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En Ouganda, le vélo ambulance conduit à l’hôpital
lundi, 24 mars 2014 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Quoi de mieux qu’un deux-roues à pédales pour aider les habitants des campagnes à rejoindre l’hôpital ? C’est la mission de CA Bikes, qui apprend aux communautés locales à assembler des vélos avec du métal de récup’.

Un vélo rouge avec, amarrée à son porte-bagage, une carriole protégée par une bâche. C’est l’ambulance rurale made in Ouganda. Ce drôle d’engin composé de métal recyclé et assemblé sur place a une mission simple : permettre aux populations isolées et dépourvues de transports motorisés, faute de moyens, de rejoindre un centre de soins rapidement et de rester en vie. « En France, en Allemagne, aux Pays-Bas ou aux Etats-Unis, faire du vélo c’est un mode de vie que l’on choisit. En Ouganda, le vélo peut sauver des vies. C’est un outil-clé de développement qui est souvent mésestimé », confie Christopher Ategeka, fondateur de CA Bikes, qui fabrique ces bicyclettes-brancards.

En créant sa société, le jeune entrepreneur a voulu donner une chance à ceux qui n’avaient pas eu sa veine. Quand ses parents meurent du sida, alors qu’il a « 7 ou 8 ans », Christopher se retrouve à la tête d’une fratrie de cinq enfants : « On avait de la chance quand on arrivait à faire un repas par jour. Je faisais des petits boulots, je tondais la pelouse des gens, je faisais du jardinage, je travaillais dans les champs, je ramassais les ordures. Et tout ça pour payer notre nourriture. » A 15 ans, il intègre un orphelinat ouvert par une Américaine et, par l’intermède d’une famille californienne, se retrouve, à 22 ans, débarqué sur le sol américain : « Vous parlez d’une transition. Je venais d’un petit village très rural en Ouganda, je vivais sans chaussures, sans électricité et sans eau courante, et tout d’un coup je me retrouve dans un Boeing 777 en route pour la Californie. Je n’avais jamais vu d’ordinateurs, de réfrigérateurs, de micro-ondes. C’était un véritable choc ! » Là, il rejoint les bancs de Berkeley, une université américaine de renom, pour une formation d’ingénieur mécanique, enchaîne licence, master puis entame une thèse sur laquelle il bûche encore aujourd’hui.

Une bicyclette pour aller à l’école

Au détour d’un travail universitaire récompensé par une bourse, il monte CA Bikes. Le projet devait durer un an. Il n’en démord plus : « Il y avait tellement de besoins comparés aux ressources dont les gens disposaient. J’ai décidé de monter mon ONG. » Et de fabriquer des vélos pour les besoins des habitants, en souvenir des siens : « Quand j’étais petit, je devais parcourir 11 kms pieds nus pour aller à l’école, sous le soleil ou sous la pluie. Quand je suis entré à l’orphelinat on m’a acheté une bicyclette et les heures de marche sont devenues des minutes. J’avais plus de temps pour étudier. Mes notes se sont améliorées. Je crois sincèrement que si je n’avais pas eu ce vélo, je n’aurais pas eu d’assez bons résultats pour être envoyé en Californie plus tard. » Le vélo l’a aidé, son absence l’a marqué : « Mes deux parents sont morts du sida. On était dans la campagne profonde et ils n’avaient jamais accès à des soins médicaux. L’un de mes frères aussi est décédé parce qu’il ne pouvait pas aller à l’hôpital assez vite. Alors après ma licence, je me suis dit que la meilleure chose à faire pour moi était de passer ma vie à améliorer la santé des gens. C’est ce que je fais aujourd’hui. »

En Ouganda, avec l’aide de premiers volontaires, il collecte la ferraille qui s’accumule dans les arrière-cours, la broie, soude les parties ensemble, et, un coup de peinture plus tard, « on a un produit ». Des travaux de ces bricolos naissent, les premiers temps, des vélos de type très différents : vélos taxis, vélos cargos, vélos chaises roulantes… qui font leur apparition dans les villages. Mais « les vélos de transport attirent moins les investissements et les dons. Parce que résoudre le problème du transport de marchandises semble moins urgent qu’aider une femme enceinte à parcourir les 15 kilomètres qui la sépare d’un hôpital ». Résultat : depuis 2013, CA Bikes se concentre sur les vélos-ambulances. 150 sont sortis de ses ateliers l’an passé, 250 devraient être assemblés cette année.

« Apprendre aux gens à faire les choses »

Des ateliers animés par quelques employés de la société et des volontaires : « Tout ce que nous faisons, nous le faisons localement. Nous utilisons des ressources locales et de la main-d’œuvre locale, précise Christopher Ategeka. On a tellement introduit de choses en Ouganda avec une approche “imposée par le haut” qui ne fonctionne pas. Personne ne semble réaliser qu’il faut apprendre aux gens à faire les choses, à gérer et régler leurs propres problèmes plutôt que venir avec nos solutions et de leur dire : “c’est de ça dont vous avez besoin” en oubliant tout contexte culturel. Nous, nous apprenons aux communautés locales à construire ces vélos. Ainsi, non seulement on crée de l’emploi mais surtout l’activité continue une fois qu’on est parti. »

Une fois montés par des communautés, la société laisse ces vélos aux mains d’un référent. « Le facteur essentiel de la réussite, c’est la fierté de la personne qui conduit l’ambulance. Il devient une sorte de chef de village. Une personne capable de sauver la vie des autres. Ce gars-là n’a plus jamais besoin de se payer une bière au bar. On la lui paie. S’il n’y avait pas cette fierté, je ne suis pas sûr que ça marcherait. » Mais pour payer les salaires de ses employés et ses frais de subsistance, CA Bikes signe aussi des contrats avec de grosses ONG qui agissent sur le terrain africain : Croix rouge, World vision, Plan International, Samaritan’s purse…

Encore largement subventionnée

Pour le moment, l’association n’a pas assez de contrats de vente pour dégager la marge nécessaire à sa survie. Alors elle dépend encore largement des dons. Mais demain ? Christopher Ategeka espère bien décrocher un contrat avec le gouvernement pour alimenter toutes les cliniques rurales en ambulances cyclables. Mieux, il vise déjà l’étranger, notamment le Sud-Soudan. « Il y a une guerre et beaucoup de pauvreté. Soit les gens ont des super bicyclettes des Nations unies qui ne marchent plus et traînent un peu partout, soit ils n’ont rien du tout », souligne le jeune entrepreneur. Pour qui le rien du tout n’est plus une option.

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