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Pollution : pourquoi seule la France a tiré le signal d’alarme
vendredi, 21 mars 2014 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

La France et son smog ont fait le tour du monde. Pourtant, l’Hexagone n’était pas le seul pays touché par le pic de pollution. Mais son seuil d’alerte se déclenche plus tôt.

L’image de la tour Eiffel, le nez plongé dans le smog, a fait le tour du monde. Pourtant, la France ne fut pas la seule a connaître un épisode de pollution intense. Il suffit de consulter les cartes Prev’air à partir du 8 mars pour s’en convaincre.

Le panache qui a couvert le nord de la France a aussi touché le sud de l’Angleterre, la Belgique, les Pays-Bas, la Pologne et la République tchèque. Alors pourquoi l’attention s’est-elle concentrée sur la France ? Outre que le monde a pu s’émouvoir que la romantique Paris soit plongée dans le brouillard, la raison est à chercher ailleurs. Si la pollution a tant marqué, c’est que le pays lui-même s’est mis en état d’alerte. Et pas ses voisins. Un seuil européen existe bel et bien depuis qu’une directive adoptée en 2008 s’est attachée à déterminer les valeurs limites pour protéger la santé. Fixé à 50 microgrammes (µg) par m3 d’air pour les particules fines, il est calculé sur 24 heures mais ne doit pas être atteint plus de trente-cinq jours en une année. Mais dans son décret d’application, la France est allée plus loin : elle a fixé un seuil d’information à 50 µg/m3 et un seuil d’alerte à 80 µg/m3, qui se déclenchent dès ces valeurs atteintes sur 24 heures. « C’est un outil d’aide à la décision dont il n’existe pas d’équivalent dans les autres pays européens », souligne Laurence Rouil, responsable du pôle modélisation environnementale et décision à l’Ineris (Institut national de l’environnement industriel et des risques).

On est tous le voisin de quelqu’un d’autre

Aussi, outre la Belgique qui a, elle aussi, réduit la vitesse autorisée et installé des contrôles de police renforcés, les autres pays touchés par l’épisode ont peu agi. Le souci c’est que leur inaction a un coût puisque la pollution ne connaît pas de frontières. Certes, cet épisode-ci a été très largement alimenté au niveau local par le trafic routier de la capitale. Reste que 39% des particules qui ont étouffé l’Ile-de-France sont provenues des régions et pays voisins, notamment de l’Est, étant donné les vents dominants. Mais pas question de montrer du doigt l’industrie allemande ou l’agriculture hollandaise : à d’autres moments, c’est la France qui pollue ses voisins. « L’Angleterre nous accuse régulièrement de les polluer. Ça dépend des flux. A partir du moment où vous avez des pays industrialisés, tout le monde est responsable d’alimenter le panache », précise Laurence Rouil.

Qui pollue qui ? Après tout qu’importe. Mais puisque la pollution se dessine au niveau d’un territoire et non d’un pays, l’important est de lutter avec les mêmes armes. « Sur les pics, il n’y a pas de stratégie européenne. Or, seule une politique cohérente pourra permettre d’atteindre les objectifs de réduction. Si l’exercice est limité à des acteurs géographiques très restreints il aura forcément un impact limité », abonde Jean-Pierre Schmitt, directeur d’Air Lorraine.

La vigilance de la France : une bonne idée ?

Mais après tout, déclencher le plan Orsec dès le moindre pic de pollution a-t-il vraiment un sens ? Pas si sûr. Certes, « l’exposition à la pollution atmosphérique a un impact à court terme sur la santé qui survient dans des délais plutôt brefs – quelques jours – et est à l’origine de plusieurs troubles tels que : irritation des voies respiratoires, exacerbation de troubles cardio-vasculaires et respiratoires, crises d’asthme notamment pour les personnes sensibles. Une exposition plus chronique et à plus long terme peut entraîner le développement ou l’aggravation de maladies chroniques telles que pathologies cardio-vasculaires et respiratoires, cancers, troubles neurologiques. L’exposition à la pollution atmosphérique à court et à long terme a des impacts sur la santé. Mais les études épidémiologiques montrent que l’impact à long terme est plus important que l’impact à court terme », estime Aymeric Ung, chargé d’études au département santé environnement de l’Institut de veille sanitaire. Résultat : « L’action ponctuelle en cas de pic de pollution n’a qu’un impact relatif en termes de bénéfices sanitaires car c’est l’exposition chronique aux particules qui a un impact prépondérant », abonde par mail Sabine Host, chargée d’études environnement à l’Observatoire régional de santé Ile-de-France.

Reste que la gestion des pics de pollution peut avoir un autre effet. Selon un avis rendu en avril 2012 par le Haut conseil de la santé publique et cité par Sabine Host, « la communication sur la qualité de l’air et sur les efforts visant à la garantir doit être régulière, l’occurrence “des pics” journaliers devant être considérée comme l’opportunité de réactiver la vigilance pour l’atteinte de cet objectif. » En clair, se concentrer sur les pics c’est aussi réveiller la population de temps en temps au besoin urgent de résoudre un problème de fond.


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