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« Le commerce équitable trouble davantage les esprits qu’il ne convainc »
lundi, 3 février 2014 / David Solon /

Président de l’association des Amis de Terra eco Ancien directeur de la rédaction de Terra eco

Pour Christian Jacquiau, économiste et essayiste, la décision de l’association Max Havelaar de créer un nouveau label brouille les cartes et n’aide pas le consommateur.

« Répondre aux besoins des producteurs et augmenter significativement les volumes de ventes du secteur ». Ce double objectif de l’association Max Havelaar semble louable et limpide. Le commerce équitable en France ne concerne « que » 346 millions d’euros par an (2012) et il faut bien trouver le moyen de faire décoller les chiffres. L’association a donc lancé un nouveau label. Dans ce nouveau programme baptisé « Approvisionnement Fairtrade », c’est la matière première qui est labelisée (cacao, sucre ou coton), et non l’ensemble des ingrédients d’un produit. Cette démarche de filière vise à « sécuriser les approvisionnements des grandes entreprises » (Mars et Nestlé notamment ont déjà donné leur accord), mais fait déjà grincer quelques dents. Pour certains, comme l’économiste Christian Jacquiau, la démarche a « des effets pervers ».

Terra eco : L’association Max Haavelar a lancé ces jours derniers un programme intitulé « Approvisionnement Fairtrade ». Ce programme a pour objectif de soutenir encore davantage les petits producteurs. Qu’en pensez-vous ?

Christian Jacquiau : L’objectif annoncé est louable mais il recèle des effets pervers qui ne serviront pas la démarche du commerce équitable. Une tablette de chocolat confectionnée à partir de fèves de cacao, de lait et de noisettes non équitables pourra désormais arborer le fier logo « Fairtrade Max Havelaar » dès lors que le sucre incorporé – et seulement le sucre – aura été acheté aux conditions définies par Max Havelaar.

Le logo va se multiplier sur les emballages au fur et à mesure que l’idée d’une généralisation de l’équité dans les transactions reculera. Mais la confusion ne s’arrête pas là. Lorsque la tablette de chocolat passera en caisse, elle sera enregistrée comme produit du commerce équitable pour l’intégralité de son prix de vente au consommateur. Pas pour les quelques grammes de sucre qui lui autorisent d’arborer le logo Max Havelaar sur son emballage. Le chiffre d’affaires réalisé sur des produits pseudo équitables en grandes surfaces va donc exploser et assurer son succès... dans les statistiques. Mais pour quelle équité ?

Max Havelaar créé un nouveau label alors que les ventes du commerce équitable ont tendance à plafonner. N’est-ce pas un aveu d’échec ?

Le commerce équitable trouble désormais davantage les esprits qu’il ne convainc. L’espace en linéaires (consacré au commerce équitable dans les rayons) se fait plus rare. Et plus cher aussi. L’optimisme n’est aujourd’hui plus de mise. Le plan de soutien au commerce équitable annoncé il y a moins d’un an par Pascal Canfin, ministre délégué chargé du Développement auprès du ministre des Affaires étrangères ne pouvait dans ce contexte pas mieux tomber. Son objectif déclaré ? Tripler la consommation de produits équitables en France.

A la clé, un énorme budget (7 millions d’euros) qui, selon l’association Minga, se traduira « par un soutien à la marque privée Max Havelaar [et] des incitations aux grandes surfaces pour qu’elles fassent des promos publicitaires en tête de gondole ». Tripler la consommation de produits équitables au cours des trois prochaines années était un pari perdu d’avance dans le contexte de défiance actuel à l’égard d’un modèle qui est loin d’avoir répondu aux attentes des alterconsommateurs. Un pari intenable. Sauf à modifier les règles d’évaluation de la consommation équitable. C’est ce qui vient d’être fait...

Est-ce le début d’un commerce équitable à plusieurs étages ? Et comment le consommateur va-t-il pouvoir s’y retrouver ?

En favorisant un commerce équitable à plusieurs vitesses, Max Havelaar organise une concurrence déloyale et inéquitable au profit des marques propres (MDD) des géants de la distribution et des peu regardantes transnationales de l’agroalimentaire. C’est un comble, à l’égard de ses concessionnaires les plus rigoureux. Il faudra énormément de perspicacité aux consommateurs pour qu’ils différencient par la mention « programme sucre » une tablette de chocolat à l’équitable low cost de celles arborant le logo du même Max Havelaar mais provenant de filières beaucoup plus exigeantes comme les développent Artisans du Monde, Ethiquable, Oxfam ou encore Alter eco. Plus chers parce que plus riches en contenu social, écologique, équitable et éthique, ces derniers risquent d’être délaissés par les acheteurs des grandes surfaces au profit de produits ultra allégés de toute volonté de changer notre monde à la dérive.

Le chiffre d’affaires du commerce équitable progressera au rythme où la part d’équité dans les transactions régressera. On voudrait détourner les consommateurs de la démarche et décrédibiliser le commerce équitable que l’on ne s’y prendrait pas autrement. Il appartient désormais à ses acteurs authentiques – étonnement tenus à l’écart de cette décision – de réagir au plus vite pour sauver ce qui peut encore l’être. Il y a urgence. Le temps ne joue pas en leur faveur...

- A lire : Les coulisses du commerce équitable : Mensonges et vérités sur un petit business qui monte (Mille et une nuits, 2006)

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