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Demain, mon club de foot m’appartiendra
jeudi, 23 janvier 2014 / Julien Ropert /

Des gazons de Ligue 1 à Terra eco, la couleur ne change pas.

Confisqués par des investisseurs étrangers, les clubs européens échappent à leurs fans. Certains tentent d’en reprendre le contrôle... en devenant actionnaires !

Samedi soir, vous prenez place en tribune pour suivre le match de votre équipe de foot préférée. Autour de vous, une foule parée d’écharpes et de maillots au couleurs de votre club. Pas vraiment l’image que l’on se fait d’une réunion d’actionnaires. Et pourtant, c’est le chemin que pourrait prendre le football professionnel.

En Allemagne, l’actionnariat populaire est une obligation. « Les clubs allemands étaient à l’origine des coopératives, qui avaient aussi des sections d’autres sports, explique Ben Shave, responsable du développement de Supporters direct, une fédération d’association de supporters, basée en Angleterre, et qui œuvre dans plus de 20 pays européens. En 1998, il a été décidé que les sections “football” de ces clubs pouvaient devenir des entreprises classiques mais que le club d’origine devait conserver 51% du capital. Les membres associés gardent donc la majorité. Et n’importe qui, en particulier un supporter, peut joindre ce groupe. » Dans le club de Schalke 04, par exemple, le statut de membre s’obtient en payant une cotisation annuelle de 50 euros. Il donne droit à des réductions sur les abonnements, et surtout la possibilité de se présenter et de voter, pour peser sur la politique du club. Un fonctionnement qui contribue à la bonne santé du football allemand, le plus sain sur le plan économique, et l’un des plus spectaculaires d’Europe.

Responsabiliser les dirigeants

L’Allemagne est, comme la Suède, en pointe sur ces questions. Au Royaume-Uni, berceau du sport, le mouvement prend de l’ampleur dans la foulée de Supporters direct, qui conseille les groupes de supporters et réfléchit à des principes de gestion saine, transparente et durable. « Les joueurs, les entraîneurs, les présidents vont et viennent, poursuit Ben Shave. Mais les fans sont toujours là, et comprennent la spécificité de leur club. Les supporters sont souvent juste supposés payer leur abonnement, et regarder leur club, parfois très mal géré. Si tu leur donnes la possibilité de participer aux décisions, leur présence va responsabiliser les dirigeants. » Alors que l’endettement des clubs de football atteint des niveaux records (plus de 60 millions d’euros de déficit lors de la saison 2011-2012 pour le seul championnat français), et que le système continue de laisser sur la route nombre d’espoirs déçus, l’argumentaire sur la bonne gouvernance et la moralisation du foot porté par l’association porte jusqu’aux plus hautes sphères politiques et footballistiques du continent. Supporters direct a ainsi été reçu par la Commission européenne et par l’UEFA, la fédération européenne qui gère les compétitions de football.


La France, elle, accuse un sérieux retard en la matière. La faute, notamment, à une image caricaturale des supporters qui les associe souvent, au mieux, à un esprit beauf et limité, au pire, au hooliganisme. A Nantes, émerge pourtant un premier mouvement structuré qui prône l’actionnariat populaire. Lancée en mai 2010, l’association A la Nantaise est sortie de l’imagination d’un groupe d’amis constitué dans les tribunes populaires de La Beaujoire, le stade du FC Nantes. « A l’époque, on s’était mobilisé pour défendre des éducateurs du club, qui étaient menacés par la direction, raconte Florian Le Teuff, président de l’association. Malgré notre action, ils ont été évincés. On s’est alors dit qu’il fallait aller vers quelque chose de plus constructif, de plus fédérateur, tout en continuant de défendre les valeurs d’éducation et de jeu qui ont fait la force du club. »

« Un élément patrimonial, culturel et social »

Ils démarchent donc anciens joueurs, représentants du monde politique, économique, de la société civile, avant de lancer une association dont le but est d’influer sur les destinées du club. « Le club est une entreprise. Mais c’est aussi un élément patrimonial, culturel, social. A Nantes, le FC Nantes fait partie de la vie sociale depuis soixante-dix ans. On veut donc traduire ce fait social sur le plan économique, et faire en sorte que les supporters aient voix au chapitre. » Pour cela, l’association a pour projet de rentrer au capital du club.


Ce ne sera pas pour tout de suite, puisque les rapports entre A la Nantaise et l’actuel président et propriétaire du club, Waldemar Kita, sont glaciaux. « Mais on sait qu’il vendra un jour le club, précise le président d’A la Nantaise. Et ce jour-là, on sera prêts à entrer dans le tour de table. » En attendant, l’association continue de se préparer. Elle compte aujourd’hui plus de 2 000 adhérents, universitaires, juristes, politiques, ou simples supporters, et a lancé, en avril dernier, une levée de fonds, qui lui a déjà rapporté plus de 25 000 euros. « C’est une somme qui peut paraître peu élevée dans l’univers du football, mais ça représente quand même 5% du capital actuel du FC Nantes », précise Florian Le Teuff. Les politiques locaux ont très majoritairement apporté leur soutien à A la Nantaise, dans la foulée de l’ancien maire de la ville, Jean-Marc Ayrault, qui déclarait en octobre 2010 soutenir l’actionnariat populaire. Et le 11 décembre dernier, le groupe de travail « football durable », initié par la ministre des Sports, Valérie Fourneyron, a reçu les représentant d’A la Nantaise pour évoquer la question de l’actionnariat populaire. Une première reconnaissance politique nationale. La reconnaissance sportive viendra plus tard.


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