter beaucoup et de le donner aux plus pauvres. Il faut d’abord réduire le gâchis et jeter moins, cela limiterait la pression sur les ressources et les matières premières et cela faciliterait l’accès de tous à l’alimentation. » Au lieu de chercher à contraindre les hyper à donner plus, ne faudrait-il pas les obliger à gâcher et à jeter moins ?

Ça tombe bien, en la matière, les propositions et les expériences sont très nombreuses. D’abord, il faut s’attaquer à la trompeuse mention « à consommer de préférence avant ». Agnès Banaszuk montre en exemple les enseignes qui réduisent la taille de leurs étals. En effet, la grande distribution aime attirer le chaland avec des rayons toujours pleins. Si ces derniers étaient plus petits, on pourrait les remplir avec moins de produits et donc jeter moins ! En Belgique, la fédération Comeos assure, elle, avoir réduit les pertes grâce aux « ventes rapides », c’est-à-dire les rabais sur les produits en fin de vie. Thomas Pocher va beaucoup plus loin. « J’en avais marre d’acheter d’un côté des seaux de carottes râpées toute préparées par forcement bonnes pour le consommateur et de l’autre de jeter les carottes les moins belles. Maintenant je propose donc des carottes pré-découpées ou râpées dans mes magasins », avance le gérant, qui vend aussi des smoothies, puddings et autres bruschettas à partir de ses invendus. Le tout nécessite des investissements « qui sont largement rentabilisés ». Il assure réduire chaque année sa quantité de produits jetés alors que ses ventes, elles, augmentent. Mais, comme les autres personnes interrogées dans cet article, il n’a jamais été contacté par les députés français auteurs de la proposition de loi. Qui ont donc encore du pain sur la planche.


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