Le nouveau code de la consommation vient d’entrer en vigueur. A partir de 2016, toute marchandise sera garantie deux ans. Pas assez pour certaines ONG qui soulignent qu’outre-Manche, elle s’étend jusqu’à six ans !
Mis à jour le 24 juin 2014
Vous êtes en 2016. Et vous achetez une tablette dernier cri. Si l’on vous propose de rallonger la facture en achetant une garantie à deux ans, ne signez pas ! La nouvelle loi entrée en vigueur le 13 juin – et qui applique une directive européenne de 1999 – obligera alors les vendeurs à réparer, remplacer gratuitement ou rembourser tout produit défectueux vingt-quatre mois après la date d’achat.
Une victoire pour les défenseurs de l’environnement, mais une petite victoire. En mars 2013, le groupe Europe Ecologie - Les Verts (EELV) avait déposé au Sénat une proposition de loi visant à étendre la durée légale de garantie de deux à cinq ans. De leurs côtés, les Amis de la Terre visaient encore plus loin : « Cela fait plusieurs années que l’on demande une garantie à dix ans sans l’obtenir », souligne Camille Lecomte, chargée de campagne Modes de production et de consommation responsables au sein de l’ONG. Et l’association de citer en exemple le Royaume-Uni où s’applique une garantie de six ans. Six ans, bigre ! Mais comment font-ils ?
Une durée « raisonnable »
Au pays de la Reine, c’est le « Sale of Goods Act » de 1979 qui régit le sort de toute marchandise vendue ou achetée. Selon
ce texte, les marchandises doivent être
« conformes à la description, de qualité satisfaisante et en bon état de fonctionnement ». Si ce n’est pas le cas, un consommateur pourra traîner le vendeur devant la
« Small Claims court » (littéralement « Cour des petites créances », un tribunal qui statue sur les affaires civiles entre des individus privés) et ce, jusqu’à six ans après la date de vente (cinq ans pour l’Ecosse). Ne nous emballons pas.
La loi n’est pas la porte ouverte au grand n’importe quoi. Plutôt qu’une garantie à 100%, elle prévoit « une période de prescription pendant laquelle un client peut engager une action légale au nom d’une rupture de contrat [entre lui et le vendeur] », décrypte Christian Twigg-Flesner, professeur de droit commercial à l’université britannique de Hull. Mais voilà : « Le texte est sujet à interprétation », poursuit Andy Trigg, ex-ingénieur spécialisé en électroménager et auteur du blog Whitegoodshelp.co.uk. Parmi les critères qui constituent la « qualité satisfaisante » d’un produit, on trouve la « durabilité » définie comme la capacité à « durer un temps raisonnable ». Ça vous éclaire ? Pas vraiment.
Des consommateurs mal informés
Laissons parler les experts.
« Si après trois ans votre machine à laver casse, alors que vous n’avez pas surchargé son tambour, que vous avez mis de la lessive adéquate, vous pouvez estimer qu’il y a une rupture du contrat », précise Christian Twigg-Flesner. En revanche,
« si une machine à café qui a coûté 50 livres (62 euros, ndlr)
casse au bout de trois ans, avez-vous des chances de gagner devant la Cour ? Pas sûr », soutient Andy Trigg. Tout est donc question de point de vue.
« C’est impossible de créer une législation qui dise qu’un objet doit durer un temps donné. Ça dépend de la catégorie de produits, de l’endroit et de la manière dont il est utilisé. Une machine à café qui est utilisée dans une maison familiale durera plus longtemps qu’une machine qui sert toute la clientèle d’un bar », poursuit Andy Trigg.
