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Et si vous déménagiez dans une ville moyenne ?
mardi, 20 mai 2014 / Thibaut Schepman /

Non, nous n’avons pas à « sauver la planète ». Elle s’en sort très bien toute seule. C’est nous qui avons besoin d’elle pour nous en sortir.

Pourquoi ne pas opter pour un Petit Paris ? Pourquoi ne pas s’installer dans une ville moyenne ? L’agence Deux degrés pose des questions différentes et apporte des réponses qui détonnent.

Alors que tous les élus et urbanistes réfléchissent au « Grand Paris » de demain, l’agence Deux degrés a choisi de se pencher depuis 2011 sur une réduction volontaire de la capitale pour aboutir à un « Petit Paris ». Toujours à contre-courant, ils ont lancé le 5 mai un Observatoire participatif et prospectif des villes moyennes, qui doit révéler à quoi ressembleront 100 villes françaises de taille moyenne en 2030. Entretien avec Mathieu Zimmer, cofondateur de cette agence atypique.

Alors que tout le monde s’intéresse aux métropoles et aux villes plus grandes et plus denses, vous travaillez sur une petite capitale et sur les villes moyenne. Pourquoi cet intérêt pour le petit ?

Justement parce que personne ne s’y intéresse ! L’idée du « Petit Paris » est née quand on a découvert un sondage qui disait que 54% des Franciliens souhaitent quitter l’Ile-de-France. On s’est demandé pourquoi agrandir avec le Grand Paris une métropole où la moitié des habitants ne souhaitent pas vivre ? Avec notre projet de « Petit Paris », on a donc proposé de faire déménager quatre millions d’habitants hors d’Ile-de-France. Ensuite, on s’est demandé où ils pouvaient aller. On s’est rendu compte que les Franciliens disent vouloir rejoindre une ville de 100 000 habitants, ce qui semble correspondre à leur idéal en terme de qualité de vie, mais qu’en vérité ils partent plutôt pour une métropole. On s’est rendu compte aussi que ces villes moyennes sont très mal connues et souffrent de préjugés. On a donc lancé un Observatoire des villes moyennes qui a pour but à la fois de chercher à savoir à quoi elles ressembleront en 2030 et à la fois de proposer une centaine de destinations de ces quatre millions de Franciliens qui pourraient déménager.

Les villes moyennes sont peu attractives parce qu’elles sont mal connues ?

Oui bien sûr mais ce n’est pas la seule raison. La première raison, c’est l’emploi. Pour un couple, trouver deux emplois dans la même métropole est très difficile alors les trouver dans une ville moyenne c’est encore pire. Les métropoles sont très utiles pour ça, et aussi à l’échelle européenne pour une raison d’attractivité. Ce qu’on dit c’est qu’il y a une centaine d’autres villes moyennes à côté de ces métropoles et que les deux échelles peuvent être complémentaires. Or pour ces villes moyennes il y a des gros problèmes d’image c’est vrai. Une ville comme Dunkerque (Nord), par exemple, perd des habitants. Et pour elle l’enjeu est de casser sa mauvaise image.

Quels sont les avantages des villes moyennes ? On y vit mieux ?

Essentiellement la qualité de vie oui. Il y a aussi une certaine proximité, les gens se connaissent plus. Le coût de la vie est moins élevé aussi. Mais on n’idéalise pas non plus ces villes, on ne dit pas que les villes moyennes sont mieux que les métropoles. Pour certaines personnes cette proximité peut être gênante. Et il faut être clair, le risque de se faire chier dans une ville moyenne est plus élevé que dans une métropole ! On peut y faire les même activités culturelles que dans une métropole, ce sera même parfois plus près et plus facile, mais on en fera moins c’est sûr. C’est une question de rythme en fait, il est plus lent dans une ville moyenne, ça peut être un avantage pour certains et un inconvénient pour d’autres.

Avec le portrait que vous dressez, on a l’impression que les métropoles sont adaptées aux jeunes actifs et les villes moyennes aux personnes âgées ou aux familles...

C’est un peu le cas, oui. On voit que les gens qui quittent Paris pour les autres métropoles françaises sont souvent des couples qui ont eu des enfants et que les gens qui emménagent dans les villes moyennes sont des retraités. Mais il n’y a pas que ça, la ville moyenne est aussi un relais, il y a par exemple beaucoup de jeunes étudiants qui vont commencer leurs études dans une ville moyenne parce que c’est moins cher. Et surtout, la question pour une ville moyenne n’est pas seulement d’attirer des gens mais aussi de ne pas les laisser partir. Là-dessus la question de l’ennui est fondamentale et à notre avis ce n’est pas assez étudié.

Pour le divertissement, beaucoup de villes moyennes construisent de grandes salles de spectacle ou de grandes infrastructures sportives. Mais elles coûtent cher et la fréquentation n’est pas forcement au rendez-vous...

Tout à fait. La ville de Pau (Pyrénées-Atlantiques) a déjà un Zénith, mais la ville de Tarbes (Hautes-Pyrénées) qui est très proche en construit un aussi. C’est du gaspillage d’argent public et en plus ça donne des loisirs stéréotypés, c’est la même chose dans toutes les villes. Ce qui est vraiment intéressant c’est justement ce que la ville apporte de différent par rapport aux autres. Si un habitant d’une ville moyenne veut voir un grand concert, il peut aller dans la métropole d’à côté mais il lui faut en plus d’autres manières de s’amuser dans sa ville. Le but de notre observatoire c’est justement de demander aux habitants des villes moyennes ce qu’il peuvent faire dans leur ville qu’ils ne peuvent pas faire ailleurs. On veut faire de la médiation, faire remonter des témoignages et des infos sur l’ambiance et l’amusement dans les villes moyennes. On propose aujourd’hui un sondage où l’on demande notamment aux gens quand et pourquoi ils sortent de chez eux. On va proposer aussi des cartes interactives pour demander où ils s’amusent et où ils s’ennuient, ou proposer aux gens de raconter des anecdotes, à notre avis l’anecdote c’est un bon moyen de mieux connaître les villes.

Quelles sont ces autres manières de s’amuser qui ne nécessitent pas forcement de nouvelles infrastructures ?

J’ai vécu à Périgueux (Dordogne), mon plaisir c’était d’aller cueillir les champignons à à peine dix minutes de chez moi. Ceux qui vivent à Annecy (Haute-Savoie), c’est la montagne, forcément. Mais on parlait de Dunkerque tout à l’heure, on a écrit une fiche sur ce que peut devenir cette ville en 2030 et on s’est rendu compte qu’ils ont inventé là-bas d’autres manières de s’approprier l’espace. En fait ils sont très en retard sur l’aménagement public, il reste beaucoup de terrains vagues et en friche proches du centre-ville, et c’est une chance parce que c’est très rare aujourd’hui dans les villes de trouver un espace libre où on peut faire un peu ce qu’on veut. On sent aussi que l’aspect festif est très important dans cette ville. C’est le genre de choses qu’on ne peut savoir qu’en interrogeant les habitants. Les métropoles sont suffisamment attirantes pour que leurs projets attirent toujours les habitants et les investisseurs, mais pour les villes moyennes c’est beaucoup plus difficile. Elles doivent être très précises pour répondre à leurs besoins car les chances de se tromper sont beaucoup plus grandes.

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