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Avortement : « Il faut faire monter en gamme l’Europe sur la question du droit »
vendredi, 17 janvier 2014 / François Meurisse /

Rédacteur en chef édition

Christine Mauget, responsable des questions internationales au bureau national du Planning familial, veut faire de l’avortement un enjeu pour les prochaines élections européennes.

Christine Mauget est responsable des questions internationales au bureau national du Planning familial.

Terra eco : Ce jeudi, le Parlement européen a débattu à Strasbourg de l’avant-projet de loi sur l’interdiction de l’avortement en Espagne. Pourquoi cette discussion ?

Christine Mauget : Ce débat a été proposé à la suite du rapport Estrela (porté par l’eurodéputée portugaise Edite Estrela, ndlr), un texte non contraignant qui prévoyait notamment un accès généralisé à des services d’avortement sûrs et qui a été rejeté (malgré plusieurs irrégularités dans le vote, ndlr) par le Parlement le 10 décembre dernier.

Mais ce qu’il faut comprendre, c’est que la question de la compétence est importante en Europe. Aujourd’hui, l’avortement est une compétence étatique car il est considéré comme une question de santé. Nous, en France, on estime au contraire qu’il s’agit d’une question de droit. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) considère également les « droits sexuels et génésiques » comme des droits fondamentaux, mais cela n’a pas été intégré au droit européen.

Pourquoi ?

Au moment de leur entrée dans l’Union européenne, certains pays ont spécifiquement insisté pour que leurs législations s’appliquent sur cette question : l’Irlande, la Pologne, Malte. Nous, au Planning familial, nous considérons qu’il est inadmissible de poser de telles conditions quand on adhère à l’Union européenne. Aujourd’hui, Malte fait partie des cinq Etats au monde où l’avortement est interdit même quand la mère peut mourir. Et ça, c’est au XXIe siècle ! C’est le cas aussi au Chili, mais j’espère que la présidente Michelle Bachelet va pouvoir changer cela. En Irlande, une femme est morte à la fin de l’année 2012, alors qu’elle faisait une fausse couche et demandait une interruption de sa grossesse. Ce genre de situations, ce n’est pas qu’au Sud et ce n’est pas acceptable. Il y a aussi une régression dans les anciens pays du bloc soviétique où les contraintes sont de plus en plus lourdes : ainsi, en Hongrie, on a instauré la notion de vie dès la conception. En Italie, 80% des médecins invoquent la clause de conscience pour ne pas pratiquer l’IVG. Ailleurs, on ne la rembourse pas…

Qui freine sur ces questions ?

Des lobbys conservateurs très organisés, autour de traditionalistes catholiques, protestants et orthodoxes. En France, le mouvement de la Manif pour tous a rajeuni les troupes. Avant le vote du rapport Estrela, les parlementaires ont reçu 120 000 mails disant que voter oui revenait à autoriser la pédophilie, ce genre de choses ! Ces mouvements portent une vision très traditionnelle de la famille – « papa-maman-enfant » – et de la complémentarité dans le couple : c’est une vision très « essentialisante ». L’IVG est emblématique et cristallise les passions et certains parlementaires ont pu se cacher derrière l’argument qu’ils n’ont pas voté contre le texte mais contre le fait que ces questions soient de la compétence de l’Europe, mais derrière, il y a les questions d’éducation à la sexualité, d’égalité, de genre, etc. Le rapport Estrela rappelait d’ailleurs les principes d’accès à l’IVG – comme le rapport Van Lancker, en 2002 – mais prévoyait aussi le droit à la procréation médicale assistée (PMA) pour les couples lesbiens, évoquait les droits des transsexuels… Ce qu’il faut dire, c’est que certains députés européens votent des textes « inférieurs » aux législations nationales !

Y a-t-il un espoir de voir l’accès à l’avortement reconnu comme un droit fondamental des femmes au niveau européen ?

C’est difficile car, l’Europe, c’est lourd, comme structure ! Et puis, nous entrons dans une période trouble avec les élections. Mais justement, nous voulons en faire un enjeu pour les prochaines européennes (le 25 mai 2014, ndlr). Car aujourd’hui, comme on a des visions différentes selon les pays, on arrive fragilisés à l’ONU et on a du mal à peser face à l’Iran ou au Vatican, très traditionalistes.

Les différences entre les législations nationales entraînent des migrations de femmes pour avorter…

Oui, et elles payent pour cela ! En 1950, les Suédoises allaient en Pologne pour avorter ; aujourd’hui, c’est le contraire. Certaines femmes françaises vont en Espagne pour des questions de délai ; demain, ce sera peut-être l’inverse ! Sur cette question, nous exigeons que ces migrations soient rendues visibles, qu’on puisse obtenir des statistiques. Avant d’évoquer une uniformisation du nombre de semaines maximum pour une IVG, il faut faire monter en gamme l’Europe sur la question du droit. Si on veut sortir de la détestation de l’Europe que ressentent une partie des citoyens, il faut construire une Europe plus sociale qu’économique, une Europe égalitaire, entre les hommes et les femmes et entre les femmes entre elles.

A lire ci-dessous, le document du Planning familial sur l’avortement dans les textes internationaux et sur les différentes législations en Europe :
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