Est-ce la faute au flou qui l’entoure ? Les recours sont, assure Andy Trigg, assez peu nombreux, même si les statistiques manquent. D’abord parce que les consommateurs ne sont pas forcément bien informés : « Ils connaissent leur droit jusqu’à un certain niveau, estime Christian Twigg-Flesner. Ils savent qu’ils peuvent récupérer leur argent en cas de défaut d’une marchandise mais ne connaissent pas toujours les détails. Il y a un effort d’éducation à faire. » Enfin, même lorsqu’ils sont informés, ils n’osent pas toujours pousser la porte du tribunal. Certes, la Cour des petites créances est une procédure « aisée et peu coûteuse. Ça coûte à peu près 50 livres (62 euros, ndlr), précise Andy Trigg. C’est un système génial mais c’est un dernier recours. Avant d’en arriver là, un client se sera battu avec les vendeurs, se sera plaint auprès du responsable du magasin, aura contacté une association de consommateurs. Beaucoup de gens se découragent avant. Surtout pour un produit peu coûteux. »
Le fabricant protégé
Mais un autre os – plus conséquent – se cache dans les replis de la législation britannique : selon ses termes, c’est bien le vendeur et non le fabricant qui est responsable devant la loi. Pourtant, les défauts et la durabilité du produit sont bien imputables à ceux qui l’ont façonné dans leur usine. La raison de cet écueil est simple : si le distributeur est responsable, c’est qu’il a signé un contrat avec son client, pas le fabricant qui
« peut concevoir de la camelote et rester protégé de toute répercussion », résume Andy Trigg.
Pas vraiment un souci pour Camille Lecomte des Amis de la Terre :« Un distributeur qui aurait des mauvais retours de ses clients sur une marque va privilégier une marque plus durable, assure-t-elle. Ça peut inciter un fabricant à changer son mode de production. » « Oui, les distributeurs devraient - lorsqu’ils ont trop de réparations à faire sur un même produit rapporté plusieurs fois par les consommateurs - se tourner vers le fabricant et lui dire : “on ne stockera plus votre marchandise”. Mais dans la réalité ils ne le font pas, tempère Andy Trigg. D’autant qu’ils profitent aussi de la vente des extensions de garantie commerciale. » [1]
Une nouvelle dynamique
Tant qu’à s’inspirer de son voisin, le droit français pourrait bien le dépasser :
« Aujourd’hui, si un produit met un danger la santé d’un consommateur, c’est bien le fabricant qui est responsable. Ce pourrait être la même chose pour la durabilité », propose simplement Christian Twigg-Flesner avant d’ajouter :
« mais il n’y a pas de véritable volonté politique » de rendre responsables les fabricants. En France aussi, les réticences sont nombreuses
(Voir encadré au bas de cet article). Et si la balle aujourd’hui était - aussi - dans le camp des consommateurs ?
« Il faut qu’ils se réapproprient les produits. Qu’ils aillent davantage vers la réparation, assure Camille Lecomte.
Déjà, avec les ateliers de réparation de vélo, les Repair café, il y a une nouvelle dynamique en train de s’enclencher (Voir nos articles
ici ou
là, ndlr).
Il ne faut pas baisser les bras. »
En France, des fabricants et des distributeurs réticents à une garantie de cinq ans
Lors des discussions qui ont précédé la nouvelle mouture du Code de la consommation, fabricants comme distributeurs ont freiné les ambitions. Pour les premiers, une garantie de cinq ans ou plus risquait d’entraîner un surcoût pour le consommateur qui serait discriminatoire pour les petites bourses. Dans une étude (à consulter
ici) non rendue publique, Simavelec, le Syndicat des industries de matériels audiovisuels électroniques, assurait ainsi qu’une garantie légale de cinq ans conduirait
« mécaniquement à une hausse des prix de 8% à 10% environ » pour tous les consommateurs. Un argument irrecevable pour Camille Lecomte :
« Si je dois dépenser tant chaque année pour réparer ma télé que j’ai payé peu cher, c’est un surcoût. Les pauvres sont les premières victimes de l’obsolescence programmée. » Du côté des vendeurs, la résistance est, elle, venue des distributeurs comme Darty :
« Ils ont fait du chantage à l’emploi. En disant qu’une partie de leur business était fondée sur les extensions de garantie de deux ou cinq ans et qu’une garantie légale étendue coûterait la suppression de 1700 emplois », raconte la chargée de mission des Amis de la Terre.