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Nike a perdu sa langue
mardi, 19 août 2003
/ Walter Bouvais / Cofondateur et directeur de la publication du magazine Terra eco et du quotidien électronique Terraeco.net Suivez-moi sur twitter : @dobelioubi Mon blog Media Circus : Tant que dureront les médias jetables |
Comment un "simple citoyen" californien peut-il, à lui seul, menacer de faire taire une multinationale ? Réponse : en la prenant au pied de la lettre.
Marc Kasky, yeux bleus et cheveux bouclés, promène sa presque-soixantaine débonnaire dans les allées de la NTC, une fondation privée occupant d’anciens bâtiments de l’US Navy à San Diego. Ce professionnel reconnu et discret, spécialisé dans la reconversion d’édifices militaires en espaces culturels, s’est vu confier la direction intérimaire de cette fondation le 19 juin dernier. Mais un autre événement, intervenu une semaine plus tard, pourrait valoir à ce « simple citoyen » californien, comme il aime à se définir, d’entrer dans l’histoire. Le 27 juin dernier, la Cour suprême des Etats-Unis lui a en effet reconnu le droit de poursuivre en justice l’entreprise Nike, le numéro 1 mondial des vêtements et articles de sport.
Pour comprendre l’« affaire Nike versus Kasky », comme il est désormais convenu de la nommer, un retour en 1997 s’impose. A l’époque, la multinationale fait l’objet d’une vigoureuse campagne médiatique. Des ONG lui reprochent de travailler, dans des pays en développement, avec des sous-traitants ne respectant pas les droits de leurs salariés, voire maltraitant femmes et enfants. En réponse à ce feu de critiques, les dirigeants de Nike publient une série de communiqués, dans lesquels ils réfutent les faits avancés par les ONG. Ulcéré par ces déclarations qu’il estime mensongères, Marc Kasky décide en 1998 de poursuivre la multinationale pour « publicité mensongère », ainsi que le permet la loi de l’Etat de Californie. Selon lui, les prises de position publiques de Nike relèvent non de la réalité, mais d’un « discours marketing » destiné à enjoliver les faits pour accroître les ventes de l’entreprise. Nike elle-même reconnaît que « virtuellement, tout ce que fait une entreprise a pour objectif d’améliorer ses résultats financiers ».
Ces soutiens n’ont pas suffi. Le 27 juin, les juges de la Cour suprême se sont déclarés incompétents pour juger l’affaire... Qui devrait donc être re-jugée, au fond cette fois, par un tribunal californien. Mais Marc Kasky est un humaniste. « Ce qui m’intéresse, explique-t-il à Terra Economica, ce n’est pas tant de gagner ou de perdre ce procès, que de savoir enfin si ce que rapportent les ONG concernant les usines vietnamiennes et indonésiennes, est vrai ou pas ». Les avocats des deux parties sont actuellement en contact en vue d’un éventuel accord à l’amiable. S’ils y parviennent, Marc Kasky se dit prêt à abandonner la procédure. Ses conditions ? « Nike doit accepter de mener des inspections approfondies sur les conditions de travail des employés de ses sous-traitants asiatiques, prévient-il. En outre, je souhaiterais qu’une partie des bénéfices réalisés par l’entreprise dans les années 1997-1998 soient reversés aux employés ». Si Nike refuse ? Marc Kasky promet d’aller au bout de la procédure. Il veut avoir le dernier mot.