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Comment les ONG placent-elles leur argent ?
jeudi, 19 juin 2014 / Amélie Mougey

Quand Greenpeace boursicote, les donateurs s’interrogent. La pratique, mise en lumière récemment par la perte de 3,8 millions d’euros, est-elle courante ?

Les donateurs de Greenpeace se sentent floués. Chaque mois, le bureau français de l’ONG reverse près d’un tiers de sa trésorerie, soit 400 000 euros sur 1,1 million, à Greenpeace International. Après la mauvaise opération boursière de cette structure, qui a entraîné la perte de 3,8 millions d’euros, c’est donc un peu de leurs cotisations mensuelles qui est parti en fumée. L’erreur a beau être imputée à un « individu isolé » – désormais licencié – qui a « outrepassé ses fonctions », elle a un goût de trahison. Pour les donateurs d’autres associations, l’événement éveille les soupçons. Entre le moment où leurs dons sont récoltés et le moment où ils sont affectés aux causes qu’ils défendent, les associations en profitent-elles pour boursicoter ?

Ni armement, ni pornographie, ni OGM

« Après la crise financière de 2008, lorsque certaines fondations ont perdu beaucoup d’argent, on a réalisé qu’elles effectuaient des placements à risque », reconnaît Gérard de la Martinière, directeur du Comité de la charte du don en confiance, un organisme chargé de surveiller l’affectation des collectes. Mais à ses yeux, les associations sont moins concernées : « Elles ont moins d’argent et, comme il est rapidement utilisé, elles sont moins tentées de l’investir. » Ainsi, chez CCFD-Terre solidaire, la balance est parfaitement équilibrée. « On reçoit 38 millions en dons chaque année, on dépense autant », explique Geneviève Guénard. Pourtant, la directrice financière de l’organisation investit, sans s’en cacher, dans des obligations : « Une de mes missions, c’est de faire fructifier l’argent des dons », avoue-t-elle sans détour. Mais elle se méfie de la rentabilité à tout prix.

« Tous les mois ou tous les trois mois, un comité d’éthique passe au crible les entreprises qui, en bout de chaîne, reçoivent l’argent », poursuit-elle. Professionnels de l’alcool, du tabac, des OGM, de l’armement ou de la pornographie peuvent aller se rhabiller : « Ils sont exclus d’emblée. » Pour les autres secteurs, l’ONG s’assure qu’ils respectent bien les droits de l’homme et ne se sont jamais livrés à de l’évasion fiscale.

Greenpeace France ne décolère pas

De tels engagements reposent avant tout sur la bonne volonté des ONG. Si dans leur bilan financier public, les colonnes recettes et dépenses sont de plus en plus détaillées, rares sont celles qui mentionnent les modalités d’épargne et de placements. En cas d’opérations douteuses, les plus grosses structures risqueraient, dans le pire des cas, un mauvais rapport de la Cour des comptes. Du côté du Comité de la charte du don en confiance, on demande « aux conseils d’administration des associations membres d’être transparents sur leurs placements », explique Gérard de la Martinière. Mais, à l’image de Greenpeace qui n’y est pas, chaque ONG reste libre de rejoindre ou non le Comité.

« Des actions ? Oui, on en a ! », s’exclame Laurent Weimer à Greenpeace France. « Une chez BNP Paribas, une chez Total, une à la Société Générale, s’amuse-t-il. Ça nous donne le droit de siéger en Assemblée générale, mais financièrement, ça ne pèse rien. » Fier de la gestion de sa boutique, intégralement confiée à la Nef et au Crédit coopératif, le directeur financier ne décolère pas contre l’erreur de la maison mère : « Le caractère international de notre organisation l’oblige à se couvrir contre les variations des monnaies dans lesquelles elle passe des marchés. Qu’elle soit donc présente sur le marché des taux de change, ça je peux le comprendre, concède le responsable. Mais acheter des devises à un instant T pour les revendre plus tard en espérant engranger des bénéfices, le risque est injustifiable. » L’ONG Oxfam a beau être, elle aussi, présente à l’international, elle se défend d’avoir « jamais investi un sou dans ce type de placements ».

Constamment courtisées

Sans aller jusqu’à effectuer des placements risqués, les associations peuvent boursicoter contre leur gré. « On est constamment courtisées par des banques et des organismes qui veulent nous vendre des produits financiers plus prometteurs les uns que les autres, confie Geneviève Guénard. Ils sont tellement complexes qu’on n’a aucune idée de ce qu’il y a dedans. » La parade : détecter les taux d’intérêts particulièrement alléchants et les esquiver systématiquement. Mais d’autres sont moins vigilants. « Pour ne pas se faire piéger, il faut un trésorier très compétent », précise la directrice financière.

A la Nef, la rentabilité des placements n’éveille aucun soupçon. « Ici, les taux d’intérêt sont dérisoires, de l’ordre de 0,5%, indique Amandine Albizzati, responsable des relations institutionnelles de l’établissement financier. Mais les associations savent qu’elles souscrivent à des placements 100% solidaires. » Certains font des choix encore plus radicaux, comme le Siad (Service international d’appui au développement), qui a tiré un trait sur la rentabilité de ses économies en les confiant à la société de cautionnement bancaire solidaire Cofides, qui les réinvestit dans des projets de développement au Sud.

Sociétés mutualistes

Le hic, c’est que ces structures ne proposent pas de compte courant. A la Nef, l’argent placé est bloqué pour deux ans. Or, les associations ont besoin de trésorerie. Au Royaume-Uni, les trois quarts d’entre elles placent leur argent dans un des quatre plus gros établissements financiers du pays. Ainsi Oxfam, Save the Children ou la Croix Rouge ne vont pas chercher plus loin que la Royal Bank of Scotland, HSBC ou Barclays. En France, « le monde associatif a plutôt pris l’habitude de se tourner vers les sociétés mutualistes : la Caisse d’épargne ou le Crédit mutuel », indique Amandine Albizzati. Mais leurs offres ne sont pas irréprochables : « Même l’investissement socialement responsable (ISR) finance les entreprises du CAC 40 », poursuit-elle.

Reste le Crédit coopératif – la banque d’Oxfam France, d’Habitat et Humanisme, de CCFD-Terre solidaire – qui reverse une part des intérêts produits à d’autres associations. Ces bénéficiaires investissent-ils à leur tour dans la finance solidaire ? « A vrai dire, nous n’en savons rien », reconnaît Eve Bénichou à Finansol, la structure chargée de labelliser les options de finance solidaire. De leur côté, certains bénéficiaires sont peu loquaces. Par exemple, « l’Unicef France ne souhaite pas communiquer publiquement sur le sujet des placements financiers », préférant parler de ses « actions sur le terrain ». L’esquive n’est pas surprenante. « La plupart des associations ne se pose pas encore les bonnes questions », déplore Amandine Albizzati, de la Nef.