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Feux tricolores sur les aliments : oui, ça fonctionne !
mercredi, 25 juin 2014 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

L’étiquetage nutritionnel ? Une bonne idée pour le gouvernement qui veut l’introduire dans sa loi sur la santé. Petit tour aux Etats-Unis qui l’ont expérimenté.

Un feu tricolore sur une boîte de camembert, le corps métallique d’un soda, le flanc d’un yaourt ? L’étiquetage nutritionnel, véritable serpent de mer au pays de l’agroalimentaire, est revenu au menu gouvernemental le 19 juin lors de la présentation des grandes orientations de la loi sur la santé. Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, s’est en effet déclarée « en faveur d’un logo permettant de rendre compréhensible une information nécessaire sur la qualité nutritionnelle des produits alimentaires industriels ». Les mesures du texte ne seront dévoilées qu’à la fin du mois de septembre.

Beaucoup s’accordent aujourd’hui pour dire que le simple tableau nutritionnel qui décline, au dos de l’emballage, la valeur énergétique d’un produit et la quantité de ses nutriments (protéines, lipides, glucides, etc.) n’est pas satisfaisant. « Personne ne le regarde, sauf les diabétiques ! », tranche Pierre Chandon, professeur en marketing spécialisé dans les questions d’étiquetage nutritionnel à l’Institut européen d’administration des affaires. Reste à trouver mieux.

Un bon compromis

Dans un rapport remis en novembre dernier, le spécialiste de la nutrition Serge Hercberg estimait d’ailleurs que « les logos les plus simples sont les plus efficaces » évoquant le principe des pastilles de couleurs. « Trop d’infos tue l’info, mais pas d’info du tout, ce n’est pas bon non plus. Le feu tricolore est un bon compromis. C’est une information que tout le monde comprend. Et qui ne consiste pas à dire que tel ou tel aliment est interdit », souligne Pierre Chandon.

En France, le feu tricolore ne saurait être obligatoire – c’est contraire à la réglementation européenne. Mais il pourrait être adopté sur une base volontaire par les distributeurs et les industriels (Voir encadré au bas de l’article). Mais ces derniers sont déjà vent debout contre une telle mesure. « Ces démarches (type échelle nutritionnelle ou pastilles de couleurs, ndlr) n’apporteraient pas une information factuelle et utile au consommateur », souligne ainsi l’Ania (Association nationale des industries alimentaires) dans un communiqué de presse. En clair, ça ne marche pas. Vraiment ?

- 9,2% de ventes sur les produits rouges

Pour en avoir le cœur net, penchons-nous sur une étude menée dans une des 7 cafétérias du Massachussets General Hospital de Boston (Etats-Unis) et publiée dans le American Journal of Public Health. Pas une mini boutique, non. Cet espace-là réalise plus de 6 500 transactions et encaisse 30 000 dollars (22 000 euros) de recettes par jour. Or, voilà. En mars 2010, une équipe de chercheurs s’est glissée entre ses rayons pour apposer des petits triangles rouge, jaune et vert sur les étals ou les produits. Au mur, des affiches précisaient la règle : vert pour « Peut être consommé souvent », jaune pour « A consommer moins souvent » et rouge pour « vert et jaune sont de meilleures options ». Les résultats furent édifiants : -9,2 % de ventes sur les produits estampillés rouge, +1,2 % pour les jaunes et +4,5 % pour les verts. Une tendance accentuée au stand des boissons avec une baisse enregistrée de 16,5% pour les sodas marquées au fer rouge et une progression de 9,6% pour les liquides habillés de vert.

Mais l’expérience ne s’est pas arrêtée là. En juin 2010, les chercheurs ont refait un tour par la cafétéria. Il s’agissait cette fois de modifier le placement des produits en mettant en avant les aliments bons pour la santé et en éloignant du regard les produits les plus gras ou les plus sucrés. Après trois mois d’expérience, de nouveaux résultats positifs avec une baisse supplémentaire de 4,9% sur les produits rouges (11,4% pour les boissons rouges) mais peu d’impact sur les produits verts sauf pour les boissons (+4%).

