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A Bruxelles, pour Madame Climat, c’est bientôt la fin du combat
lundi, 14 avril 2014 / Julie Majerczak

A près de 54 ans, Connie Hedegaard ne sera plus commissaire européenne au Climat à la fin de l’année. Alors qu’elle revendique son bilan sans regrets ni états d’âme, certains le jugent décevant, manquant d’ambition.

Si les gouvernements persistent dans leur inertie et que les émissions n’arrêtent pas leur course folle, les températures pourraient s’élever de 3,7 à 4,8 °C d’ici 2100, selon le troisième volet du cinquième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), publié ce dimanche 13 avril. Si le précédent texte s’attachait à décrire les mesures d’adaptation au dérèglement climatique, celui-ci examine les voies possibles d’atténuation des émissions. Il boucle – avant la publication de la synthèse – l’immense travail de centaines d’experts internationaux et fournit des billes aux gouvernements pour le prochain grand raout climatique d’importance : la conférence de Paris, en 2015. A cette conférence, Connie Hedegaard, commissaire européenne au Climat et figure décisive des derniers grands sommets, n’assistera pas. Car son mandat s’achève.

Plus que six mois et Connie Hedegaard pourra tourner la page. Elle n’aura plus à écouter la rengaine exaspérante des industriels dénonçant le coût de la politique climatique européenne ; elle n’aura plus à supporter que son collègue à l’Energie, l’Allemand Günther Oettinger, lui marche sans arrêt sur les pieds ; elle n’aura plus à se ranger derrière les arbitrages timorés du président de la Commission européenne José Manuel Barroso. Car, quoi qu’elle en dise, la commissaire européenne au Climat en a bavé pendant ces quatre années et demie à Bruxelles.

Le Danemark avait pourtant choisi une pointure pour devenir la première « Madame Climat » de l’Europe. Journaliste de talent, chouchoute des Danois, devenue ministre de l’Environnement puis du Climat et de l’Energie dans le gouvernement conservateur, elle était aux avant-postes de la conférence des Nations unies sur le climat (1). Elle devait arriver à Bruxelles auréolée de son succès. « A l’automne 2009, raconte-t-elle, tout le monde pensait qu’on allait avoir un accord international et qu’après ce serait le job le plus facile de la Commission. Que j’aurais juste à m’asseoir et à mettre en musique l’accord international. » Mais le film ne s’est pas déroulé comme prévu. Il n’y a pas eu de deal.

« Une vraie politique »

Cela n’empêche pas ses amis comme ses ennemis de louer son « extrême intelligence », et sa « combativité ». « C’est une femme brillante, quelqu’un qui comprend vite, même les sujets les plus ardus », souligne un ancien collaborateur. Elle est aussi réputée pour son caractère bien trempé. « Elle n’a pas froid aux yeux, confirme le commissaire français Michel Barnier qui la côtoie toutes les semaines. C’est une vraie politique. Il en faudrait plus des comme elle. » La conservatrice danoise, version gaulliste sociale, devenue meneuse de la lutte contre le changement climatique, n’aura pourtant réussi à arracher que des compromis plutôt médiocres. Son bilan est mauvais, jugent les plus critiques ; décevant, nuancent les plus gentils. Mais la plupart ne lui font guère porter le chapeau. La crise est passée par là, balayant les ambitions européennes. « Elle s’est battue avec ténacité, elle a obtenu le maximum de ce qu’on pouvait lui donner », assure un diplomate.

Dans son grand bureau lumineux, au neuvième étage du Berlaymont, le siège de la Commission européenne, Connie Hedegaard, 53 ans, met en avant ses résultats, un à un, avec sérieux. Pas question de fendre l’armure. Aimable, mais sans chaleur, elle argumente. C’est une cérébrale. Elle pourrait se défausser sur le lobby effréné des industriels, le manque de courage de Barroso, la résistance des Etats membres. Non. Sobre dans sa robe noire, elle répète que 40 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à leur niveau de 1990 est un « objectif ambitieux et réaliste ». Sans cela, elle ne l’aurait pas accepté. Elle joue sa partition sans fausse note. « Quand la décision est prise, si vous êtes dans une équipe, en tant que membre, vous devez défendre cette décision, qu’elle aille dans votre sens ou pas ! » Le 22 janvier dernier, alors qu’elle présente aux côtés du Président Barroso et du commissaire Oettinger les objectifs climatiques de l’Union à l’horizon 2030, pièce majeure de la mandature, elle laisse échapper son agacement. A un journaliste qui relaie le manque d’ambition dénoncé par les ONG, elle raille ces « deux professions dont la tâche est autrement plus facile que celle des politiques. Les journalistes n’ont qu’à poser des questions, tandis que les politiques doivent y répondre. Les ONG prétendent apporter des réponses, mais elles n’ont pas la responsabilité de les mettre en œuvre. »

Surenchère des ONG

Pourquoi attaquer ses alliés objectifs ? Sait-elle, au fond, que les arbitrages ne sont pas satisfaisants ? En tout cas, elle a piqué au vif ces alliés. Et les langues se délient. « Elle s’est fait avoir, elle a commis une erreur stratégique majeure. Barroso lui a fait croire qu’elle avait obtenu 40 % contre Oettinger (2), alors elle a lâché sur l’objectif d’énergie renouvelable. Mais c’était un faux chantage. Barroso n’aurait jamais pu aller dans les négociations internationales avec moins de 40 % », assure l’eurodéputé Vert luxembourgeois Claude Turmes, fin connaisseur du sujet. « Elle est atteinte du “ syndrome de Copenhague ” : comme elle a perdu à la conférence de Copenhague, elle a très peur de perdre une nouvelle fois, alors elle accepte de mauvais compromis. » La commissaire se refuse aux regrets ou aux états d’âme.

« J’ai obtenu un objectif contraignant (3) au niveau de l’Union européenne pour les renouvelables. Ce n’est pas rien », assure-t-elle. Cartésienne, elle considère que la surenchère des ONG a été contre-productive. « Si elles avaient mis la barre à 45 % pour les gaz à effet de serre, elles auraient été crédibles et auraient pu peser davantage sur les décisions. Nous devons travailler avec les Etats membres, pas contre eux, car ce sont eux et les eurodéputés qui décident à la fin. » Connie Hedegaard ne rempilera pas à la Commission. De toute façon, elle n’a plus la bonne couleur politique. Elle ne reviendra pas non plus sur la scène politique danoise. Sa famille, le Parti populaire conservateur, n’a pas le vent en poupe et elle se sentirait trop à l’étroit au Danemark. Elle s’imagine un avenir plus grand. A l’ONU par exemple… —

(1) Elle s’est tenue à Copenhague, au Danemark, du 7 au 18 décembre 2009

(2) Proposition de réduire de 40% les émissions nationales de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990

(3) Objectif de 27 % d’énergies renouvelables en 2030