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Tobin : la taxe d’apprentissage écologique
lundi, 26 octobre 2009 / Julie Majerczak

Taxer les transactions financières : voilà une idée, vieille de 40 ans, qui est remise au goût du jour par des députés européens. Leur rêve : lever 230 milliards de dollars par an pour soutenir les efforts de réduction des gaz à effet de serre des pays en voie de développement.

Même dans sa tombe, James Tobin doit avoir les oreilles qui sifflent. A l’heure où la moralisation du capitalisme est sur toutes les lèvres, son idée de taxer les transactions financières refait parler d’elle. Et pas dans n’importe quel cénacle : les dirigeants de la planète, qui hier la balayaient d’un revers de la main, trouvent aujourd’hui qu’elle vaut le coup d’être examinée. A quelques semaines de la conférence internationale sur le changement climatique de Copenhague, le socialiste Vincent Peillon et une coalition « arc-en-ciel » d’eurodéputés – socialistes, verts, gauche radicale et démocrates – tentent d’emporter la mise en dégainant une version verte de la taxe Tobin. Début septembre, en commission parlementaire, seuls les élus de droite ont voté contre. Mais ils sont la première force politique au sein du Parlement européen.

Cette proposition, qui doit passer en session plénière du Parlement courant novembre, suggère d’utiliser cette nouvelle cagnotte pour soutenir les efforts de réduction des gaz à effet de serre des pays en voie de développement. Plutôt futé quand on sait que cette question du financement est le maillon faible des prochaines négociations.

Du sable dans les rouages

L’idée de la taxe n’est pas nouvelle. Elle a germé dans le cerveau de l’Américain James Tobin, ancien conseiller du président John Kennedy et prix Nobel d’économie (en 1981), il y a presque quarante ans. Le système monétaire international est alors complètement déboussolé : avec l’abandon des taux de change fixes, les monnaies flottent au gré de l’offre et de la demande. Spéculant sur les variations du cours des devises, des milliards de dollars font des allers et retours. Ces soubresauts déstabilisent les marchés et l’économie réelle.

D’où la trouvaille de l’économiste américain : créer un prélèvement sur les transactions de change – opérations d’achat et de vente de monnaies –, histoire de « mettre du sable dans les rouages » de la finance, dixit le professeur Tobin. Son unique souci est de réduire la volatilité des marchés monétaires en décourageant les spéculations à court terme. La taxe doit être modeste pour ne faire fuir que les spéculateurs invétérés. L’antidote reste au placard… jusqu’à ce que les altermondialistes – qu’on appelle alors le mouvement antimondialisation – s’en emparent.

« Le typhon sur les Bourses d’Asie menace le reste du monde. La mondialisation du capital financier est en train de mettre les peuples en état d’insécurité généralisée. (…) Le désarmement du pouvoir financier doit devenir un chantier civique majeur (…). » L’appel est lancé par Ignacio Ramonet dans l’édito du Monde diplomatique de décembre 1997. Quelques mois plus tard, Attac (Association pour la taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens) est née. Le mouvement tisse sa toile aux quatre coins du monde. La taxe Tobin devient une arme de combat contre la « tyrannie de la finance internationale » et le « capitalisme casino ».

Mais alors que Tobin pensait taxation des devises, les altermondialistes embrassent, eux, toutes les transactions financières : actions, obligations, produits dérivés, monnaies…. Et surtout, ils en font un « impôt mondial de solidarité », qui doit permettre de récolter de l’argent pour le redistribuer aux pays les plus pauvres. Le ramdam des altermondialistes trouve un certain écho politique. Le Parlement canadien est le premier à sauter le pas, l’Assemblée nationale en France suit en 2001.

Mais à chaque fois, ces soutiens sont conditionnés à une application à l’échelle internationale. La finance mondiale peut dormir tranquille. Quelques mois avant sa mort, en 2002, le prix Nobel sort de sa réserve pour rappeler, lors d’une interview à l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, qu’il défend le libre-échange et qu’il n’a « rien de commun avec les praticiens de cette révolution contre la mondialisation ».

La mouche et le marteau-piqueur

« Avec une taxe Tobin même limitée à un taux de 0,1 %, nous pourrions déjà lever plus de 230 milliards de dollars par an pour lutter contre le réchauffement climatique, permettre à la moitié de l’humanité de continuer à se développer et initier une nouvelle ère de régulation du capitalisme global », prêche l’eurodéputé Vincent Peillon. Sur le papier, la taxe Tobin version écolo a de la gueule. Pourtant, de nombreux économistes font la moue.

Primo, « il faut arrêter d’appeler taxe Tobin ce qui n’en est pas une », estime Jean-Paul Betbèze, directeur des études économiques du Crédit agricole. Deuxio, explique-t-il, une taxe ne peut « pas être légitimée par l’utilisation qu’on veut en faire. Sa seule justification doit être son efficacité. C’est le B.A.BA de la théorie économique ». Créer une taxe généralisée sur la finance ne serait donc pas l’outil adéquat pour la remettre dans le droit chemin. «  C’est utiliser un marteau-piqueur pour écraser une mouche », résume Xavier Timbeau, de l’OFCE, centre de recherche en économie de Sciences Po, en soulignant qu’il faudrait au moins cibler la prise de risque, sauf à décréter que toutes les transactions financières sont socialement inutiles. Quand une banque prête de l’argent à une PME et se rémunère, personne n’y voit rien à redire.

Mais distinguer le bon grain de l’ivraie n’est pas évident. « La priorité, c’est de se mettre d’accord sur le principe. Après, on pourra discuter des détails », plaide l’eurodéputé Vert Pascal Canfin, pour qui il est tout à fait imaginable d’appliquer un taux différent selon les produits financiers et la durée de détention. Pour Jean-Paul Betbèze, c’est niet : « Il faut tout faire pour empêcher les gens de rouler à 190 km/h plutôt que de mettre des péages. » Autrement dit, il faut faire la guerre aux paradis fiscaux, mettre en place une réelle traçabilité, augmenter les fonds propres… En clair, surveiller et réguler, mais pas taxer.

Autre écueil : penser que l’on peut avoir le beurre et l’argent du beurre. Comme le pointe Xavier Timbeau, soit la taxe est une arme antispéculation dissuasive, et elle ne générera alors pas de recettes, soit il s’agit de récolter des fonds, mais alors elle n’aura pas d’effet sur la finance. Réponse de Pascal Canfin : « La réalité, ce n’est jamais tout blanc ou tout noir. Certains changeront de comportement, et tant mieux, d’autres non, mais ils verseront leur écot. » D’autres économistes mettent aussi en garde contre une usine à gaz fiscale et les risques de contournement. « De faux arguments, tranche l’eurodéputé vert. Quand on est capable d’envoyer des gens sur la lune, on est capable de taxer les flux financiers. » A condition que toutes les places financières mondiales jouent le jeu.

Illustration : François Supiot

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