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Demain plus de porcheries XXL : quels impacts ?
jeudi, 9 janvier 2014 / Amélie Mougey

Depuis le 1er janvier, agrandir son élevage de porc est un jeu d’enfant. Pourtant, l’activité est reconnue responsable de la prolifération des algues vertes. Quels risques cette dérèglementation fait-elle peser sur l’environnement ?

Dans le paysage de l’élevage industriel, 1 000 vaches peuvent cacher 2 000 cochons. Deux semaines avant que les opposants à la bien-nommée ferme industrielle d’Abbeville (Somme) se rassemblent devant l’Assemblée nationale, le ministère de l’Ecologie publiait sans faire de bruit un décret sur l’agrandissement des élevages de porc. Le texte, entré en vigueur en pleine trêve des confiseurs, permet de créer des usines de 2 000 cochons sans demander la moindre autorisation spéciale.

90% des porcheries vont pouvoir s’agrandir

Fini les enquêtes publiques et les études d’impact aux délais et aux coûts dissuasifs. Le choc de simplification fait loi, désormais un enregistrement suffit. « Pour beaucoup d’entre nous, cet allégement était vital », explique Thierry Coué, membre de la Fédération nationale porcine (FNP). Auparavant, pour dépasser 450 porcs, un éleveur devait dépenser plusieurs milliers d’euros en procédure et attendre jusqu’à trois ans. Or, « un élevage de cette taille-là (450 porcs maximum, ndlr) rapporte un quart de salaire, ça ne fait plus vivre personne », reprend l’éleveur du Morbihan. Désormais, 90% des porcheries françaises vont pouvoir s’agrandir à moindre frais dans l’espoir de traverser la crise.

Les défenseurs de l’environnement y voient une fuite en avant. « On prétend lutter contre les algues vertes et on donne un coup de pouce au système industriel à l’origine du fléau », s’emporte Jean-François Piquot, directeur de l’association Eau et rivières de Bretagne. D’autant que le dernier bilan du Conseil général au développement durable (CGDD) n’est pas rassurant : loin de diminuer, en 2012, les végétaux toxiques ont colonisé l’ensemble du littoral français. Et si l’élevage porcin n’est pas le seul facteur, sa responsabilité ne fait plus de doute.

Plus de cochon, c’est plus de fumier donc plus de pollution

En France, 95% des porcs sont élevés hors-sol, c’est-à-dire sur caillebotis dans des bâtiments fermés. Ces structures produisent des centaines de tonnes d’excréments, que les éleveurs ne peuvent se contenter d’empiler : si le lisier produit plus de nitrate (azote nitrique) que la terre et les plantes ne peuvent en absorber, l’excédent s’infiltre dans les sols, s’écoule dans les rivières et atterrit dans la mer. Arrivé à destination, il stimule la formation des algues vertes.

« Ce décret signifie plus de cochons, plus de fumier et donc plus de pollution », s’inquiète Jean-François Piquot. Dans quelle proportion ? « Pour le savoir rendez-vous dans deux ans. » La sombre prophétie ne fait pas l’unanimité. Au ministère de l’Ecologie, on se veut évidemment rassurant. « Le nouveau régime ne change pas les règles, les agriculteurs doivent toujours trouver des surfaces d’épandage correspondant à la taille de leurs élevages », explique Paul Delduc, le conseiller biodiversité de Philippe Martin.

Au Danemark, le lisier est suivi à la trace par GPS

Encore faut-il que les éleveurs jouent le jeu. En Bretagne, où se concentre près de 60% de l’élevage, les surfaces d’épandage sont de plus en plus éloignées des élevages. « Alors même si l’agriculteur démontre qu’il a accès à de telles surfaces, rien ne nous dit qu’il ne va pas se contenter de déposer le lisier au plus près pour éviter les trajets. On l’observe déjà », souligne Jean-François Piquot. « Justement, les agents qui ne seront plus occupés par des procédures d’examen de dossiers seront sur le terrain pour vérifier que les règles sont bien respectées », rétorque Paul Delduc. Il rappelle au passage que le décret est justifié par un alignement aux seuils européens. Sauf qu’en matière de suivi du fumier, la France n’a pas les règles de ses voisins. « Au Danemark ou en Hollande le transport de lisier est assuré par des sociétés privées et contrôlé par GPS, les éleveurs ne peuvent pas frauder », remarque Jean-François Piquot.

Car la clé du succès est là. « Limiter l’impact sur l’environnement passe forcément par le respect des règles d’épandage, leur saisonnalité, la nature des sols, et ce, quelle que soit la taille de l’élevage », estime Emmanuelle Bourgeat spécialiste de la filière porcine à Agroparitech.

Chez les défenseurs du bien-être animal, la même logique prévaut. « Un élevage de 450 porcs ou de 2 000, ça ne change finalement pas grand chose » estime Cécile Vuillermet de l’Association de protection mondiale des animaux de ferme (PMAF). « Des élevages plus grands, c’est surtout plus d’animaux qui souffrent, souligne Léopoldine Charbonneaux, directrice du CWIF (Compassion in world farming). On ne se fait pas d’illusions, les agrandissements servent à faire des économies d’échelle, donc en matière de bien-être comme d’environnement, on ne peut guère espérer plus que le respect des règles minimales. »