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En Birmanie, l’enterrement gratuit, c’est pas du cinéma
jeudi, 27 mars 2014
/ Guillaume Pajot / Né à Douai, dans le Nord, Guillaume est un journaliste pigiste de 28 ans. Après des études à Sciences Po Lille et une école de journalisme à Paris, il débute dans la presse spécialisée dans les jeux vidéo, mais se trouve vite à l’étroit entre les conférences promotionnelles et les interviews minutées… Petit à petit, il élargit ses horizons dans la presse magazine. Dernier écart en date, la Birmanie, dont il suit attentivement les évolutions depuis son premier voyage en « terre d’or », en 2011. Il a une passion immodérée pour l’Asie, les librairies et les outsiders. |
A Rangoun, l’ex-vedette du grand écran Kyaw Thu a créé un service funéraire gratis pour les plus pauvres. Il y a perdu sa carrière, mais gagné le respect de tous.
Enveloppé dans une couverture, le corps repose au milieu des déchets. La veille, Soe Myint U est tombé du pont. Une chute mortelle. Ce sont ses frères qui l’ont trouvé. Après avoir modestement protégé le cadavre, ils ont contacté la Free Funeral Service Society (Société de service funéraire gratuit, FFSS) de Rangoun, une association dont les membres viennent d’arriver sur les lieux de l’accident. Reconnaissables à leurs mains gantées de plastique, ils soulèvent le corps et le portent lentement jusqu’à un cercueil en métal. Les gestes sont minutieux, assurés. Quelques minutes plus tard, le corbillard file déjà vers le crématorium.
En Birmanie, organiser des funérailles n’a pas toujours été aussi simple. Dans ce pays où 26 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, d’après le Programme des Nations unies pour le développement, les plus démunis ont longtemps été incapables de payer les 30 000 kyats (22 euros) nécessaires à la collecte du corps, au cercueil, au transport… En l’absence d’aide de l’Etat, beaucoup de Birmans renonçaient à toute sépulture et abandonnaient les corps à l’hôpital. « Régulièrement, des dizaines de cadavres étaient rassemblés et brûlés à Rangoun, se souvient Kyaw Thu, le président de la Free Funeral Service Society. En dehors des villes, les familles les plus pauvres n’avaient pas le choix. Elles enterraient leurs proches à la nuit tombée dans les champs. »
Dès la naissance de la FFSS, il s’est heurté à la junte militaire, soucieuse de ne pas dévoiler ses lacunes. Les autorités l’ont d’abord obligé à bâtir les locaux de l’association sur une décharge à ciel ouvert, recouverte de débris plastique. Puis, en 2007, alors que la population et les moines manifestent contre la hausse des prix, Kyaw Thu est arrêté et brièvement détenu. Accusé d’avoir soutenu la « Révolution de safran », il est banni de l’industrie du cinéma. Mais malgré les intimidations, l’acteur a poursuivi son activité, obtenant des avancées spectaculaires. « A Rangoun, les funérailles sauvages ont disparu », constate Ayeyar Mg Mg, l’administratrice de l’organisation, qui supervise tous les jours 50 inhumations et crémations, toutes financées grâce à des dons. Des Birmans aisés recourent également aux services de la FFSS moyennant paiement, aidant ainsi à subvenir aux obsèques des plus démunis.
Depuis la dissolution de la junte birmane, en 2011, les réformes se multiplient sans améliorer, pour le moment, le quotidien des plus pauvres. « Le peuple attend des résultats, mais le gouvernement n’est pas encore au niveau », déplore Kyaw Thu, proche de l’opposante Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix 1991 et aujourd’hui députée. L’acteur assure que son service continuera, peu importe la personne au pouvoir. « Mais j’aimerais arrêter, poursuit-il. Car ce jour-là, cela voudra dire que le pays va mieux. » En attendant, il participe activement aux cérémonies funéraires, aidant à porter le cercueil ou conduisant le corbillard, persuadé que sa présence peut atténuer la tristesse des familles. Pour les Birmans, Kyaw Thu reste une star du grand écran. Même un cercueil posé sur l’épaule. —
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