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L’urine de baleine nous sauvera-t-elle du changement climatique ?
vendredi, 11 juillet 2014 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Machines à redistribuer les nutriments, puits de carbone… Les cétacés sont de véritables piliers de l’écosystème océanique, souligne une étude de l’université américaine du Vermont.

Après avoir festoyé dans les profondeurs, les puissant cétacés remontent à la surface pour respirer et se reposer. Et, au passage, relâchent des panaches de matière fécale qui nourrissent l’indispensable plancton, à la base de toute la chaîne alimentaire. « Des pompes de l’océan » en somme, comme les chercheurs les surnomment. Mais ce n’est pas tout, les baleines sont aussi de généreuses alliées distribuant à tours de nageoires de la nourriture aux autres espèces. En effet, sans que l’on sache vraiment pourquoi, elles se nourrissent dans les eaux poissonneuses des hautes latitudes mais mettent bas bien au chaud, notamment au large d’Hawaï ou des Caraïbes. Là encore, au terme d’une longue migration, elles urinent en grande quantité, apportant à ces eaux pauvres en nutriments une richesse azotée inespérée. C’est le « tapis roulant » baleinier, souligne Joe Roman, biologiste à l’université du Vermont, aux Etats-Unis, et auteur principal d’une étude publiée dans Frontiers in Ecology and the Environment sur les vertus encore méconnues des cétacés à fanons et des grands cachalots. Enfin, leur vie achevée, elles tombent, lourdes carcasses, au plancher des mers, servant d’abri à une foultitude d’espèces : animaux nécrophages, crabes, vers… qui se nourrissent des os et des tissus qu’elles ont laissées.

Indispensable, la baleine l’est au grand équilibre océanique. Pourtant, son impact sur son environnement, l’homme le sous-estimait jusqu’ici. Parce que les spécimens de balénidés tendaient, avant les années 1980, à disparaître, emportant leurs secrets avec eux. Aujourd’hui, la plupart des espèces reprennent du poil (qu’elle n’ont pas) de la bête. Grâce, par exemple, à la loi américaine de 1973 qui interdit de tuer tout mammifère marin ou au moratoire international bannissant la chasse commerciale à la baleine. Résultat : « La population des baleines à bosse du Pacifique a grossi récemment de 60%, les grands cachalots aussi ont largement réapparu », souligne Joe Roman.

Un système plus résilient

Et les rangs des populations grossissant, les effets sur l’écosystème deviennent plus évidents aux yeux des biologistes. « Nous avons tendance à penser que les écosystèmes océaniques fonctionnent de bas en haut. Que le phytoplancton, le zooplancton, tous les microorganismes mènent le bal. Certes ils sont incroyablement importants, mais les gros prédateurs jouent aussi un rôle crucial », souligne Joe Roman.

Et face au changement climatique, ces gros mammifères pourraient se révéler encore plus utiles. « Si ne subsistent dans l’océan que des espèces très abondantes mais à vie courte, comme le zooplancton, on va avoir beaucoup d’oscillations. En cas de perturbation, ces populations chuteront massivement. On se retrouvera alors avec un océan très différent de celui qu’on connaît et beaucoup moins désirable. En revanche, avec les baleines, les requins ou les gros poissons, vous avez davantage de résilience aux événements extérieurs. Parce que ce sont des espèces qui vivent longtemps et n’ont des petits que peu fréquemment, les oscillations sont atténuées et le système entier est plus stable », précise Joe Roman. Il a donc plus de chances de résister à une augmentation de température ou à une acidification des eaux.

Des puits de carbone

Mieux, les baleines peuvent agir directement sur la concentration en émissions dans l’atmosphère ajoute encore le biologiste : « Il n’y a pas d’arbres au fond des océans, mais quand les baleines tombent, elles emportent avec elles de grosses quantités de carbone. Avec la croissance des populations de baleines, la quantité de carbone retiré de l’atmosphère sera plus importante », assure le chercheur. Avant de tempérer : « Ça ne va pas compenser les effets du changement climatique. En revanche, ce qui est important, c’est de reconnaître qu’en les chassant, nous avons eu un impact sur le cycle du carbone. On retirait les baleines de l’océan, on brûlait leur huile pour faire du combustible… Maintenant que les populations grossissent à nouveau, on a une chance de réparer ce qu’on a fait. »