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Victoire d’une employée exposée aux pesticides : pourquoi c’est important
mercredi, 30 avril 2014 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Sylvie S. a obtenu la condamnation de son employeur après une exposition aux pesticides dans une vigne. Une première dans le milieu agricole où règne encore l’omerta sur le sujet.

Elle a gagné. Après cinq ans de combat judiciaire, Sylvie S. a obtenu que son employeur, le domaine viticole du château Monestier La Tour, en Bourgogne, soit condamné pour « faute inexcusable ». Son crime ? L’avoir exposée, moins de vingt-quatre heures après pulvérisation, au pesticide Cabrio Top, répandu dans les vignes du domaine. Un pesticide de l’entreprise BASF destiné à éradiquer les champignons des cultures, ou encore le terrible mildiou. Mais voilà, sur la fiche même du fabricant, le « délai de rentrée » – c’est à dire le laps de temps nécessaire avant de faire intervenir à nouveau des travailleurs sur la culture – doit être, nocivité oblige, d’au moins vingt-quatre heures. Un délai que l’employeur de Sylvie S. n’a pas respecté.

Résultat : en 2007, après une séance de relevage et d’épamprage, l’ouvrière agricole est victime de céphalées, de vomissements, d’irritations de la peau. Elle obtient la reconnaissance d’un accident du travail, mais veut aller plus loin et poursuit son employeur devant les tribunaux. Le 31 octobre 2013, la chambre sociale de la Cour d’appel de Bordeaux lui donne raison. Le château se pourvoit en cassation avant de jeter l’éponge le 10 avril. C’est la victoire pour Sylvie S. mais pas seulement pour elle.

Des poursuites plutôt menées par des exploitants

A priori, ce n’est pas la première fois que des personnes exposées aux pesticides sont reconnues victimes par la justice. En février 2012, Paul François, un céréalier charentais, gagne en première instance contre Monsanto. L’affaire attend aujourd’hui un jugement en appel. En mars 2013, un agriculteur lorrain atteint d’un cancer, obtient à son tour une condamnation de l’Etat qui a manqué de l’informer sur la dangerosité des pesticides et herbicides qu’il manipulait.

Mais dans ces deux cas, « ce sont des exploitants qui ont gagné, souligne Nadine Lauverjat, chargée de mission à l’association Générations futures, qui a épaulé Sylvie S. dès le début. Nous avons des salariés qui nous contactent pour une reconnaissance de maladie professionnelle mais souvent ils ne vont pas plus loin. » Pour Stéphane Cottineau, l’avocat de Sylvie S., il y a déjà eu des cas de salariés reconnus victimes. En revanche, « c’est bien la première fois qu’on a une faute inexcusable d’un employeur suite à une intoxication aux pesticides dans le milieu agricole ». Pourtant, la reconnaissance de cette faute représente un vrai enjeu, puisqu’avec elle la rente trimestrielle accordée pour accident professionnel double. S’y ajoute aussi une indemnisation forfaitaire pour préjudice personnel – par exemple l’impossibilité de retourner travailler, le préjudice esthétique, etc. 

Le cause à effet difficile à prouver

Pourquoi les salariés ne vont-ils pas plus loin que la simple reconnaissance de l’accident ? Question de culot d’abord puisque se retourner contre son employeur n’est pas aisé. De logique aussi : « L’exploitant sait ce qu’il y a dans les bidons et ce qui a été déversé. C’est plus facile de remonter le fil de l’exposition. Les salariés, eux, ne savent pas à quoi ils ont été exposés. D’autant que souvent, ils travaillent sur plusieurs domaines, ils sont exposés à plusieurs molécules différentes », poursuit Nadine Lauverjat. Tracer une flèche entre cause et effet n’est pas chose facile. « Pour la faute inexcusable, il faut prouver que l’employeur n’a pas suffisamment protégé son employé. C’est relativement difficile à prouver. Dans le cas de Sylvie S., pendant le débat, l’employeur disait “mon voisin a traité ce jour-là”. C’est peut-être lui ou encore “D’autres produits ont été utilisés, on ne sait pas lequel est responsable” », explique Stéphane Cottineau.

Pour Nadine Lauverjat, une autre difficulté existe : « Les salariés ont moins de moyens, de soutiens, sont plus isolés. Les syndicats comme la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, ndlr) défendent les exploitants et non pas la main d’œuvre. »

Dark number et omerta

Résultat : « On nous dit : il n’y a pas beaucoup de cas. Mais souvent, les gens ne se déclarent pas. Il reste encore beaucoup de boulot pour récolter des données, avoir des statistiques », poursuit Nadine Lauverjat. « Comme on dit en criminologie, on est face à un Dark number, souligne Stéphane Cottineau. Il y a une omerta dans le milieu agricole. Les salariés comme les exploitants agricoles ont du mal à lancer des procédures parce que ce n’est pas bien vu dans le milieu. On a peur d’être montré du doigt par les autres, de laisser penser à l’opinion publique que les agriculteurs sont des pollueurs. »

Aussi, le cas de Sylvie S. et sa victoire sont-ils encourageants. « Ça va peut-être donner aux salariés qui ne se sont pas manifestés le courage de se confronter à leur employeur. On a l’espoir que les choses seront plus simples, notamment pour les salariés de Nutréa-Triskalia (une entreprise bretonne d’agroalimentaire poursuivie par deux de ses salariés victimes d’une intoxication aux pesticides et dont le procès est attendu le 5 juin, ndlr). Et on espère aussi qu’avec ce genre de cas, les employeurs feront plus attention », conclut Nadine Lauverjat.