https://www.terraeco.net/spip.php?article5594
Lipton Yellow, le thé vert ?
lundi, 26 octobre 2009 / Emmanuelle Walter

Le leader mondial affiche sa nouvelle mascotte : une grenouille verte. Symbole du label Rainforest Alliance, elle est censée garantir protection des ressources naturelles et qualité de vie des cueilleurs. C’est avant tout un moyen de ne pas perdre la course à l’équitable.

Le Lipton Yellow Label. Oui, le petit sachet jaune ! Numéro un mondial du marché, ce thé grand public et sans grande saveur est acheté au moins une fois par an par 60 % des foyers français. Lipton achète chaque année 12 % du thé noir produit sur la planète. C’est dire l’impact potentiel de la campagne « développement durable » engagée depuis un an et demi par cette filiale d’Unilever.

Objectif ? Faire connaître la labellisation des plantations africaines et asiatiques par l’ONG américaine Rainforest Alliance. Celle-ci exige la protection des ressources naturelles, l’amélioration de la qualité de vie des cueilleurs de thé et la viabilité des exploitations. Pour l’heure, seules 50 % des feuilles contenues dans un sachet de thé proviennent de plantations certifiées ; l’an prochain, pour le marché européen, on passera à 100 %. Et en 2015, tous les paquets vendus dans le monde devraient porter le label Rainforest, une petite grenouille verte.

La stratégie

« Votre simple tasse de thé peut faire beaucoup », peut-on lire, depuis un an, au dos des paquets Lipton. On y vante, usant d’une imagerie un brin Oncle Tom, les écoles primaires gratuites destinées aux enfants des cueilleurs kényans ou la protection de la faune et de la flore dans les plantations. Les publicités magazine – réalisées par l’agence DDB – ont été publiées au printemps et à l’automne 2008 dans toute l’Europe de l’Ouest : la « simple tasse de thé » y contribue à « la protection des écosystèmes », à « construire des écoles », à « augmenter les revenus des cultivateurs ». L’Afrique y est post-coloniale, sauvage et riante, avec des enfants proprets vêtus d’uniformes à l’anglaise.

Plus sophistiqué, le site Internet Lipton for the future est « davantage destiné aux 25-35 ans qui s’intéressent à ces questions, alors que nos consommateurs sont assez âgés », explique Guillaume Voneschen, chef de produit. Ici, on navigue entre interviews lapidaires de cueilleurs (« Combien avez-vous d’enfants ? », « Buvez-vous du thé ? ») et jeux vidéo mettant en scène des petits avatars de salariés des plantations Lipton au Kenya (« Donnez un tablier de protection à chaque travailleur ! », « Accompagnez tous les enfants de la plantation à l’école ! »). Ennuyeux : il n’est question nulle part du salaire des cueilleurs ou du prix du thé au kilo.

Cas d’école

L’ONG Rainforest Alliance, jugée performante pour la protection de l’environnement dans les plantations et autour, est-elle socialement efficace ? Voire… équitable ? A première vue, c’est non. Le mot « équitable » est d’ailleurs absent de la communication Lipton. Si l’on compare avec Alter Eco, marque emblématique de l’équitable, la différence est saisissante : Alter Eco achète le thé 9 dollars le kilo à de petits producteurs, quand Lipton se fournit dans de grandes plantations en déboursant 2,50 dollars. Quant au discours, il n’est pas exactement empreint de philantropie : « Notre certification Rainforest – deux millions d’euros supplémentaires investis par an -, c’est de la “ préservation business ” à long terme. Pour éviter d’être un jour rejetés par les consommateurs », explique Florence Coulamy, directrice du développement durable d’Unilever France.

Rainforest apparaît donc, a priori, comme une certification peu exigeante, adaptée aux besoins des multinationales. Mais si l’on creuse, on s’aperçoit que ce n’est si simple. Comparons cette fois avec LE label équitable, Fair Trade-Max Havelaar. Surprise : le prix plancher fixé par ce label pour le kilo de thé est actuellement plus bas que les 2,50 dollars payés par Lipton ! En outre, Lipton assure payer ses cueilleurs kenyans trois fois le salaire minimum du pays. Pour la comparaison manichéenne, méchante multinationale contre généreux équitables, c’est un peu raté.

Alors quelle différence entre une grande plantation de thé certifiée Rainforest Alliance et une autre certifiée Fair Trade ? Réponse : la gestion exigée par Rainforest ne bouleverserait pas le management paternaliste des grandes plantations. Les interviews infantilisantes des cueilleurs kényans de Lipton ou cette photo d’un patron avec l’ouvrier en tablier jaune et vert font office d’aveu.

A l’inverse, Fair Trade se veut progressiste : « Nous demandons que des représentants élus des salariés et des comités paritaires soient décisionnaires sur l’utilisation de l’argent versé en plus, la “ prime de développement ”. Quitte à aider les cueilleurs à devenir plus indépendants en développant de petites entreprises parallèles. » Chez Rainforest, on reconnaît l’absence de « comités paritaires ». Mais on assure favoriser la mise en place d’organisations similaires. L’ONG britannique Consumers International, comparant les systèmes, donnait cependant l’avantage à Fair Trade.

Verdict

Pas d’écoblanchiment dans cette campagne donc, mais la révolution du commerce international et l’équité Nord-Sud ne sont pas au programme. Votre tasse de thé a un goût… de peut mieux faire. 

L’AVIS DE L’EXPERT : 2/5

Gildas Bonnel, membre du collectif Adwiser 

« Les informations sont honnêtes, Rainforest est une ONG reconnue et sérieuse, et Lipton est clair sur son point d’étape : seule la moitié du thé est certifiée. On ne peut taxer la marque de greenwashing. Mais la mise en scène publicitaire et le site Internet, comme ce jeu vidéo avec les cueilleurs de thé à qui il faut mettre un petit tablier, renvoient une image virtuelle et aseptisée de l’Afrique, assez inacceptable, qui décrédibilise la démarche. »

Illustrations : DDB

- Lipton for the future

- Le collectif Adwiser


AUTRES IMAGES

JPEG - 156.5 ko
330 x 440 pixels