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Les champs s’installent sur les toits des gratte-ciel
samedi, 8 mars 2014 / Emmanuelle Vibert

Pour nourrir une population toujours plus urbaine, l’agriculture va devoir coloniser les villes. Et l’invasion commence par le haut.

Les gratte-ciel géants au design futuriste, produisant bananes ou tomates à gogo pour les villes surpeuplées. Ce genre de projets, les cabinets d’architectes en pondent, sur le papier, à la pelle. C’est sûr, pour nourrir des milliards d’habitants, vivant majoritairement en ville, les salades vont devoir se faire une petite place au coeur du béton. Mais les gigantesques tours maraîchères high-tech ont bien du mal à passer la frontière du réel.

Trop énergivores, trop gourmandes en eau. Le présent et le futur de l’agriculture urbaine sont pour le moment ailleurs. Mais où ? La métropole de Rennes (Ille-et-Vilaine) s’est posé la question. Elle a fait plancher en 2012 des étudiants d’Agrocampus-Ouest sur le moyen de rendre ses 37 communes autosuffisantes sur le plan alimentaire d’ici à 2020. Leur diagnostic ? C’est possible ! A plusieurs conditions.

A manger pour 700 millions de citadins

Primo, manger moins de viande et réduire le gaspillage alimentaire. Ensuite, on pourrait faire pousser des végétaux dans tous les coins et recoins disponibles : des arbres fruitiers dans les équipements sportifs, des fruits à coque (châtaigners, noyers) dans les forêts, du maraîchage dans les jardins, les squares, sur les toits. Ajoutez à cela la création d’une ceinture maraîchère de 6,3 km de large autour de l’agglomération et le compte est bon.

Selon la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), l’agriculture urbaine et périurbaine fournit déjà de la nourriture à environ 700 millions de citadins, principalement situés dans les pays en développement. Chez nous, le phénomène reste bien plus accessoire.

Tour vivante et ferme de bananes

Pourtant, il existe déjà plusieurs fermes commerciales étalées en haut de larges bâtiments. A Montréal (Canada), la ferme Lufa produit depuis 2011 basilic et fraises au sommet d’un immeuble de bureaux. A New York (Etats-Unis), la société Brooklyn Grange, née en 2010, a couvert de terre deux toits sur une surface de 2,5 hectares. Elle a été rentable dès sa première année d’exploitation. A Paris, les vastes bâtiments suffisamment solides pour supporter l’exploitation maraîchère sont plus rares. Mais en décembre 2011, deux ingénieurs, Nicolas Bel et Nicolas Marchal, ont tenté l’expérience au faîte de l’école AgroParisTech, sur 800 m2. L’expérience est suffisamment concluante pour transformer l’essai.

Nicolas Bel propose désormais ses services de maraîcher urbain au sein d’une entreprise baptisée Topager. A Romainville (Seine-Saint-Denis), l’ambition est encore plus forte. La mairie s’est offert les services du spécialiste du genre, l’architecte Augustin Rosenstiehl. Avec son agence SOA, il a imaginé une Tour vivante – intégrant bureaux, logements et production maraîchère intensive – ou encore une ferme de bananes dans un immeuble de gabarit haussmannien. Pour Romainville, il a conçu des serres sur le toit d’une cuisine centrale, et une tour maraîchère de quatre ou cinq étages. L’exploitation s’étendrait au total sur 1 500 m2 et permettrait à un agriculteur de vivre de ses récoltes.

Wanted : un modèle économique

Le projet n’est pas du goût de tous. « Il coûtera au minimum 2 millions d’euros, soulève l’agronome et blogueur Nicolas Salliou (jardinons. wordpress.com). Or, en plein champ, sur un hectare, un investissement de 30 000 euros permet de lancer un maraîcher ! Pour quelques serres produites à très grands frais, ce sont plusieurs dizaines de paysans qu’on pourrait installer. » Pour Yohann Hubert, « il faut trouver un modèle économique qui permette à des professionnels d’en vivre ».

Ce trentenaire a créé l’Association française de culture hors sol en 2006 à Grenoble ainsi qu’un « laboratoire d’écologie urbaine », baptisé Bioponey. Il a installé plusieurs potagers bio sur les toits de sa ville. Il lance cet été la Scoop Paris sous les fraises. Le concept : implanter des murs végétaux dans des entreprises, composés de fraisiers surmontés de plantes décoratives. L’entreprise fournit l’investissement de base et les salariés de la Scoop assurent l’entretien en se rémunérant avec la vente des fraises en circuit court. « Nous avons déjà un client parisien et sommes maintenant à la recherche de candidats maraîchers urbains, raconte Yohann Hubert. Notre système permet de réduire considérablement le coût d’un mur végétal pour une entreprise. Et l’attrait est tel que nous visons une trentaine de salariés d’ici à cinq ans. » Vous vous sentez une vocation de cueilleur de fraises urbain ? C’est le moment de vous lancer.


Les Ekovores cultivent les idées en milieu urbain

« Les Ekovores sont des habitants curieux et débrouillards qui inventent des solutions technicopratiques locales pour réaliser leur idéal alimentaire. » L’agence nantaise de design industriel Faltazi a imaginé des scenarii pour une communauté de locavores. Ses solutions ? Des fermes faites de modules préfabriqués installés sur des friches en bordure de ville, des jardins familiaux flottants sur la Loire ou des barges-marchés « pour transporter et distribuer au fil de l’eau la production des maraîchers », des conserveries de quartier qui récupèrent les fruits et légumes en fin de marché.

L’agence a aussi inventé de nouveaux métiers pour faire vivre ce nouvel écosystème. Il y a « L’urbapiculteur » qui, « au sommet de ses échasses, déambule de ruches en ruches » perchées sur les immeubles. « L’éleveur d’insectes auxiliaires » est, lui, chargé de faire naître des coccinelles qui mangeront les pucerons. Y a plus qu’à !