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Les Corses filent une châtaigne à l’insecte ravageur
mercredi, 28 mai 2014 / Cécile Cazenave

Depuis 2010, le cynips grignote dangereusement les arbres de l’île de Beauté. Pour l’éradiquer, autorités et producteurs lancent la riposte et lâchent une guêpe carnivore.

Il est sans doute arrivé par bateau, comme les touristes. Dryocosmus kuriphilus, le cynips du châtaignier, a probablement accosté un été sur le port de Bastia, en Corse, en provenance du continent. Le trajet n’étant pas si long depuis Nice, une femelle aura survécu à la faim et la soif, jusqu’à trouver un bourgeon de châtaigner dans lequel pondre avant de mourir. Du point de vue de l’hyménoptère, ce fut l’acte fondateur d’une colonisation réussie. Depuis 2010, date à laquelle les castanéiculteurs corses repérèrent les premiers foyers, cet insecte ravageur a atteint 75 % de la châtaigneraie insulaire. Et là où le cynips passe, la châtaigne trépasse.

Goule suceuse de sève

L’envahisseur a fait ses preuves en matière de délocalisation. Chinois, il fut introduit au Japon en 1941. Puis le voilà en 1974 dans le sud-est des Etats-Unis. De là, il gagne en 2002 le Piémont italien, où il occasionne des pertes de récolte de 80 %. « On l’attendait, mais on ne pensait pas qu’il irait si vite », explique Pasquin Flori, président du Groupement régional des producteurs et transformateurs de châtaignes et marrons de Corse. Il y a de quoi frémir. Car le cynips est une goule, suceuse de sève. La femelle se reproduit sans fécondation. Elle pond jusqu’à cent œufs dans les bourgeons. Les larves y passent alors l’hiver. Le printemps venu, des galles, sortes de cocons végétaux, se développent sur les nouveaux rameaux. A l’intérieur, les nymphes s’éveillent. Les adultes sortent et pondent. L’arbre ne pousse plus. La fructification n’a pas lieu. C’est la désolation.

« Chez nous, l’été, on est toujours à l’ombre des châtaigniers. Aujourd’hui, il n’y a plus d’ombre », note Dominique Spinosi avec tristesse. En trois ans, ce castanéiculteur de Volpajola, au sud de Bastia, a perdu ses 14 tonnes de fruits annuels, produits sur huit hectares. Le spectacle des arbres bouffis de cynips crève le cœur et les revenus de ce Corse, ancien commercial revenu au village et converti à l’agriculture de montagne il y a dix ans. La production insulaire a diminué de moitié cette année. Quelque 25 exploitants sur 80 en label AOP n’ont plus rien à se mettre sous la dent. D’autres attendent leur tour. Car sans châtaigniers, adieu miel et charcuterie de porcs finis aux châtaignes, adieu sublimes paysages de montagne et tourisme afférent. Adieu âme corse. Bienvenue famine. Ou presque.

Certes, il est loin le temps où la châtaigne sauvait les Corses de la disette. « Mais ici, on descend tous des montagnes : le châtaigner a une place à part dans notre culture », note Pasquin Flori. Dans nombre de familles arrive encore chaque année un colis de farine de châtaigne en rétribution tacite de l’usage d’une parcelle prêtée à un lointain cousin. La châtaigneraie, c’est souvent le dernier bastion de l’héritage, le terrain qu’on ne peut se résoudre à vendre.

Alors les Corses, pourtant partis des villages, ont eu peur que leurs arbres ne disparaissent. Menée par les castanéiculteurs, une souscription régionale fut lancée. En octobre, les footballeurs du Sporting Club de Bastia passaient sous les caméras du Parc des princes vêtus d’un maillot floqué « Salvemuicastagni.org » (Sauvonsleschâtaigniers.org). La guerre du cynips était déclarée. « Même la diaspora s’est mobilisée, on a reçu des dons du Venezuela », annonce fièrement Pasquin Florin sans dévoiler le montant de la cagnotte. Les banquiers aussi s’y mirent, à l’image du Crédit agricole qui a versé – médiatiquement – 90 000 euros.

Lâchers hexagonaux

Car oui, on peut financer l’ennemi juré du cynips. Il suffit de le faire venir, lui aussi, de Chine. Son nom est Torymus sinensis, une microguêpe carnivore qui pond dans les galles pour que sa progéniture se nourrisse des larves de Dryocosmus kuriphilus. Les Japonais l’ont sacré championne des belligérants. Les Italiens en ont rapatrié pour les acclimater aux contrées latines. Puis, l’Inra (Institut national de la recherche agronomique) a inauguré les lâchers hexagonaux. « On attend que les deux espèces atteignent un équilibre d’ici à quelques années, explique Nicolas Borowiec, responsable du projet de lutte biologique. En Corse, la progression du cynips a été plus rapide qu’ailleurs, mais on espère que le Torymus ira plus vite. » Cette année, plus de 450 lâchers devraient avoir lieu dans l’île. Mais les Corses le savent : il faudra d’autres bombardements pour voir, peut-être d’ici à dix ans, refleurir les châtaigniers. —

La campagne « Sauvons les châtaigniers »

Le projet de lutte biologique de l’Inra

La fiche technique du cynips