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En Italie, les terres fertiles souillées par la mafia
mardi, 17 décembre 2013
/ Mathilde Auvillain
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Dioxine dans la mozzarella, choux-fleurs fluos et cancers en augmentation. En Campanie, depuis les années 1990, la mafia a traité les déchets par le feu et la population en paie aujourd’hui le prix.
Mis à jour le 7 mars 2014 : Un réseau mafieux d’enfouissement de déchets a été démantelé en région parisienne ce jeudi 6 mars. Sévissant dans toute la région parisienne, la société véreuse RTR Environnement proposait aux entreprises de recycler les déchets à prix cassé. En fait de recyclage, elle se contentait d’enterrer les déchets parfois dangereux. Plusieurs hectares situées en zone inondable et proches d’un cours d’eau ont notamment été polluées à Villeparisis, en Seine-et-Marne. Selon la police, citée par l’agence AFP, l’entreprise s’inspirait là « des méthodes de la mafia italienne ». Des méthodes que nous vous décrivions dans cette enquête publiée en décembre dernier. |
Au pied de « l’Asse mediano » – axe routier Naples/Caserte dont le ciment et l’asphalte regorgeraient, selon l’association écologiste Legambiente, de déchets toxiques enfouis au moment de sa construction – la « Guardia Forestale » effectue une inspection. « Simple contrôle de routine », assure l’un des agents, tentant de chasser les curieux. Des douilles de cartouches de carabine recouvrent le sol. Deux ouvriers d’origine étrangère poursuivent impassiblement leur tâche, élaguant patiemment des plants de fraisiers.
A moins de 100 mètres de là, un monticule recouvert de végétation barre l’horizon. « Voilà l’une des décharges où les ordures ménagères de Naples ont été entassées, au plus fort de la crise en 2008 », explique Vincenzo Tosti, médiateur social à la retraite qui dénonce énergiquement les déversements clandestins de déchets sur les parcelles agricoles de l’arrière-pays napolitain. « Regardez, là ça s’est effondré, on voit bien les sacs plastiques, les boîtes, les emballages. C’est dégoûtant. » Sur le flanc de cette colline artificielle, il montre du doigt des monticules d’amiante, des tas de bidons de produits chimiques et des chutes de cuir et tissus synthétiques à moitié carbonisés. « Ils viennent déverser ces déchets ici, ensuite ils incendient un pneu pour faire tout disparaître et il se dégage une épaisse fumée noire. »
L’arrière-pays de Naples était depuis l’époque romaine appelé « Campania Felix », allusion à la fertilité des terres d’origine volcanique. Pendant des centaines d’années, les paysans y ont fait fortune grâce à la culture des tomates, brocolis, courgettes, chicorées, choux-fleurs, des fèves et des poivrons, oranges, mandarines, pommes et poires exportés dans toute l’Europe, voire dans le monde entier, souvent sur les tables des plus grands. Jusqu’aux années 1990, les bufflonnes aux imposantes cornes pouvaient pâturer paisiblement dans des prairies luxuriantes et produire un lait de qualité conférant ce goût unique aux mozzarellas, très prisées par la France qui en importe des milliers de tonnes chaque année.
En 2008, le scandale de la dioxine dans les mozzarellas di bufala (de bufflonne), déjà lié aux déversements sauvages de déchets toxiques par la mafia, avait ébranlé toute l’Europe. Suite à la promesse du ministère italien de la Santé de redoubler les contrôles sur les produits, la Commission européenne avait aidé à calmer le vent de panique qui avait balayé les marchés.
Aujourd’hui, si elle n’a pas encore dépassé les frontières italiennes, la psychose guette de nouveau. Alertée par les mises sous séquestre récentes et répétées de centaines d’hectares d’exploitation agricole – dont un champ à Caivano où poussaient des choux-fleurs jaunes fluos –, la population locale a cessé d’acheter fruits et légumes sur les marchés. Elle se montre également effrayée par l’augmentation du taux de mortalité par cancer en Campanie de 40% chez les femmes et de 47% chez les hommes au cours des vingt dernières années. « Je préfère aller au supermarché. Même si les produits sont importés, au moins je suis sûr qu’ils ont été contrôlés », explique Mario, un père de famille napolitain.
Les agriculteurs craignent le pire. Par mesure de précaution, ils se voient interdire d’utiliser l’eau de certains puits pour l’irrigation de leurs champs et doivent les abandonner à la jachère. « Les fruits et légumes cultivés ici sont exportés dans toute l’Europe. S’ils étaient contaminés, on constaterait une augmentation des maladies ailleurs, pas ici », insiste l’agronome Crispino Pasquale. « Nous ne sommes pas des criminels, si les analyses prouvent que nos produits sont contaminés, nous sommes prêts à tout détruire devant les caméras. »
Après vingt ans d’omerta d’immobilisme coupable, quelque chose commence à bouger. Grâce à un premier travail de surveillance et de cartographie des parcelles concernées par la pollution effectuée par une cellule spéciale mise en place par les préfectures locales, l’organisation écologiste Legambiente remarque une diminution de la fréquence des incendies criminels ces derniers mois. Sur place, la réponse du gouvernement national est accueillie avec soulagement mais non sans prudence. Les habitants restent très perplexes quant aux fonds débloqués pour la décontamination. « Ceux qui ont pollué et gagné des millions pour enfouir des déchets vont tout d’un coup retourner leur veste et se présenter pour tout nettoyer », prévient Vincenzo Tosti « Il faut être très attentifs. Et nous serons très attentifs ! »