100 calories de moins par jour = 3 kg en moins en trois ans

« Les industriels nous disent toujours que ça ne fonctionne pas. On voulait être capable de leur répondre, souligne Anne Thorndike, l’auteure principale de l’étude. Les marques apposent des étiquettes pour dire que tel ou tel produit est bon pour la santé mais jamais pour dire qu’il est mauvais. Or, notre expérience a montré que ce sont surtout les pastilles rouges qui fonctionnent. C’est elles qui sont les plus cruciales à la prise de décision. »

Un résultat vertueux pour la santé des clients : « Il suffit de peu de différences de calories pour observer un effet important sur le poids. 100 calories de moins par jour – soit un verre de soda (de 25 cl environ, ndlr) ou trois carrés de chocolat noir – c’est 6 livres (3 kg, ndlr) perdues sur trois ans », assure Pierre Chandon qui s’appuie ainsi sur une étude américaine. « La limite du système, c’est que plus la classe sociale est pauvre, plus le taux d’obésité est important. Et ce n’est pas là que les informations sur les teneurs en calorie fonctionnent le mieux », estime Pierre Chandon. Là encore, le système du feu tricolore semble avoir permis d’éviter cet écueil. A Boston, des résultats similaires furent observés chez tous les employés de l’hôpital quelle que soit leur race – blancs, asiatiques, noirs, latinos – ou leur niveau d’études – cadres, médecins, techniciens de surface. « Les gens issus des minorités et les moins diplômés ont amélioré leurs achats même s’ils n’ont pas atteint le niveau des employés blancs ou asiatiques plus qualifiés », précise Anne Thorndike.

Vertueux et pérenne

Et la tendance à l’amélioration semble durer dans le temps. A Boston, les chercheurs ont laissé les estampilles sur les produits et fait le bilan deux ans plus tard dans une nouvelle étude. Résultat : les ventes de produits rouges et jaunes ont continué à baisser pendant un an avant de se stabiliser (autour de -20% de produits achetés par rapport à la période initiale). Mais les achats de produits verts (notamment de boissons vertes) ont continué à progresser. Ils représentaient, après deux ans d’expérience, 52% des achats (contre 46% au départ). « Ce fut l’une de nos plus importantes conclusions », expose Anne Thorndike.

Avec un tel système, les produits gras risquent de se retrouver le bec dans l’eau… à moins de changer de recette. A Boston, les responsables de la cafétéria ont bien allégé la recette d’un sandwich au thon fait maison pour le libérer du triangle rouge. Mais les marques ? Comment un Ferrero ou un Coca-Cola s’adapte-t-il pour gagner ses clients ? « Aux Etats-Unis, on s’est rendu compte qu’avec l’augmentation des mentions nutritionnelles, les industriels reformulaient certains produits et inventaient des versions allégées. Ce fut le cas pour les glaces même si ça n’a pas bien marché. En revanche, les produits de base n’ont pas été améliorés ou même se sont détériorés. Les industriels ont préféré segmenter le marché avec d’un côté des produits sur lesquels ils jouaient à fond sur le goût et de l’autre des produits allégés », précise Pierre Chandon. En clair, sur l’ensemble de la gamme de produits « sur quinze, vingt ans, il n’y a pas eu d’amélioration significative de la qualité nutritionnelle », souligne Pierre Chandon. Reste qu’équipés d’information, les consommateurs ont eu enfin le choix d’acheter ou pas. « Il faut que l’industrie comprenne le message : les gens veulent être en meilleure santé ou en tout cas, ils veulent comprendre ce qu’il y a dans leurs produits pour faire un choix éclairé, souligne Anne Thorndike. Il n’est pas question d’interdire des produits. Si les gens veulent manger un cookie, ils peuvent bien en manger un, tout en sachant que ce n’est peut-être pas une bonne idée d’en avaler un tous les jours. »


Les distributeurs et les cantines, alliés de l’étiquetage nutritionnel

Si les marques grincent des dents, c’est peut-être aux distributeurs ou à la restauration collective de mettre en place un étiquetage. Car ils ne « se font pas plus d’argent en vendant un produit plutôt qu’un autre », souligne Pierre Chandon. La démarche pourrait notamment bien fonctionner outre-Atlantique : « Aux Etats-Unis, ce sont souvent les entreprises qui paient les frais de santé de leurs employés. Du coup, ils ont intérêt à les garder en bonne santé en les nourrissant bien. »