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Voyage au coeur de l’arène des abeilles
vendredi, 18 juillet 2014 / Cécile Cazenave

Beeotop rassemble 16 associations, entreprises et ONG autour de l’économie sociale et solidaire, avec, dans un coin de la tête, l’idée de créer des synergies.

C’est une tour comme les autres, plantée au bord du périphérique parisien, à la porte de Clichy, côté banlieue. Comme dans tous les immeubles de bureaux, on patiente quelques minutes dans le grand hall pendant que le préposé à l’accueil décroche son téléphone et prévienne, dans les étages, de votre présence. Pendant que des centaines de véhicules défilent de l’autre côté de la façade, vous vous installez dans un canapé. C’est là qu’une légère dissonance commence à poindre.

L’armoire devant vous semble sortie d’un vide-grenier, de gros coussins ornent des sofas moins frais qu’ils ne devraient l’être en pareil lieu. Certes, il y a toujours des portillons automatiques, des badges électroniques et un homme de ménage en train de s’affairer, mais il faut bien dire que les trentenaires qui entrent et sortent ont l’air plus cools, dans leurs inexistants tailleurs-costards. Car, non, vous n’êtes pas dans un immeuble de bureaux comme le grand capital en a produit des dizaines, vers la Défense. Vous êtes là où les collaboratifs parisiens connectés actifs doivent être : le BeeoTop, le premier espace de travail partagé sorti des cartons d’une multinationale.

« Recréer un écosystème »

« Ici, c’est l’abeille vie », « La ruche, c’est l’arène des abeilles », proclament d’ailleurs des cartels, punaisés pour l’inauguration officielle, il y a quelques semaines. « Ici, on essaye de recréer un écosystème », lance Frédérique-Rose Maléfant, en guise d’explication – attendue – pour ce nom indéniablement dans l’air du temps.

Cette grande femme brune qui réclame son café du matin était jusqu’à il y a peu à la direction de la communication et du mécénat de l’assureur Generali. Le mastodonte du CAC 40 l’a déléguée pour gérer ces 6 500 mètres carrés, restés vides pendant plusieurs années, avec la mission d’en faire un pôle d’économie sociale et solidaire.

Associations, entreprises engagées dans la RSE, start-up y sont donc hébergées. Concrètement, le mètre carré est loué 230 euros hors taxes, un prix proche du marché, mais dont la moitié est prise en charge par l’assureur. Aucun dépôt de garantie n’est exigé à l’entrée.

Faciliter les rencontres

Dans les étages, des murs de couleurs vives, herbe tendre ou framboise psychédélique rompent la monotonie des pièces. Une cuisine, mirécup, mi-Ikea, remplace l’éternelle et impersonnelle machine à café. Les salles de réunions qui servent aussi de salles à manger sont mises en commun pour que les différents habitants de l’étage se croisent, se parlent, échangent et pour finir collaborent.

Dans quelques semaines s’installera sur trois niveaux l’intégralité du siège social d’Action contre la faim. Mais cohabitent déjà les salariés de Plan France, une ONG de solidarité internationale, de Pik- Pik Environnement, une association de sensibilisation, ou de l’Académie Christophe-Tiozzo, dont la vocation est la réinsertion par la boxe.

En tout, seize structures distinctes ont posé leurs valises. « Etre physiquement au même endroit, ça veut dire mieux se connaître et éventuellement échanger des ressources humaines, comme les services d’une comptable par exemple, mais il y a aussi une alchimie difficilement mesurable : certains vont se nourrir de ceux qu’ils ont à côté d’eux, d’autres vont continuer à bosser avec des écouteurs sur la tête ! », analyse Alexandre Guilluy, qui a participé à la mise en route du lieu et développe des projets similaires pour le compte de la foncière Etic.

Fitness et feu de bois

Ces espaces appelés « tiers lieux », mi-privés mi-publics, qui se veulent avant tout créatifs, se multiplient aujourd’hui. « On y réfléchit à d’autres manières de travailler : la grande entreprise a intérêt à regarder ce qu’il s’y passe, commente Frédérique-Rose Maléfant.Ici, par exemple, elle a bien compris que ce labo in vivo est susceptible de la nourrir aussi. »

Dans l’ancienne salle de fitness du service marketing de Peugeot, les derniers habitants conventionnels de l’immeuble, ça sent encore un peu le feu de bois froid. L’espace dédié au co-working à proprement parler est rempli par les salariés et les quelques affaires encore fumantes du groupe d’entreprises d’insertion Ares, dont les locaux parisiens viennent d’être ravagés par un incendie. Pas de quoi gêner Vincent David, patron de Relations d’utilité publique, une agence de communication qu’il a créée il y a huit ans. Bien que sa boîte compte désormais six personnes, il ne voit nul besoin de les rassembler sur un site unique et préfère de loin une conférence sur Skype le lundi et sa vie de co-workeur.

Entre Airbnb et DHL

Asma Ben Jemaa, sa voisine, ne partirait, elle, pour rien au monde et surtout pas maintenant. Cette jeune entrepreneuse met la dernière main à son projet de transport de colis entre particuliers. Destiné aux communautés maghrébines et africaines son service, baptisé JWebi pour « courrier », « un mélange entre Airbnb et DHL », et le site Web qui va avec doivent être prêts pour l’été. Et c’est sa collègue co-workeuse, ancienne cadre marketing, qui joue la conseillère. « Ces échanges avec des gens plus expérimentés comptent beaucoup », explique Asma.

Certains des locataires ont d’ailleurs fait stand commun dans un salon de développement durable. Bref, en quelques semaines, la pollinisation a débuté au rez-de-chaussée. Bon signe pour un premier printemps.


Niveau : Averti
Chiffre d’affaires : 800 000 (2013)
Participants : 160
Le + : C’est une première avec un grand groupe
Le - : Moins bricole-bohème que d’habitude