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Comment les ONG placent-elles leur argent ?
jeudi, 19 juin 2014
/ Amélie Mougey
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Quand Greenpeace boursicote, les donateurs s’interrogent. La pratique, mise en lumière récemment par la perte de 3,8 millions d’euros, est-elle courante ?
Les donateurs de Greenpeace se sentent floués. Chaque mois, le bureau français de l’ONG reverse près d’un tiers de sa trésorerie, soit 400 000 euros sur 1,1 million, à Greenpeace International. Après la mauvaise opération boursière de cette structure, qui a entraîné la perte de 3,8 millions d’euros, c’est donc un peu de leurs cotisations mensuelles qui est parti en fumée. L’erreur a beau être imputée à un « individu isolé » – désormais licencié – qui a « outrepassé ses fonctions », elle a un goût de trahison. Pour les donateurs d’autres associations, l’événement éveille les soupçons. Entre le moment où leurs dons sont récoltés et le moment où ils sont affectés aux causes qu’ils défendent, les associations en profitent-elles pour boursicoter ?
« Tous les mois ou tous les trois mois, un comité d’éthique passe au crible les entreprises qui, en bout de chaîne, reçoivent l’argent », poursuit-elle. Professionnels de l’alcool, du tabac, des OGM, de l’armement ou de la pornographie peuvent aller se rhabiller : « Ils sont exclus d’emblée. » Pour les autres secteurs, l’ONG s’assure qu’ils respectent bien les droits de l’homme et ne se sont jamais livrés à de l’évasion fiscale.
« Des actions ? Oui, on en a ! », s’exclame Laurent Weimer à Greenpeace France. « Une chez BNP Paribas, une chez Total, une à la Société Générale, s’amuse-t-il. Ça nous donne le droit de siéger en Assemblée générale, mais financièrement, ça ne pèse rien. » Fier de la gestion de sa boutique, intégralement confiée à la Nef et au Crédit coopératif, le directeur financier ne décolère pas contre l’erreur de la maison mère : « Le caractère international de notre organisation l’oblige à se couvrir contre les variations des monnaies dans lesquelles elle passe des marchés. Qu’elle soit donc présente sur le marché des taux de change, ça je peux le comprendre, concède le responsable. Mais acheter des devises à un instant T pour les revendre plus tard en espérant engranger des bénéfices, le risque est injustifiable. » L’ONG Oxfam a beau être, elle aussi, présente à l’international, elle se défend d’avoir « jamais investi un sou dans ce type de placements ».
A la Nef, la rentabilité des placements n’éveille aucun soupçon. « Ici, les taux d’intérêt sont dérisoires, de l’ordre de 0,5%, indique Amandine Albizzati, responsable des relations institutionnelles de l’établissement financier. Mais les associations savent qu’elles souscrivent à des placements 100% solidaires. » Certains font des choix encore plus radicaux, comme le Siad (Service international d’appui au développement), qui a tiré un trait sur la rentabilité de ses économies en les confiant à la société de cautionnement bancaire solidaire Cofides, qui les réinvestit dans des projets de développement au Sud.
Reste le Crédit coopératif – la banque d’Oxfam France, d’Habitat et Humanisme, de CCFD-Terre solidaire – qui reverse une part des intérêts produits à d’autres associations. Ces bénéficiaires investissent-ils à leur tour dans la finance solidaire ? « A vrai dire, nous n’en savons rien », reconnaît Eve Bénichou à Finansol, la structure chargée de labelliser les options de finance solidaire. De leur côté, certains bénéficiaires sont peu loquaces. Par exemple, « l’Unicef France ne souhaite pas communiquer publiquement sur le sujet des placements financiers », préférant parler de ses « actions sur le terrain ». L’esquive n’est pas surprenante. « La plupart des associations ne se pose pas encore les bonnes questions », déplore Amandine Albizzati, de la Nef.