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https://www.terraeco.net/La-France-a-toujours-les-deux,55439.html
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La France a toujours les deux pieds dans le charbon
vendredi, 13 juin 2014
/ Karine Le Loët / Rédactrice en chef à « Terra eco ». |
Chez nous, son poids est insignifiant. Mais ailleurs, l’Hexagone continue de contribuer au développement de la filière charbon… sous la pression du puissant Alstom. Explications.
Mis à jour le 27 novembre 2014 : Le président François Hollande a annoncé, le 27 novembre 2014, lors de la Conférence environnementale, la suppression des crédits à l’exportation accordés aux pays en développement dès lors qu’il y a utilisation du charbon. Le but : renforcer la lutte contre le changement climatique. « Au niveau européen, nous ferons en sorte que les subventions aux énergies fossiles soient supprimées à terme », a-t-il déclaré. |
« On soutient à l’étranger des projets qu’on ne porterait pas ici », s’agace Lucie Pinson, chargée de mission pour les Amis de la Terre. Dans sa ligne de mire : le soutien financier apporté par la France à la filière charbon au-delà de ses frontières. Pourtant, sur son pré carré hexagonal, Paris fait belle figure à côté de ses voisins, notamment allemand. Seuls 3,6% de son électricité voient le jour dans des centrales à charbon. Mais pendant qu’elle joue la vertu chez elle, la France continue de soutenir le développement de la filière à travers la Coface, son agence de crédit aux exportations.
Celle-ci a pour mandat d’aider les entreprises françaises à l’étranger. « Si Alstom veut exporter des turbines, la Coface offre une garantie aux banques. Ainsi, si l’acheteur étranger fait défaut et que le projet s’écroule, les banques qui avaient prêté à Alstom sont sûres de retrouver leur mise », précise Lucie Pinson. Depuis 2011, selon les Amis de la Terre, la France aurait ainsi soutenu des « projets charbon » à hauteur de 1,2 milliard d’euros. « Cela correspond à quatre garanties accordées à Alstom sur l’exportation de turbines pour deux mégacentrales sud-africaines, l’une à Medupi, l’autre à Kusile. Quand elles seront en service, elles devraient représenter à elles seules 14% des émissions annuelles de gaz à effet de serre de la France ! », explique la chargée de mission.
Le défi était-il intenable ? Il faut croire que non. En juin 2013, le président américain, Barack Obama, a franchi le pas et annoncé la fin de l’ensemble du soutien public américain aux centrales à charbon. Et ce via l’agence de développement du pays (l’équivalent de l’AFD), mais aussi les banques multilatérales dans lesquelles siègent les Etats-Unis [1] et surtout l’agence publique de crédit aux exportations Ex-Im (l’équivalent de la Coface).
Il faut dire qu’Alstom – l’un des acteurs de la filière à l’étranger – a mis tout son poids dans la balance. De ce lobbying intense, Pascal Canfin a été témoin : « Lors d’une réunion interministérielle à laquelle j’ai participé, les conseillers ministériels de Bercy avait devant les yeux un papier à entête d’Alstom. L’argumentaire qu’ils déroulaient était bien celui de l’industriel », précise l’ex-ministre. Pourtant, selon lui, les réserves de l’équipementier et le chantage à l’emploi qui les accompagnait – la menace de 100 postes supprimés sur 700 en France, croient savoir les Amis de la Terre – ne tiennent pas : « Cet argent qui ne pourrait plus être affecté à des centrales à charbon sales pourrait être fléché vers d’autres activités dans lesquelles intervient aussi Alstom : l’éolien, la géothermie, les transports publics propres. Leur vision est ultracourtermiste, sans aucune prise en compte de la nécessité d’une transition. » Avant d’ajouter : « Que le lobby d’Alstom soit celui-ci, ce n’est pas bien glorieux. Que les conseillers de Bercy, les politiques, ne soient pas capables de dépasser cette vision, c’est plus grave. » Sollicité, Alstom n’a pas répondu dans les délais impartis [3].
Les deux capitales veulent proposer le 16 juin à l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) [4] un seuil de performance énergétique en dessous duquel les crédits à l’exportation ne pourraient pas être attribués (voir le plan d’approche des Etats-Unis, du Royaume-Uni et des Pays-Bas dans cet autre document fuité). La France aurait fait très clairement savoir à l’ONG qu’elle ne soutiendrait pas une telle proposition punitive, mais présenterait plutôt un système d’encouragement aux projets d’énergie propre. En attendant, Alstom peut poursuivre sa conquête : « Quand on construit une centrale, c’est pour trente à cinquante ans, souligne Lucie Pinson. Ces projets contribuent à enfermer les pays dans une dépendance au charbon alors qu’on pourrait plutôt les aider à développer les énergies renouvelables qui sont aujourd’hui aussi compétitives que les fossiles. »