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Agriculture : une ultra moderne servitude
mercredi, 28 mai 2014 / Alexa Brunet et Patrick Herman /

Depuis dix ans, Alexa Brunet fait partie du collectif de photographes Transit, après avoir étudié à l’Art College de Belfast, en Irlande, et à l’Ecole nationale supérieure de la photographie d’Arles. Elle travaille pour la presse, tout en menant des travaux personnels. Journaliste indépendant, Patrick Herman est également paysan en agriculture biologique dans l’Aveyron. Il écrit sur la santé publique et l’agriculture. De leur rencontre est née une approche inhabituelle de l’actualité, associant images et textes. Du va-et-vient entre des scénographies décalées – où se chevauchent symboles et constructions imaginaires – et des textes rapportant des faits peut naître un nouveau regard facilitant la compréhension de ce qui advient aujourd’hui. Il ne s’agit pas de prophétie, mais de prospective.

Dans le projet « Dystopia », constructions imaginaires et scènes incongrues font sourire ou tiquer l’œil. Mais derrière se cache un message inquiet : les paysans ne sont plus maîtres de leur destin.

Fin de la Deuxième Guerre mondiale. La France est dévastée. Il faut nourrir sa population. L’usage des engrais azotés de synthèse, mis au point à la veille de la Première Guerre mondiale pour fabriquer des explosifs, se généralise. Le système agraire de polyculture/élevage est jugé obsolète, et l’industrie chimique lourde assure désormais la fertilité des sols à la place du bétail. Avec le plan Marshall, les machines motorisées, déjà utilisées aux Etats-Unis, débarquent en Europe. Pour augmenter la superficie des parcelles, les terres sont remembrées, et on voit disparaître les zones tampons (zones humides, talus, haies). Les régions agricoles françaises se spécialisent une à une afin de simplifier les approvisionnements pour une industrie agroalimentaire en pleine expansion, tandis que s’éteignent nombre de bassins de production historiques. Une loi d’orientation agricole – la « loi Pisani » – réduit drastiquement le nombre d’exploitations en accélérant la disparition de celles jugées moins productives, un processus de concentration qui se poursuit encore aujourd’hui. Dans l’élevage, les surfaces en prairie disparaissent au profit du maïs fourrage, subventionné par une Politique agricole commune (PAC) instaurée par le traité de Rome en 1957.Mais le miracle vert touche ses limites. La simplification des itinéraires techniques et des assolements conduit peu à peu à une augmentation de la pression parasitaire sur les cultures et à un recours accru aux pesticides. Les agriculteurs, sans en prendre pleinement conscience, viennent de perdre en à peine un demi-siècle l’autonomie qui était la leur depuis des millénaires. L’industrialisation de l’agriculture a certes permis une explosion de la production agricole. Mais à quel prix ! La disparition accélérée des terres agricoles et des paysans, la dégradation constante de la qualité des eaux, l’appauvrissement général de la biodiversité, l’utilisation massive des pesticides, les conditions et conséquences de la production industrielle de viande, l’érosion et l’appauvrissement des sols, la modification génétique des organismes lèguent une facture gigantesque aux jeunes générations. Pour l’ingénieur agronome Marcel Mazoyer et la chercheuse Laurence Roudart, coauteurs d’une Histoire des agricultures du monde (Seuil, 2002), « toute politique agricole s’inscrit d’abord et avant tout dans un choix ». Celui des gouvernements successifs de la France montre, selon eux, « trop de méconnaissance et de mépris du passé, trop de hâte et de présomption novatrice, trop de productivisme purement quantitatif, trop peu de précautions humaines, écologiques et qualitatives ». Le projet Dystopia, coréalisé par Alexa Brunet (photos) et Patrick Herman (textes), en partie présenté dans les pages qui suivent, ne dit pas autre chose. —


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