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« En France, nous tolérons que nos rues sentent la pisse ! »
jeudi, 19 décembre 2013 / Cécile Cazenave

Les toilettes sont un sujet éminemment politique, rappelle le sociologue Julien Damon. Mais contrairement à ses voisins, la France ne l’aborde qu’en se pinçant le nez…

Pourquoi les toilettes brillent-elles par leur absence dans l’espace public ?

Elles n’ont pas disparu, mais il y en a moins qu’autrefois. Nous avons d’abord, tous ou presque, des toilettes privées. Le taux d’équipement français est de 98 %, alors qu’il était de 60 % en 1960. A mesure que l’équipement progressait dans l’univers privé, l’espace public en a été débarrassé. Ces toilettes publiques étaient d’ailleurs très mal vues, parce que parfois mal fréquentées, connues comme lieux de consommation de drogue et de prostitution, etc. Leur maintenance, enfin, représente un coût. Peu d’élus veulent devenir le Monsieur Pipi qui a mis en route un plan volontariste en la matière. Celui-ci ne manquerait pas d’être raillé dans les journaux satiriques, ce qui n’aurait pas lieu dans d’autres pays.

Uriner dans l’espace public, est-ce un problème culturel ?

Dans n’importe quelle ville japonaise et jusqu’à la capitale roumaine, vous avez la possibilité de satisfaire vos besoins les plus fondamentaux partout, dans des services propres et gratuits. La situation française apparaît d’ailleurs très choquante pour un certain nombre de nos voisins européens, des Scandinaves aux Anglais, en passant par les Allemands. Nous tolérons en effet que nos rues sentent la pisse ! Puisque pour nombre de personnes, il n’y a pas d’autre exutoire que pisser contre un mur, nous subissons ce phénomène visuel et odorant insupportable. C’est également un comportement de mâle sale, de marquage du territoire, totalement inacceptable dans d’autres cultures européennes. Ce comportement, interdit et potentiellement sanctionné par une amende, n’est pas toléré ailleurs en Europe comme il l’est chez nous.

Les toilettes sont-elles un objet politique ?

En France, oui, et ce depuis les querelles de Clochemerle, village de roman (de Gabriel Chevalier, publié en 1934, ndlr) dans lequel le maire déchaîne les passions en décidant d’installer un urinoir près de l’église. C’est un sujet bien plus politique qu’économique. La preuve : les villes veulent devenir des smart cities (des « villes intelligentes », ndlr), à des coûts faramineux, alors qu’elles n’ont même pas de toilettes de qualité.

Comment garantir le droit à pisser ?

Se soulager est un besoin fondamental. Que, dans l’espace public, soit mis en place des équipements pour cela devrait relever du code de l’urbanisme. Gratuité, propreté et sécurité sont fondamentales. Il faut des obligations de service public en la matière, que cette question soit ensuite gérée par le public ou le privé. D’autant que la population française vieillit et que les besoins vont augmenter. Les pouvoirs publics devraient par exemple subventionner les bistrotiers et les restaurateurs pour qu’ils mettent à disposition leurs W.-C. De toute façon, aujourd’hui, si vous êtes malin et bien habillé, vous pouvez aller dans les plus belles toilettes du monde en permanence. Il suffit d’entrer fièrement au Ritz et de faire comme si vous saviez où elles se trouvent. Il faut que cela soit possible partout et légalement organisé. —