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Forêts tragiques et arbres généalogiques
jeudi, 19 décembre 2013 / Simon Barthélémy

Et quelquefois j’ai comme une grande idée, de Ken Kesey. Monsieur Toussaint Louverture, 800 p., 24,50 euros

Loué soit Monsieur Toussaint Louverture. Ce petit éditeur exhume des pépites de la littérature américaine inconnues du public français : après Karoo, de Steve Tesich, ou Le Dernier Stade de la soif, de Frederick Exley, il frappe à nouveau très fort. Ken Kesey, l’auteur de Vol au-dessus d’un nid de coucou, considérait d’ailleurs Et quelquefois j’ai comme une grande idée, paru en 1964, comme son chef-d’œuvre. C’est à se demander comment ce roman beau à pleurer a mis cinquante ans pour arriver chez nous, depuis l’Oregon où il a été écrit et où se déroule l’intrigue. La bourgade forestière (imaginaire) de Wakonda, sur la côte Pacifique, est paralysée par une grève des bûcherons. Hank Stamper, qui doit respecter un contrat de livraison de bois, fait appel à son demi-frère Leland, parti quelques années auparavant vivre dans l’Est. L’étudiant revient au bercail, déterminé à se venger de Hank, qu’il juge indirectement responsable du suicide récent de sa mère. L’aîné, bien plus âgé, entretenait en effet une liaison avec celle-ci, seconde femme de Henry, le père des deux garçons devenu un vieillard gâteux…

Personnages truculents   Ainsi, la tragédie guette la famille, mise au ban de la communauté parce qu’elle refuse de cesser le travail. Mais le lecteur se marre parfois au détour des pages les plus noires, car derrière les Caïn et Abel aux personnalités complexes fourmillent de personnages secondaires truculents : le cousin Joe Ben, un incorrigible optimiste, Jenny, la prostituée indienne, Willard Eggleston, le propriétaire du cinéma et du pressing, où l’on fait des promotions film-chemises, ou encore Jonathan Draeger, le patron du syndicat des bûcherons, qui note des aphorismes dans son calepin et souffre d’eczéma à cause de l’humidité de la vallée.…

Illuminations poétiques

La nature, majestueuse et dangereuse, est un acteur à part entière de l’histoire : fauchés, les Stamper doivent abattre les sapins quasiment à mains nues, mais aussi renforcer sans cesse le remblai qui protège leur maison, bâtie trop près d’une rivière sujette aux crues. L’eau paraît d’ailleurs guider l’écoulement du récit, qui passe comme au gré des courants d’un narrateur à un autre, de la première à la troisième personne, remontant parfois son cours chronologique, comme la Wakonda River avec les marées. Enfin, la vie sauvage est source d’illuminations poétiques et de métaphores, tantôt poignantes – le passage des oies sauvages – tantôt cocasses – la chasse au renard par une chienne en chaleur. Ken Kesey, qui a testé des hallucinogènes et sillonné l’Amérique, était, selon son éditeur français, « trop jeune pour être un beatnik, trop vieux pour être un hippie », ma is il fut bien, lui aussi, le « chantre d’une contre-culture anticonsumériste débridée ». Si vous ne l’avez pas déjà reçu sous le sapin, découvrez ce pavé qui envoie du bois. —


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