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J’ai une semaine pour devenir collaborative
vendredi, 18 juillet 2014 / Cécile Cazenave

Votre mission, si vous l’acceptez, est de mettre dans votre vie une sérieuse dose de collaboratif. L’assiette, le placard, le vélo, rien n’échappera à votre détermination. Vous avez sept jours.

Jeudi 1er mai, chômé et pluvieux. Un jour idéal pour faire le tour des objets inertes qui pullulent dans notre deux pièces-cuisine parisien. D’ailleurs, nous allons incessamment passer de deux à trois personnes dans les mêmes 45 mètres carrés. Il est temps de faire le ménage par le vide. C’est d’ailleurs comme ça que la plupart des gens mettent un pied dans l’économie collaborative. En vendant sur Le Bon Coin plutôt que dans un vide-grenier printanier. Le concept peut sembler tristoune, mais ce type de service réserve bien des surprises.

Ma copine Clara a ainsi vendu les meubles de la chambre de sa fille, devenue grande, à une ostéopathe qui lui a proposé un marché de dernière minute : le mobilier contre quelques séances de soin. Bonne affaire, les doigts de l’ostéo valaient de l’or.

Un grille-pain sauvé de justesse

J’attaque la cuisine et déniche un grille-pain, à vue de nez foutu, discrètement glissé sous l’évier il y a quatre mois en attendant une décision de couple à son sujet. Je jette un rapide coup d’oeil sur les 26 réponses du site Commentreparer.com sur la panne commune du grille-pain. Et comprends qu’il va falloir tout de même s’agiter un peu du ciboulot.

Le collaboratif, ce n’est pas comme appeler grand-père et attendre que ça se passe. Il faut commencer par identifier le dysfonctionnement. Je branche l’appareil et m’aperçois, embarrassée, qu’il marche parfaitement. Un léger défaut de baguette soutenant la tartine, certes, mais rien d’irrémédiable. Première leçon de vie share : se débarrasser des mauvaises habitudes du tout-jetable.

Le bide de l’essoreuse à salade

Au fond d’un placard, je dégotte une essoreuse à salade n’ayant jamais servi. J’opte pour Myrecyclestuff, une plateforme qui annonce un super-troc dans 12 heures et 10 minutes. Si j’ai bien compris, un moteur de recherche devrait introduire mon bien dans une sorte d’échange circulaire : Elsa donne son livre de cuisine grecque à Martin qui donne son skate board à Louise qui donne sa collection de timbres à Marcel qui me donne des pots de renoncules, alors que je donne mon essoreuse à Elsa.

J’ai beaucoup misé sur ce grand loto villageois 2.0. Ce vendredi, la réalité est crue. Mon essoreuse n’intéresse personne, et la machine m’a quasi-éjectée du circuit. Cruauté de la vie collaborative. Mais je peux encore miser sur le grand week-end en cours pour louer mon fleuron, un appareil à gaufres neuf, offert en 2008 à mon compagnon par sa soeur. « Mais j’en ai tout de même fait une fois, des gaufres, et maintenant que tu l’as sorti, ça me donne envie de m’y remettre », déclare ma moitié quand je lui explique que l’accessoire superfétatoire va être mis en location sur un site Web dans les deux heures.

Un gaufrier à Byzance

Je dois certes constater que la plupart des gaufriers proposés sur le site Zilok disposent de la fonction croque-monsieur. Mais personne n’en loue dans le XIXe arrondissement de Paris. J’ai donc mes chances. Objet 335 734. Je m’aligne sur la concurrence et demande 5 euros par jour. Avec les commissions, il sera loué 6,25 euros jour, 75 euros par mois. Byzance quoi !

En attendant, me voici en route pour la Foire de Paris, ce temple consumériste déguisé sous l’appellation de « panthéon de l’innovation ». La communauté du « share » y tient un « village ». J’arrive trop tard pour l’atelier de fabrication de housses de smartphone. Le stand des fablabs, ces ateliers collaboratifs qui essaiment un peu partout en ville, attire quelques curieux. Dont Monique, qui fabrique elle-même ses bijoux et s’intéresse de près à une imprimante 3D.

Heureuses Highlands !

