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Municipales : Faut-il supprimer les communes privées de deuxième tour ?
vendredi, 28 mars 2014 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

36682 communes et autant de scrutins pour les municipales. Un record en Europe ! Pourtant, de nombreuses voix s’élèvent pour défendre l’idée d’une fusion de communes. Le moyen, pour Eric Hamelin, urbaniste, de lutter contre l’étalement urbain.

Au détour des élections municipales, ce sont 36682 scrutins qui sont organisés dans des communes, dont certaines très petites. Tant que pour la grande majorité d’entre elles - faute de liste concurrente – il n’y aura pas de second tour. Simulacre de démocratie, ce vote met de l’eau au moulin de ceux qui défendent une fusion des communes, synonyme notamment d’économies. L’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) l’a d’ailleurs récemment recommandé dans une étude remise au gouvernement. Eric Hamelin, sociologue urbaniste, responsable du bureau d’étude « Repérage urbain » et co-auteur de « La Tentation du bitume » (1) défend, lui, l’idée qu’une telle fusion pourrait permettre de lutter contre le fléau de l’étalement urbain.

Terra eco : Pourquoi le morcellement des communes renforce-t-il l’étalement urbain ?

Eric Hamelin : Simplement parce qu’il renforce la concurrence entre les territoires. Sur l’habitat d’abord. Quand on regarde l’offre de lotissements dans les zones périurbaines des villes, on voit bien que, plus on s’éloigne des lieux d’emploi, plus les m² de terrains sont proposés à moindre coût. Même chose pour les entreprises qui vont s’installer sur des zones d’activité peu chères, loin des grands pôles d’habitat. C’est fait évidemment pour attirer davantage d’habitants et d’entreprises qui pourront profiter d’un espace plus vaste. Si les communes ou les intercommunalités bradent les terrains c’est pour s’attirer des ressources directes via les taxes locales. Mais c’est aussi symptomatique d’une désorganisation du territoire. Moins il y a d’attractivité, plus on joue sur la consommation de terrains. De la même manière, pour attirer un supermarché, une commune va lui proposer un vaste terrain peu coûteux en périphérie sur lequel le supermarché va pouvoir faire un grand parking bitumé. Pire, quand l’espace est vendu à 15 euros le mètre carré, c’est à dire qu’il est quasiment cédé gratuitement, une entreprise achète souvent plus de terrains que nécessaire, en prévision d’un éventuel agrandissement. On a donc des espaces très dilatés.

Vous défendez donc l’idée qu’il faudrait fusionner les communes ?

Oui, et agrandir les intercommunalités en fusionnant par exemple celles qui comptent moins de 5000 habitants. Cela permettrait de réguler les concurrences sauvages que se font les communes pour attirer habitants et activités et d’éviter la surconsommation inutile de terrains.

A quoi ressemblerait un paysage de communes fusionnées ?

Dans les zones périurbaines, on pourra avoir par exemple un urbanisme en grappes. Là où aujourd’hui vous avez une dispersion des bassins d’activités ou des commerces, on pourra recréer une certaine polarité. Plutôt qu’un supermarché soit construit à la périphérie d’un petit village au motif que les habitants des autres petites communes alentour peuvent s’y rendre en voiture facilement, on pourra réintroduire un supermarché dans le bourg et prévoir des stationnements sur le toit pour les voitures. Et plutôt que ce supermarché fasse péricliter les commerces de proximité, il leur apportera une dynamique. Enfin, dans le centre bourg, la réinstallation d’un certain nombre de services permettra une distribution plus aisée grâce à des pistes cyclables et des transports en commun orientés vers la commune centre.

Une telle fusion provoque néanmoins beaucoup de réticences…

Oui, mais regardez. Dans plus de 30 000 communes, sur les 37 000 que compte la France, il n’y aura pas de deuxième tour aux élections municipales, essentiellement parce qu’il n’y avait pas assez de candidats ! Dans les communes de plus de 1000 habitants on compte près de 3000 maires élus à 100 %, donc sans aucun concurrent, et près de 4000 élus dès le premier tour parce qu’il n’y avait qu’une seule liste en face. Et dans environ 23 000 communes de moins de 1000 habitants, il ne pouvait pas non plus y avoir de deuxième tour parce que le vote obéit à un système de panachage (les électeurs ajoutent ou rayent des noms sur leur bulletin de vote, ndlr) et que, souvent, le nombre de candidats correspond tout juste au nombre de sièges au conseil municipal.

Soutenir que c’est ainsi que l’on maintient la démocratie de proximité, c’est un mensonge ou au mieux une erreur d’appréciation. C’est confondre identité des communes et autonomie politique. L’identité d’un village n’est pas menacée si l’on regroupe des institutions. Et on ne contredit pas non plus ainsi les principes de la démocratie de proximité. Au contraire. On peut très bien débattre des questions de proximité à l’échelle des quartiers, de façon plus efficace, tout en mutualisant les moyens administratifs. Et les nouvelles technologies de l’information facilitent cela. Je travaille par exemple sur un outil d’expérimentation testé dans plusieurs villes (Nommé Carticipe, il permet aux citoyens de proposer des évolutions sur leur territoire et de les soumettre aux autres citoyens, ndlr). Avec ce genre d’outils les gens accroissent leur participation à la vie locale sans avoir besoin de siéger au conseil municipal ou au conseil de quartier. Ce sont des moyens plus adaptés à une démocratie concrète.

Peut-on aussi imaginer qu’une fusion des communes permette de réaliser des économies importantes ?

Oui, c’est évident. Dans son discours (du 14 janvier, ndlr), François Hollande a évoqué la nécessité de fusionner les régions. Mais je pense qu’on ferait plus d’économies à l’échelle nationale en fusionnant les communes. C’est un gisement beaucoup plus important. Par ailleurs, mutualiser certains services serait plus intéressant : plutôt que d’avoir un secrétaire de mairie dans 10 petites communes différentes, on pourrait avoir 10 profils différents d’employés avec des rôles différents dans une intercommunalité renforcée.

(1) « La Tentation du bitume. Où s’arrêtera l’étalement urbain ? », par Eric Hamelin et Olivier Ramezon, ed. Rue de l’Echiquier.