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La pédale retrouve son piédestal
jeudi, 26 juin 2014 / Simon Barthélémy

Si vous pensez que les Néerlandais pédalent plus que les Français du fait du plat pays qui est le leur, si vous croyez que les Latins sont lâchés du peloton par des Scandinaves ou des Germains plus écolos, si rouler à vélo en ville rime selon vous avec périls, alors foncez sur ces deux bouquins. Parus à quelques jours d’écart, ces plaidoyers pour le biclou démontent avec plaisir ces clichés. Les styles sont différents : Frédéric Héran, économiste spécialiste des transports, livre une analyse politique et historique, brillante et très documentée ; le journaliste indépendant Olivier Razemon oscille entre enquête et reportage, humour et coups de gueule.

Les références sont similaires – les deux auteurs se citent mutuellement – et le contenu des ouvrages, proche. Mais on y apprend des tas de choses : sur l’invention progressive du vélocipède, de la « machine à courir » de Karl Drais, la draisienne (1817), jusqu’aux Vélib ; sur ce loisir d’aristos devenu instrument d’émancipation des femmes (elles ont ainsi acquis le droit de porter des pantalons grâce au vélo, en 1892…), puis moyen de transport populaire.

Jusqu’à ce que, dans tous les pays industrialisés après-guerre, la petite reine soit supplantée par la voiture. Selon Frédéric Héran, la motorisation est alors particulièrement forte (et le regain ultérieur du vélo, plus délicat) dans les nations riches d’une puissante industrie auto, souvent issue du cycle (Peugeot en France, Rover en Grande-Bretagne). Le succès des cyclomoteurs (Solex, Mobylette…) chez les jeunes est, d’après l’économiste, une autre explication à la poursuite du déclin français.

Voiture-balai pour la France

Ainsi, dans les années 1970, le choc pétrolier, la pollution et la contestation croissante de l’urbanisme probagnole poussent certains pays à investir massivement dans les aménagements cyclables, la réduction de la place de la voiture en ville et les incitations fiscales. Mais la France attendra les années 2000 pour réagir : résultat, moins de 3 % des déplacement s’effectuent aujourd’hui chez nous à bicyclette, contre 18 % au Danemark et 27 % aux Pays-Bas. Nos maillot jaunes sont loin des leaders européens (8 % à Strasbourg et Bordeaux, 35 % à Copenhague…), et la pratique du vélo est beaucoup moins importante dans les banlieues de nos agglomérations que dans les villes centres, alors que les proportions sont similaires en Allemagne (10 % des déplacements). Les distances ne sont pourtant pas un argument : 60 % des déplacements en ville sont inférieurs à 3 km.

« En France, les efforts de modération de la circulation automobile sont surtout réalisés dans les centres, les périphéries urbaines et les villes moyennes restant souvent abandonnées à la voiture », souligne Frédéric Héran. Il voit dans la « pacification » des rues (comme les zones 30, qui permettent de réduire de 10 % à 30 % le nombre de victimes) et des aménagements urbains (contre-sens cyclables généralisés, seconds vélos dans les gares) des clés pour un vrai come-back du vélo.

Le vélo peut sauver… la Sécu

Il s’agit de changer le regard sur le biclou, souvent vu comme dangereux. Ou ringard, pour les jeunes des quartiers populaires, observe Olivier Razemon. Dans les familles issues de l’immigration, les engins motorisés sont en effet un signe de réussite et d’intégration sociale. Et les cyclistes actuels, plus bourgeois et intellos que ceux des années 1930, sont souvent raillés – des hipsters qui ignorent tout de la vie au-delà du périph !

Aussi, pour le tandem Razemon-Héran, le vélo ne doit plus être présenté comme un « talisman écolo » : afin d’encourager la pratique, il faut rappeler que pédaler est la façon la plus rapide, pratique et économique de se déplacer, et la meilleure pour la santé. Aller tous les jours à vélo à son travail, c’est deux années et demie d’espérance de vie supplémentaire, et 15 milliards d’économie pour la Sécu, soit l’équivalent du trou actuel ! C’est aussi une aubaine pour les finances locales : une piste cyclable est 200 fois moins chère qu’une autoroute urbaine, et 25 fois moins qu’un tramway. Les auteurs en sont convaincus : à l’heure de la crise écologique et économique, le vélo redeviendra un mode de transport dominant, qui, à l’horizon 2050, pourrait représenter 40 % des déplacements. En selle ! —

Le Pouvoir de la pédale, d’Olivier Razemon. Rue de l’échiquier, 192 p., 15 euros

Le Retour de la bicyclette, de Frédéric Héran. La Découverte, 256 p., 17,90 euros