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Enfin la solution miracle contre les algues vertes ?
lundi, 24 mars 2014 / Alexandra Bogaert

La chabasite est-elle le nouveau remède naturel contre les algues vertes ? Ajouté à la nourriture des porcs, ce minéral réduit la quantité d’azote contenue dans le lisier, en partie responsable des marées vertes.

Introduire une roche volcanique dans le régime des porcs pour débarrasser la Bretagne du fléau des algues vertes : nouveau régime miracle ou confiture donnée à des cochons ? La question se pose depuis que les autorités bretonnes s’intéressent aux vertus de la chabasite qui a déjà sauvé le jambon de Parme et débarrassé certaines côtes italiennes de ses envahisseurs.

Crédit : Didier Descouens - Wikimedia creative commons

En 1998, une canicule touche la partie côtière de l’Emilie-Romagne, région italienne productrice de jambon de Parme. Les odeurs qui s’échappent des élevages et du lisier épandu dans les champs sont pestilentielles. Le littoral est envahi d’algues vertes. Les riverains réclament le déménagement des porcheries, voire leur interdiction. Elio Passaglia, prof en sciences de la terre à l’université de Modène, effrite alors en public un morceau de chabasite, issu d’un gisement toscan, sur un bout de lisier bien frais. Très vite, les relents fétides diminuent, jusqu’à quasiment disparaître. L’azote ammoniacal est absorbé. Le jambon de Parme a eu chaud aux fesses. Depuis, les agriculteurs ont pris l’habitude de mélanger de la chabasite réduite en poudre à l’alimentation de leurs cochons. Et les algues ont disparu.

Une équation à résoudre : trouver la juste quantité d’azote

Car ce minéral de la famille des zéolites « a la capacité de capter des ions indésirables de l’environnement pour en dégager d’autres inoffensifs », explique Philippe Rocher, géologue au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Il absorbe une partie de l’azote ammoniacal contenu dans le lisier des porcs, qui est responsable de la production de nitrates – la nourriture des algues vertes. Mais les déjections azotées sont aussi un très bon fertilisant naturel, d’où l’intérêt d’en recouvrir les champs. Problème : cet azote présent en grande quantité n’est pas complètement fixé dans le sol. A la moindre pluie, il s’enfonce jusqu’aux nappes phréatiques ou ruisselle jusqu’aux cours d’eau, qui se jettent dans la mer. Un coup de soleil sur les côtes nitratées, et l’on voit débouler les algues vertes dans les baies.

Contre cela, Nitracure, société créée à Montpellier en 2012, veut importer la solution italienne. Eric Poincelet, codirecteur de cette entreprise soutenue par Verdi, la compagnie qui exploite le principal gisement toscan, a demandé à l’Institut français du porc (Ifip), de réaliser en 2012 – 2013 une étude sur les effets de l’ajout de 3% de chabasite dans la nourriture d’un groupe test de cochons. Il en ressort que le niveau d’ammoniac qui s’échappe sous forme gazeuse du lisier des cochons ayant boulotté des restes de volcan a baissé de 18% en moyenne, que les émissions d’odeur ont été réduites de 14% (avec un pic à 40% au plus fort de la puanteur), que le protoxyde d’azote échappé a lui aussi diminué d’un cinquième.

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Si l’on fouine dans le lisier solide, on constate une réduction conséquente (-20%) de l’ammoniac comme du phosphore (environ -30%). « Cela correspond peu ou prou aux quantités d’azote et de phosphore non absorbées chaque année par les cultures », note Nitracure dans un document présenté au début du mois de mars en préfecture de Bretagne. Un excédent justement visé par le plan Algues vertes 2010-2015, dans lequel l’Etat s’est fixé comme objectif de diminuer de 30% l’azote apporté dans les champs.

Pour Eric Poincelet, ces résultats devraient suffire à convaincre les autorités d’introduire de la chabasite dans les rations des cochons. Mais il met en avant un autre avantage : le surcoût lié à ce changement d’alimentation (4 euros par porc, soit 1,20 euro à l’année pour un consommateur qui avale en douze mois 30 kg de viande de porc) sera largement compensé par les économies liées à la diminution des nitrates dans l’eau. D’après une étude de 2011 du Commissariat général au développement durable, éliminer les nitrates des milieux aquatiques coûte 70 euros par kilo de nitrate. Avec le régime chabasite, « le surcoût lié à la dépollution des milieux ne serait alors plus que de 3 euros environ par kilo de nitrate », calcule-t-il.

Des scores en partie dus à des erreurs d’analyse...

Face à des avantages aussi criants, qu’attendent les autorités pour importer ce minéral ? « Les résultats sont encore un peu légers pour annoncer que c’est un produit miracle », tranche Yvon Salaün, directeur du pôle technique de l’Ifip et l’un des deux auteurs de l’étude réalisée pour Nitracure. Selon lui, « il y a un décalage énorme entre les attentes liées à ce produit, la manière dont Nitracure le présente, et ce qu’on constate ».

Certes, le bilan gazeux est positif. Mais concernant les analyses du lisier, Yvon Salaün est circonspect : « Il reste des mystères inexpliqués : où ont disparu les 20% d’azote et les 30% de phosphore ? Il n’est pas possible qu’ils aient été stockés dans les porcs, ou alors seulement en petite partie. » Un « défaut de bilan » qu’il explique tout simplement par des erreurs dans les analyses...

Des épandages coûteux mais prometteurs

Par ailleurs, le surcoût de 8 à 10 euros par m3 de lisier (soit l’équivalent de ce que produisent deux porcs tout au long de leur vie) ne représente pas d’économie selon lui par rapport à ce que coûtent les techniques actuelles de traitement biologique (par aération et séparation des corps liquides et solides) des déjections dans les stations, dont la Bretagne est largement équipée avec ses 500 stations.

Yvon Salaün place davantage d’espoirs dans l’épandage de chabasite directement dans les champs. Un investissement de plus de 1300 euros par hectare, mais que l’agriculteur n’aurait à faire qu’une fois tous les dix ans, car « cette éponge à azote reste dans le sol, et restitue l’azote quand la plante en a besoin ». Une expérimentation en plein air, soutenue par Nitracure et cofinancée par l’Etat, la région Bretagne, le conseil général des Côtes-d’Armor et la chambre régionale d’agriculture, a été menée dans une ferme expérimentale de Quimper l’an dernier. « On ne pourra pas avoir de résultats définitifs avant la fin de l’année 2015 », prévient Monique Le Clézio, vice-présidente du Conseil général.

« Pas dupe du fait qu’il y a des intérêts commerciaux de la part de Nitracure », l’élue adhère à la ligne de conduite adoptée par la préfecture de Bretagne, chargée de l’application du Plan Algues vertes : « Il faut continuer à expérimenter jusqu’à ce qu’on ait des résultats tangibles. » Une nouvelle expérimentation, dont les modalités restent à définir, va être menée courant 2014.


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