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L’eau à tarif progressif est-elle moins gaspillée ?
mardi, 18 février 2014 / Amélie Mougey

Payer l’eau de sa vaisselle moins cher que celle de sa piscine ? Cette promesse de campagne présidentielle ressurgit pour la course aux mairies. Pour les petits revenus et l’environnement, ce n’est pas forcément une bonne nouvelle.

A l’approche des municipales, l’idée s’est infiltrée dans les programmes. Des Verts toulousains, au Front de gauche lillois, en passant par les socialistes de Rouen, beaucoup reprennent la promesse, partiellement tenue par François Hollande, de « mettre en place une tarification progressive » de l’eau.

« Eau vitale », « eau utile » ou « eau de confort » ?

La tarification progressive, c’est l’inverse du prix de gros : plus on consomme et plus on paie. A Niort (Deux-Sèvres), commune pionnière du système, les 20 premiers mètres cubes coûtent moins cher que les suivants. A Libourne (Gironde), on distingue « l’eau vitale » – moins de 15 m3 –, « l’eau utile » et « l’eau de confort » – plus de 120 m3. En principe, le système est équitable et efficient. Il garantit aux plus modestes un accès minimum à la ressource, reconnue par l’Unesco « bien commun de l’humanité », tandis que les gaspilleurs sont sanctionnés. Mais parmi la cinquantaine de communes qui ont tenté l’expérience, le bilan est nuancé.

« La tarification progressive n’est pas la panacée », reconnaît Marc Lambert, le directeur du syndicat des eaux du Vivier, à Niort (SEV). La ville et les communes environnantes n’ont pas attendu la loi Brottes, prônant l’expérimentation du système, pour se convertir. « En 2009, on devait résoudre un problème social, explique Marc Lambert. Après avoir installé des compteurs individuels dans les logements sociaux, on a réalisé que de nombreux foyers ne parvenaient pas à payer leurs factures semestrielles. » L’idée de créer un bouclier social, pour plafonner les factures d’eau à 3% des revenus d’un ménage, a alors émergé. Pour y parvenir, la ville a adopté une série de mesures, parmi lesquelles la tarification progressive.

Riche ou pauvre, une famille nombreuse paie le prix fort

Le hic, c’est que les plus pauvres ne sont pas forcément les grands gagnants. « Entre un ménage riche et un ménage pauvre vivant en appartement, la consommation d’eau varie finalement très peu, tout au plus de 20%, explique Henri Smets, président de l’Association pour le développement de l’économie et du droit de l’environnement (Adede) et auteur de La tarification progressive de l’eau potable. « Pour une personne riche vivant seule, il y a un effet d’aubaine », poursuit-il.

A l’inverse, une famille nombreuse dépassera rapidement la limite des 20 m3 en vigueur à Niort et potentiellement celle des 120 m3 de Libourne. Donc riche ou pauvre, elle paiera le prix fort. Pour y remédier, la Belgique, qui comme l’Italie a généralisé la tarification progressive de l’eau, indexe les tarifs sur le nombre de personnes par foyer. En France, il n’y a qu’à Dunkerque (Nord) que ce critère est pris en compte. Ailleurs, les communautés urbaines et syndicats des eaux buttent sur l’absence des données.

Commencer par installer des compteurs

Côté gaspillage aussi, les espoirs ont été douchés. « La mesure est surtout symbolique, elle accompagne très bien des discours de sensibilisation, mais son impact est faible », estime Henri Smets. D’abord, parce qu’en France, malgré de grosses disparités, l’eau est bon marché. Avec une facture annuelle moyenne avoisinant 200 euros par an, un ménage moyen y consacre tout juste 1% de son budget. C’est trop peu pour être un poste d’économie prioritaire. Ensuite parce que la condition préalable, l’installation des compteurs individuels, n’est pas toujours remplie. Or, cette étape constitue le levier le plus efficace pour sauver des mètres cubes. « C’est psychologique, il suffit que la consommation soit enregistrée pour que les gens ne laissent plus les robinets ouverts, estime Henri Smets. Leur consommation baisse alors de 20 %. » Sauf que pour les 40% de Français qui vivent en habitat collectif, la facture individuelle reste exceptionnelle.

Forages sauvages

A Niort, la tarification progressive a tout de même changé les comportements. Afin de rester dans la tranche la moins chère, les bons élèves ont repensé leur consommation, mis en place des économiseurs d’eau. « En dix ans, les volumes prélevés par nous dans le milieu naturel ont baissé de 40%, dont 25% de baisse de volumes vendus, explique Marc Lambert. En 2005, la sécheresse a initié une prise de conscience que l’instauration d’une tarification progressive a accéléré. » Sauf que ce bon score cache un effet pervers.

Une fois leurs 20 m3 bon marché engloutis, les mauvais élèves, eux, se sont mis à forer, souvent sans autorisation. « Dans la région, l’eau est très proche de la surface et les forages sauvages sont une épidémie », déplore le directeur du SEV. Ainsi contournée, la tarification progressive devient socialement injuste. « Ceux qui ne peuvent pas forer parce qu’ils n’ont pas de jardin paient l’infrastructure qui permet d’acheminer les mètres cubes bon marché à tous », souligne Marc Lambert. Quant à l’environnement, il sort lui aussi perdant : « Avec les forages sauvages, les particuliers consomment tout autant, et, en prime, ils peuvent polluer les nappes phréatiques et ainsi mettre en danger les usagers du réseau public. »