Force est de constater que l’esprit pionnier s’éloigne. Ce qui a l’air si fun sur les réseaux sociaux prend un tour un peu minable dans l’allée humide du parc des expositions de Versailles. Heureusement, samedi, on se rattrape sur la bouffe. Je m’y suis, il est vrai, prise comme un manche.

Il y a trois jours, j’ai passé ma première commande à La Ruche qui dit oui !, une plateforme d’achat en direct aux producteurs, aux alentours de 18 h 48 quand les ventes fermaient le soir-même. Les lots de carottes étaient épuisés. Au dernier moment, j’ai réussi à choper un peu de roquette et une botte de blettes, ainsi que quatre steaks hachés de boeuf des Highlands, élevé à Villers-sur-Auchy, dans l’Oise. Je sais bien qu’il faut ralentir notre consommation de bidoche. Mais M. Haudebourt nous indique que ses vaches ont brouté une pâture sans engrais ni pesticides, heureuses Highlands !

La grève du tofu

Et puis, je suis enceinte et j’ai envie de hamburgers maison, pas de tofu germé. Ajoutons des oeufs et un kilo de pommes de la Ferme des Vallées, à Auvers-sur-Oise, un pain complet bio du Pain d’Hervé, à Espaubourg, toujours dans l’Oise, et 500 grammes de yaourt nature de la Ferme du sire de Créquy, à Fruges (Pas-de-Calais). L’addition régionale affiche 26,29 euros. OK, je marche. La distribution me permet de découvrir l’espace de co-working Mutinerie, où les producteurs remettent leurs lots de victuailles à ceux, parmi les 2 000 inscrits, qui ont passé commande.

Pour ce week-end, j’avais bien pensé me lancer dans une location de camping-car sur Jelouemoncampingcar.com et repéré le petit combi Volkswagen d’un voisin dont j’ai toujours rêvé. Hélas, Météo France prévoit 6° C dimanche matin. Et je ne suis pas d’humeur à me geler les arpions. Avouerai-je qu’en matière de transports je n’ai jamais collaboré ?

Groupe de gospel en tournée

Rien à voir avec mon ami Adrien, grand habitué du covoiturage vers Angers (Maine-et-Loire). Son heure de gloire eut lieu il y a quelques années, le jour où ses chauffeurs, trois grandes baraques black, l’ont embarqué, avec sa copine, depuis la capitale angevine, dans leur guimbarde aux vitres scotchées.

Les gaillards étaient fans de Dalida et trouvaient que, puisque personne n’était pressé, un petit trajet par les nationales serait guilleret. En s’arrêtant dans un bistrot de village, la patronne crut qu’elle avait affaire à un groupe de gospel en tournée dont Adrien était le producteur… « Mais tu sais, maintenant, c’est bien plus carré, c’est fini les folles aventures », m’explique-t-il. Car oui, dans la vie comme dans le collaboratif, c’est soit le service sécurisé, soit les anecdotes croustillantes, rarement les deux.

Des vélos et de l’orgue

Pour ce qui est des déplacements, je m’en tiendrai donc au biclou. Délaissé depuis que j’ai opté pour le vélo en libre-service, le mien est à l’état d’épave. Sans trop y croire, je le pousse jusqu’à la Cyclofficine du XXe arrondissement, un atelier participatif de réparation qui ouvre le lundi soir pour ceux qui sortent du boulot. Coco, un animateur bénévole, m’accueille et diagnostique une clavette foutue, un pédalier amorphe et un câble de changement de vitesse HS. Autant me parler chinois.

Pendant que je m’empare au hasard d’une clé plate de 10 et commence à déboulonner le bazar, Cécile, une autre bénévole, nous passe un enregistrement d’orgue de l’abbaye d’Hautecombe. Deux heures plus tard, j’ai du cambouis jusque dans les cheveux, et ma voisine de bricole a bien essayé de me convaincre que crier un bon coup était aussi efficace qu’une péridurale… Mais, grâce à l’aide des bricoleurs du soir, ma petite reine frétille de nouveau. Je suis surtout fière comme une papesse et roule joyeusement en tanguant du bidon. Le collaboratif, ça vous requinque une femme en cloque !