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Les Danois se révoltent contre Goldman Sachs
mercredi, 5 février 2014 / Amélie Mougey

Depuis vendredi, la banque d’affaires américaine est entrée au capital de la compagnie danoise de production d’énergie. Pétitions, manifestations et explosion du gouvernement n’y ont rien changé : le texte a été voté.

Les Danois sont en colère. Il ne veulent pas que Goldman Sachs se mêle de leurs affaires. Ces dernières semaines, 200 000 personnes, soit plus d’un Danois sur 30, ont signé une pétition pour empêcher la sulfureuse banque d’affaires américaine d’entrer au capital de leur compagnie nationale de production d’énergie. L’initiative émane d’un parfait inconnu et pourtant « c’est sans doute la plus grosse pétition jamais signée au Danemark et la plus grosse mobilisation populaire depuis des années », souligne Bjørn Willum, correspondant à Paris pour la télévision danoise. La semaine dernière, la crise, latente depuis le début du mois de janvier, est devenue politique. Dans la foulée d’une manifestation organisée jeudi dernier, à la veille du vote au parlement, six ministres socialistes ont démissionné.

« Les politiciens n’ont rien appris de la crise de 2008 »

L’histoire pourtant commençait bien. Au cours de l’année 2013, la compagnie Dong Energy, l’équivalent danois de feu EDF-GDF, cherchait de nouvelles sources de financement pour poursuivre le développement massif de l’éolien. Les Danois s’attendaient à ce que l’Etat, alors détenteur de 81% de l’entreprise, réinvestisse ou se tourne vers des fonds de pensions. Mais en coulisses, d’autres négociations allaient bon train.

« Goldman Sachs, c’est les subprimes, c’est les forces du mal dans la crise de 2008 », rappelle Jørgen Steen Nielsen, spécialiste des questions de finances et d’environnement au sein du quotidien danois l’Information. La prise de participation de la banque n’a d’ailleurs été révélée qu’en octobre dernier. « L’effet de surprise a amplifié le mécontentement, estime le journaliste, mais ce débat cristallise surtout une frustration : les Danois ont le sentiment que les politiciens n’ont rien appris de la crise de 2008, qu’ils laissent toujours la finance mener la danse. »

« Goldman Sachs a fait une bonne affaire »

En décembre, les termes du contrat ont à leur tour été rendus publics. Ils n’ont pas rassuré ceux qui s’y sont plongés. « Goldman Sachs a fait une bonne affaire, il a acheté ses parts à bas prix et ne court quasiment aucun risque » souligne Jørgen Steen Nielsen. De fait, quels que soient les résultats de l’entreprise, dans quatre ans Goldman Sachs pourra revendre la majorité de ses actions à l’Etat au prix auquel il les a achetées.

Les Danois se sentent donc floués. Et la découverte d’actionnaires de Goldman Sachs aux îles Caïmans ou dans l’Etat du Delaware n’est pas pour rassurer. « Le Danemark mène depuis plusieurs années une guerre ouverte contre les paradis fiscaux, l’incohérence de ce choix est frappante » souligne Bjørn Willum. Et la population ne s’y trompe pas, elle est à 68% hostile à ce contrat.

Influence sur la politique énergétique du Danemark

Mais les parlementaires sont restés sourds à ce rejet. Le 30 janvier, l’accord a bel et bien été voté. « La population a été prise de court, les jeux sont faits », soupire Jørgen Steen Nielsen. D’ici à deux semaines, les transferts d’argent seront réalisés et Goldman Sachs détiendra 19% du capital de la société. « Les pouvoirs qui y sont associés sont considérables », note le journaliste. Lors de la nomination d’un pédégé, du rachat d’une nouvelle société, ou de la vente de crédits carbone, Goldman Sachs aura un droit de veto. L’Etat qui ne détiendra plus que 60% du capital pourrait donc voir ses volontés contrariées. Or avec son pétrole, son gaz et ses éoliennes offshore, Dong Energy est une entreprise clé pour le pays. « Concrètement, Goldman Sachs aura le pouvoir d’influencer la politique énergétique du Danemark », résume Jørgen Steen Nielsen. De là à présumer qu’il le fera... « Le problème c’est que cette banque est connue pour aimer le profit à court terme, ce qui paraît peu compatible avec le développement des énergies renouvelables », s’inquiète Bjørn Willum. C’est sans compter sur la population danoise. « Cette fois, la réaction a été trop tardive, reconnaît Jørgen Steen Nielsen, mais on peut parier que les Danois, très remontés par ce revers, ne laisseront plus rien passer. »