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Explosion de l’asthme : et si la cause était dans nos assiettes ?
lundi, 13 janvier 2014 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Déficit en fibres mais peut-être aussi en certains antioxydants, acides gras ou minéraux… Les chercheurs tentent de trouver le coupable. Une chose est sûre : l’explosion de l’asthme et de l’allergie depuis 40 ou 50 ans est le fruit de la transformation de nos assiettes.

Manger des fruits et légumes pour se protéger de l’asthme ? Quelle drôle d’idée. Pourtant, des chercheurs suisses du Centre hospitalier universitaire du vaudois semble avoir détecté une corrélation entre la consommation de fibres alimentaires fermentées – présentes dans certaines céréales mais aussi dans les légumes et les fruits comme le citron, les oranges, les pommes, les baies, les oignons et l’ail (1) – et la prévalence de l’asthme.

Dans le test des chercheurs, ce sont les souris soumises à un régime alimentaire avec des fibres (4%) qui ont manifesté le moins de signes allergiques. Inversement, les souris qui n’en avaient que très peu boulotté – à hauteur de 0,3% – ont « développé une réaction allergique plus forte en présentant largement plus de mucus dans les poumons », souligne le communiqué de presse.

Une explosion trop rapide pour être due à des causes génétiques

Or, les rations n’ont pas été données par hasard. Ce régime en faible teneur en fibres correspond grosso modo au régime occidental depuis quelques décennies « qui ne contient plus en moyenne qu’environ 0,6% de fibres », précise ce même communiqué. Et, bonne nouvelle pour les chercheurs, « nous pensons qu’il y a en effet une forte possibilité que ces effets soient transposables à l’homme car il a déjà été démontré que les fibres alimentaires (fermentables seulement (1)) engendrent la production d’acides gras à chaîne courte chez l’homme », ajoute Aurélien Trompette, chercheur et coauteur du rapport.

Que nos changements d’habitudes alimentaires aient pu influencer le taux des maladies allergiques et notamment de l’asthme, c’est aussi la théorie de Graham Devereux, chercheur à l’université d’Aberdeen en Ecosse, qui travaille sur ces questions depuis 1994. « La prévalence de l’asthme a augmenté bien trop vite depuis quarante, cinquante ans pour que cette croissance s’explique par une modification génétique », précise l’universitaire. Dans l’un de ses articles, il souligne aussi – s’appuyant sur les travaux d’autres collègues – que depuis les années 1960, « la quantité de pollution atmosphérique et la proportion de fumeurs dans la population a baissé, tandis que les taux de pollens saisonniers sont restés stables ». Ni la pollution, ni le tabac ni le pollen ne peuvent donc expliquer l’impressionnante explosion d’asthme et d’affections allergiques que montre le schéma ci-dessous :

Prévalence de l’asthme chez des écoliers écossais de 9-12 ans entre 1964 et 1999 à Aberdeen (Ecosse)

Des aliments bien différents

« On a donc cherché ce qui avait changé dans notre environnement ces quarante, cinquante dernières années et susceptible d’entraîner une croissance forte de l’asthme », explique Graham Devereux. Réponse : notre régime alimentaire. « Non seulement nous mangeons différemment, mais les contenus nutritionnels de nos aliments ont aussi changé, souligne le chercheur écossais. La pomme ou le chou que vous mangez aujourd’hui n’ont pas les mêmes nutriments que celle ou celui que vous auriez pu manger il y a quarante ou cinquante ans. » D’ailleurs, nouvelle preuve contre le régime à la mode des pays riches : la prévalence de l’asthme semble les toucher plus que les autres, comme le montre le graphique suivant.

Le pourcentage de personnes touchées par l’asthme en 2004. Données : Organisation mondiale de la santé

A partir de là, les hypothèses de chercheurs se succèdent. Certains pointent le déclin des antioxydants dans le régime occidental, d’autres la préférence pour certains acides gras polyinsaturés, d’aucuns encore se penchent sur le cas du sélénium, du magnésium ou sodium. Aujourd’hui, souligne Graham Devereux en mentionnant l’étude suisse, c’est au tour des fibres non fermentables.

« Vous connaissez la parabole des cinq aveugles qui regardent un éléphant ? Il touchent tous une partie différente de l’éléphant et décrivent chacun quelque chose de différent. Là, on a fait la même chose avec le régime alimentaire. On a regardé à chaque fois l’influence d’un élément particulier. Mais c’est l’ensemble du régime occidental qu’il faut sans doute prendre en compte », poursuit Graham Devereux.

Pas de conseils

D’autant que prouver l’influence de tel élément chez l’humain est très difficile, voire impossible, car un régime humain sera toujours composé de plusieurs choses. Tandis que « les souris (dans le cas de l’expérience suisse, ndlr) sont nourries avec des aliments dans leurs formes de nutriments purs et sont élevées dans un environnement dépourvus de germes. Ça ne veut pas dire que c’est réplicable sur l’humain », poursuit le chercheur. Pas question pour l’Ecossais en tout cas de conseiller la prise de tel ou tel aliment : « Si je conseille à mes patients d’augmenter leur consommation de fibres c’est parce que c’est bon pour eux. Mais je ne leur dirai pas que c’est pour combattre leur asthme ou prévenir celui de leur bébé dans le cas des femmes enceintes. » Pis, « un changement de régime alimentaire pourrait conduire à des carences ailleurs qui provoqueraient plus de mal que de bien. 

L’explication scientifique

Lorsqu’elles parviennent dans l’intestin, les fibres sont fermentées par des bactéries et transformées en acides gras dits « à chaîne courte ». Ceux-là entraînent la génération de cellules dendritiques dans la moelle osseuse, « sorte de sentinelles du système immunitaire chargées de détecter la présence de corps étrangers et de déclencher la réponse adéquate », décrypte Aurélien Trompette, l’un des coauteurs du rapport, par mail. Or, lorsque beaucoup de fibres ont été ingérées, ces cellules sont moins activées et entraînent – face à la présence d’un allergène acarien – une réponse immunitaire moins violente dans les poumons.

(1) Attention, à ne pas les confondre avec les fibres alimentaires non fermentables qui « sont en général celles qui sont mises en avant par les grandes marques alimentaires. Elles sont très importantes pour le transit intestinal mais n’ont que très peu de propriétés immunomodulatrices car non dégradées dans les intestins. Notre étude montre l’importance des fibres fermentables, pas des autres ! », souligne Aurélien Trompette, coauteur du rapport. Voir la distinction entre ces deux sortes de fibres ici.


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